La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 41 et 48 du Statut de la Cour et les articles 73, 74 et 75 de son Règlement,
Rend l'ordonnance suivante :
«prie respectueusement la Cour de dire et juger :
A. que l'Arménie, par l'intermédiaire de ses organes et agents d'Etat et d'autres personnes et entités exerçant des prérogatives de puissance publique ou opérant sur ses instructions ou sous sa direction et son contrôle, a violé les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR.
B. que l'Arménie, en apportant son aide, son assistance, son appui et son soutien à des activités incompatibles avec les dispositions de la CIEDR menées par d'autres personnes, groupes et organisations, a violé les alinéas b), d) et e) du paragraphe 1 de l'article 2 de cet instrument.
C. que l'Arménie doit prendre toutes les mesures nécessaires pour s'acquitter des obligations qui lui incombent au regard de la CIEDR, en particulier :
a) mettre fin immédiatement et renoncer à toute politique ou pratique de nettoyage ethnique visant les Azerbaïdjanais ;
b) coopérer immédiatement aux opérations de déminage conduites par l'Azerbaïdjan et des organismes internationaux dans les anciens territoires occupés, notamment en fournissant une cartographie complète et précise des champs de mines et d'autres informations y relatives, en mettant fin et en renonçant à toute activité de minage sur le territoire de l'Azerbaïdjan, ainsi qu'en prenant toutes autres mesures nécessaires et appropriées ;
c) cesser immédiatement et s'abstenir de commettre tout acte empêchant les Azerbaïdjanais de jouir de leur environnement et de leurs ressources naturelles ou d'y accéder ;
d) cesser immédiatement et s'abstenir de détruire des sites du patrimoine azerbaïdjanais et autres biens appartenant au patrimoine culturel et ethnique azerbaïdjanais, ainsi que de poursuivre sa politique d'annihilation culturelle ;
e) cesser immédiatement et s'abstenir de diffuser, promouvoir ou favoriser la propagande et les discours haineux contre les Azerbaïdjanais, notamment par l'intermédiaire des établissements d'enseignement ou des médias, au moyen de campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux ou par d'autres voies, ainsi que de glorifier les auteurs de crimes perpétrés contre des Azerbaïdjanais en raison de leur appartenance ethnique ;
f) cesser immédiatement et s'abstenir d'apporter tout appui ou soutien direct ou indirect à des personnes ou organisations, dont VoMA, qui soumettent les Azerbaïdjanais à une discrimination ;
g) condamner publiquement la discrimination dont sont victimes les Azerbaïdjanais et adopter immédiatement des mesures positives pour prévenir et punir tout acte de cette nature, conformément aux alinéas d) et e) du paragraphe 1 de l'article 2 et à l'article 4 de la CIEDR ;
h) veiller à ce que les auteurs d'actes de discrimination, notamment, mais pas seulement, de crimes de guerre imputables aux forces arméniennes, soient recherchés et punis, conformément aux articles 2 et 4 de la CIEDR, et offrir une protection et une voie de recours effectives aux Azerbaïdjanais ayant subi des préjudices à raison de tels actes ;
i) reconnaître publiquement les violations de la CIEDR qu'elle a commises et présenter des excuses pour son comportement aux plus hauts niveaux de l'Etat ;
j) donner des garanties et assurances de non-répétition de son comportement illicite au regard de la CIEDR ; et
k) réparer intégralement, notamment en versant une indemnisation dont le montant sera déterminé à un stade ultérieur de la procédure, le préjudice causé à l'Azerbaïdjan à raison des actes qu'elle a commis en violation de la CIEDR.»
«a) l'Arménie doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre à l'Azerbaïdjan de procéder promptement, effectivement et en toute sécurité à l'enlèvement des mines terrestres posées en territoire azerbaïdjanais par l'armée arménienne ou d'autres groupes opérant sous la direction ou le contrôle, ou avec l'appui, de l'Arménie, notamment en fournissant sans délai une description complète et exacte de l'emplacement et des caractéristiques de ces mines ;
b) l'Arménie doit immédiatement cesser et s'abstenir de mettre en danger des vies azerbaïdjanaises en posant des mines terrestres, ou en encourageant ou facilitant la pose de ces mines, en territoire azerbaïdjanais ;
c) l'Arménie doit prendre toutes les dispositions requises pour empêcher effectivement les organisations opérant sur son territoire, notamment VoMA, d'inciter à la haine raciale et à la violence à caractère raciste contre les Azerbaïdjanais, et doit immédiatement cesser et s'abstenir de se livrer à des faits d'incitation consistant à publier sur Twitter et autres réseaux sociaux ou dans les médias traditionnels des discours haineux frauduleusement attribués à des personnalités publiques ou à des personnes privées azerbaïdjanaises ;
d) l'Arménie doit prendre des dispositions pour que soient effectivement garantie la collecte, empêchée la destruction et assurée la préservation des éléments de preuve associés aux cas allégués de crimes perpétrés contre des Azerbaïdjanais en raison de leur appartenance ethnique qui auraient été portés à sa connaissance, notamment dans le cadre de communications de la République d'Azerbaïdjan ;
e) l'Arménie doit s'abstenir de prendre toute mesure susceptible d'aggraver ou d'étendre le présent différend ou d'en rendre le règlement plus difficile ;
f) l'Arménie doit fournir à la Cour un rapport sur l'ensemble des mesures prises pour exécuter l'ordonnance dans un délai de trois mois à compter de la date de celle-ci, puis tous les six mois jusqu'à ce que la Cour ait rendu sa décision définitive en l'affaire.»
Au nom de l'Azerbaïdjan :
S. Exc. M. Elnur Mammadov,
M. Vaughan Lowe,
Mme Catherine Amirfar,
Mme Laurence Boisson de Chazournes,
Mme Natalie Reid,
M. Donald Francis Donovan.
Au nom de l'Arménie :
S. Exc. M. Yeghishe Kirakosyan,
M. Robert Kolb,
M. Sean Murphy,
M. Constantinos Salonidis,
M. Pierre d'Argent,
M. Lawrence H. Martin.
«a) l'Arménie doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre à l'Azerbaïdjan de procéder promptement, effectivement et en toute sécurité à l'enlèvement des mines terrestres posées en territoire azerbaïdjanais par l'armée arménienne ou d'autres groupes opérant sous la direction ou le contrôle, ou avec l'appui, de l'Arménie, notamment en fournissant sans délai une description complète et exacte de l'emplacement et des caractéristiques de ces mines ;
b) l'Arménie doit immédiatement cesser et s'abstenir de mettre en danger des vies azerbaïdjanaises en posant des mines terrestres, ou en encourageant ou facilitant la pose de ces mines, en territoire azerbaïdjanais ;
c) l'Arménie doit prendre toutes les dispositions requises pour empêcher effectivement les organisations opérant sur son territoire, notamment VoMA, d'inciter à la haine raciale et à la violence à caractère raciste contre les Azerbaïdjanais, et doit immédiatement cesser et s'abstenir de se livrer à des faits d'incitation consistant à publier sur Twitter et autres réseaux sociaux ou dans les médias traditionnels des discours haineux frauduleusement attribués à des personnalités publiques ou à des personnes privées azerbaïdjanaises ;
d) l'Arménie doit prendre des dispositions pour que soient effectivement garantie la collecte, empêchée la destruction et assurée la préservation des éléments de preuve associés aux cas allégués de crimes perpétrés contre des Azerbaïdjanais en raison de leur appartenance ethnique qui auraient été portés à sa connaissance, notamment dans le cadre de communications de la République d'Azerbaïdjan ;
e) l'Arménie doit s'abstenir de prendre toute mesure susceptible d'aggraver ou d'étendre le présent différend ou d'en rendre le règlement plus difficile ; et
f) l'Arménie doit fournir à la Cour un rapport sur l'ensemble des mesures prises pour exécuter l'ordonnance dans un délai de trois mois à compter de la date de celle-ci, puis tous les six mois jusqu'à ce que la Cour ait rendu sa décision définitive en l'affaire.»
«Tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant l'interprétation ou l'application de la présente Convention qui n'aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour qu'elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d'un autre mode de règlement.»
A l'effet d'établir si un différend existe en la présente espèce, la Cour ne peut se borner à constater que l'une des Parties soutient que la convention s'applique alors que l'autre le nie (voir Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414, par. 18). L'Azerbaïdjan invoquant pour fonder sa compétence la clause compromissoire contenue dans une convention internationale, la Cour doit rechercher si les actes et omissions dénoncés par le demandeur sont susceptibles d'entrer dans les prévisions de l'instrument en question et si, en conséquence, le différend est de ceux dont elle pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae (voir ibid.).
L'Azerbaïdjan allègue, en particulier, que l'Arménie a manqué aux obligations lui incombant au titre des articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR. Il affirme qu'elle a engagé sa responsabilité, notamment pour s'être livrée à des pratiques de nettoyage ethnique et autres actes de ségrégation raciale, avoir incité à la haine et à la violence contre les personnes d'origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise par des discours haineux et la diffusion d'une propagande raciste, y compris au plus haut niveau de l'Etat, avoir toléré la présence de «groupes xénophobes ethnonationalistes armés» sur son sol, notamment Voxj Mnalu Arvest, qui signifie «art de la survie» (ci-après «VoMA»), avoir mené, favorisé ou soutenu des opérations de désinformation sur les réseaux sociaux, et avoir omis de mener des enquêtes sur les manquements à des obligations découlant de la CIEDR à l'égard des personnes d'origine azerbaïdjanaise et de préserver les éléments de preuve y afférents. L'Azerbaïdjan ajoute que, selon son interprétation, les deux Parties reconnaissent «l'existence d'un différend relevant de la CIEDR».
L'Arménie fait valoir que les demandes de l'Azerbaïdjan ne relèvent pas de la compétence ratione materiae de la Cour, car les mesures dénoncées touchent l'ensemble des ressortissants de la République d'Azerbaïdjan et non les seules personnes d'origine ethnique azerbaïdjanaise. La défenderesse soutient que, en tout état de cause, les demandes de l'Azerbaïdjan relatives à la pose de mines terrestres et à son prétendu refus de fournir des cartes de champs de mines n'entrent pas dans les prévisions de la CIEDR. Pour elle, la Cour n'a pas compétence prima facie pour connaître de ces demandes, le déminage n'ayant aucun lien avec la convention. L'Arménie met également en doute la compétence ratione temporis de la Cour, au motif que les mines posées dans les zones en cause l'auraient été pendant et immédiatement après les hostilités ayant pris fin en 1994 et, partant, avant que la CIEDR n'entre en vigueur entre les Parties.
Au stade actuel de la procédure, la Cour déterminera s'il apparaît, prima facie, que l'Azerbaïdjan a véritablement cherché à mener des négociations avec l'Arménie en vue de régler le différend qui les oppose au sujet du respect, par cette dernière, des obligations matérielles lui incombant au titre de la CIEDR, et si l'Azerbaïdjan a poursuivi ces négociations autant qu'il était possible (voir Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 420, par. 36).
Pour ce qui est des conditions procédurales préalables prévues à l'article 22 de la CIEDR, l'Azerbaïdjan dit avoir échangé plus de 40 pièces de correspondance et tenu plusieurs séries de réunions avec l'Arménie entre décembre 2020 et septembre 2021, pour tenter de régler ses griefs concernant les manquements par celle-ci à des obligations découlant de la convention. Il affirme en particulier que, dans une lettre en date du 8 décembre 2020 adressée à son homologue arménien, le ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères a énuméré les actes par lesquels l'Arménie avait manqué à ses obligations découlant de la CIEDR. Selon l'Azerbaïdjan, la correspondance ensuite échangée entre les Parties énonçait les modalités qui devaient régir les négociations et plusieurs réunions bilatérales se sont tenues entre mars et septembre 2021. L'Azerbaïdjan prétend en outre que l'Arménie n'a pas participé de bonne foi aux négociations, refusant d'examiner dûment les remèdes demandés ou de faire une quelconque proposition ou contre-proposition visant à atténuer ou à régler les problèmes en jeu. Pour prouver que, comme il l'affirme, l'Azerbaïdjan a véritablement cherché à trouver une solution aux questions en litige, son conseil renvoie, en particulier, à trois lettres, à savoir une lettre du ministre arménien des affaires étrangères en date du 11 novembre 2020, la lettre susmentionnée du ministre azerbaïdjanais des affaires étrangères en date du 8 décembre 2020, et une lettre, en date du 9 octobre 2021, présentant les propositions faites par l'Azerbaïdjan à l'Arménie au cours des négociations tenues les 30 et 31 août 2021. L'Azerbaïdjan estime que ces documents montrent qu'il a véritablement tenté de trouver une solution négociée au différend avec l'Arménie, ce que celle-ci n'a pas fait. Il soutient qu'il serait vain, au vu de l'intransigeance dont l'Arménie fait preuve, de poursuivre les négociations ou de recourir aux procédures expressément prévues par la CIEDR. L'Azerbaïdjan considère qu'il a poursuivi la négociation relative à ses réclamations «autant qu'il était possible» et que par conséquent la condition préalable de négociation énoncée à l'article 22 de la CIEDR est remplie.
L'Arménie, pour sa part, déclare reconnaître que la condition de l'échec des négociations est remplie dans la présente espèce, mais affirme n'en être en rien responsable. Selon elle, l'Azerbaïdjan n'a pas véritablement cherché à engager des négociations sérieuses avant d'introduire une instance contre elle pour manquements allégués aux obligations mises à sa charge par la CIEDR. L'Arménie estime que, tout au long du processus de négociation, l'Azerbaïdjan n'a montré aucune intention de négocier et a usé de manœuvres dilatoires pour reporter les discussions, par exemple en demandant à de multiples reprises aux Parties de préciser les modalités, les sujets et le choix des représentants aux fins des négociations. Elle fait observer à cet égard qu'«il a fallu presque une année, des dizaines d'échanges de notes et des entrevues multiples, pour enfin pouvoir s'occuper du fond du litige». L'Arménie fait valoir qu'elle «était dès lors fondée à penser qu'il ne servirait plus à rien de continuer une négociation devenue stérile». Ainsi, affirme-t-elle, «les exigences relatives à la négociation étaient réunies».
A ce stade de la procédure, cependant, la Cour n'est pas appelée à se prononcer définitivement sur le point de savoir si les droits que l'Azerbaïdjan souhaite voir protégés existent ; il lui faut seulement déterminer si les droits que celui-ci revendique au fond et dont il sollicite la protection sont plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits dont la protection est recherchée et les mesures conservatoires demandées (ibid., par. 44).
L'Azerbaïdjan relève que l'Arménie n'a jamais condamné les activités menées sur son territoire par des groupes xénophobes ethnonationalistes armés, tels que VoMA, qui inciteraient à la violence contre les personnes d'origine azerbaïdjanaise, notamment sur les réseaux sociaux, ni puni les personnes impliquées dans de telles activités. Il cite, par exemple, la propagande anti-Azerbaïdjanais diffusée par VoMA sur les réseaux sociaux, qualifiant péjorativement de «Turcs» ou «Turcs de la Caspienne» les personnes d'origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaises et l'Azerbaïdjan, de «menace caspienne» à «liquider». Selon l'Azerbaïdjan, VoMA affirme que ses membres ont «travaillé en étroite coopération avec les forces armées [arméniennes] et été loués par le commandement pour leur bravoure». L'Azerbaïdjan considère en outre que, en manquant de condamner ou d'interdire les groupes paramilitaires anti-Azerbaïdjanais, l'Arménie a permis à ces groupes de proliférer. A cet égard, il fait également référence au groupe «L'indépendance comme valeur suprême» (ci-après «POGA») qui a apparemment commencé à organiser des programmes de formation militaire en mars 2021. Il soutient en outre que le Gouvernement arménien est responsable d'une «campagne de désinformation anti-azerbaïdjanaise sur les réseaux sociaux qui est toujours en cours». Selon l'Azerbaïdjan, en ne condamnant pas ou en n'interdisant pas les opérations de VoMA, de POGA ou de groupes semblables, en glorifiant l'idéologie raciste servant à cibler les personnes d'origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise et en menant, au niveau gouvernemental, une cyber-campagne de désinformation pour essayer «d'attiser les tensions ethniques entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens», l'Arménie viole les droits garantis par les articles 2, 4, 5 et 7 de la CIEDR.
L'Arménie ajoute que l'Azerbaïdjan n'a pas démontré qu'elle mène des cyberopérations de désinformation visant à inciter à la haine anti-Azerbaïdjanais, et elle conclut que les «droits dont l'Azerbaïdjan sollicite la protection dans le second volet de la troisième mesure demandée ne sont donc pas plausibles».
«toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique».
Les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la convention, que l'Azerbaïdjan invoque dans sa requête et aux fins de sa demande en indication de mesures conservatoires, se lisent comme suit :
«Article 2
1. Les Etats parties condamnent la discrimination raciale et s'engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l'entente entre toutes les races, et, à cette fin :
a) Chaque Etat partie s'engage à ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions et à faire en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales, se conforment à cette obligation ;
b) Chaque Etat partie s'engage à ne pas encourager, défendre ou appuyer la discrimination raciale pratiquée par une personne ou une organisation quelconque ;
c) Chaque Etat partie doit prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe ;
d) Chaque Etat partie doit, par tous les moyens appropriés, y compris, si les circonstances l'exigent, des mesures législatives, interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations et y mettre fin ;
e) Chaque Etat partie s'engage à favoriser, le cas échéant, les organisations et mouvements intégrationnistes multiraciaux et autres moyens propres à éliminer les barrières entre les races, et à décourager ce qui tend à renforcer la division raciale.
2. Les Etats parties prendront, si les circonstances l'exigent, dans les domaines social, économique, culturel et autres, des mesures spéciales et concrètes pour assurer comme il convient le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou d'individus appartenant à ces groupes en vue de leur garantir, dans des conditions d'égalité, le plein exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ces mesures ne pourront en aucun cas avoir pour effet le maintien de droits inégaux ou distincts pour les divers groupes raciaux, une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient.
Article 3
Les Etats parties condamnent spécialement la ségrégation raciale et l'apartheid et s'engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature.
Article 4
Les Etats parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s'inspirent d'idées ou de théories fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes d'une certaine couleur ou d'une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales ; ils s'engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette fin, tenant compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et des droits expressément énoncés à l'article 5 de la présente Convention, ils s'engagent notamment :
a) A déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement ;
b) A déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande organisée et tout autre type d'activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l'encouragent et à déclarer délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces activités ;
c) A ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques, nationales ou locales, d'inciter à la discrimination raciale ou de l'encourager.
Article 5
Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l'article 2 de la présente Convention, les Etats parties s'engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l'égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :
a) Droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice ;
b) Droit à la sûreté de la personne et à la protection de l'Etat contre les voies de fait ou les sévices de la part soit de fonctionnaires du gouvernement, soit de tout individu, groupe ou institution ;
c) Droits politiques, notamment droit de participer aux élections — de voter et d'être candidat — selon le système du suffrage universel et égal, droit de prendre part au gouvernement ainsi qu'à la direction des affaires publiques, à tous les échelons, et droit d'accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques ;
d) Autres droits civils, notamment :
i) Droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat ;
ii) Droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ;
iii) Droit à une nationalité ;
iv) Droit de se marier et de choisir son conjoint ;
v) Droit de toute personne, aussi bien seule qu'en association, à la propriété ;
vi) Droit d'hériter ;
vii) Droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;
viii) Droit à la liberté d'opinion et d'expression ;
ix) Droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques ;
e) Droits économiques, sociaux et culturels, notamment :
i) Droits au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail, à la protection contre le chômage, à un salaire égal pour un travail égal, à une rémunération équitable et satisfaisante ;
ii) Droit de fonder des syndicats et de s'affilier à des syndicats ;
iii) Droit au logement ;
iv) Droit à la santé, aux soins médicaux, à la sécurité sociale et aux services sociaux ;
v) Droit à l'éducation et à la formation professionnelle ;
vi) Droit de prendre part, dans des conditions d'égalité, aux activités culturelles ;
f) Droit d'accès à tous lieux et services destinés à l'usage du public, tels que moyens de transport, hôtels, restaurants, cafés, spectacles et parcs.
Article 6
Les Etats parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d'Etat compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales, ainsi que le droit de demander à ces tribunaux satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage dont elle pourrait être victime par suite d'une telle discrimination.
Article 7
Les Etats parties s'engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces, notamment dans les domaines de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et de l'information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre nations et groupes raciaux ou ethniques, ainsi que pour promouvoir les buts et principes de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la Déclaration des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la présente Convention.»
En ce qui concerne les droits que l'Azerbaïdjan prétend tenir de la CIEDR relativement au comportement présumé de l'Arménie s'agissant des mines terrestres, la Cour rappelle que, selon l'Azerbaïdjan, le comportement en question s'inscrit dans le cadre d'une politique de nettoyage ethnique menée de longue date. Elle convient qu'une politique consistant à éloigner des personnes sur la base de leur origine nationale ou ethnique d'une région donnée, et à les empêcher d'y revenir, peut faire intervenir des droits garantis par la CIEDR, et qu'une telle politique peut être exécutée par divers moyens militaires. Cependant, elle ne considère pas que la CIEDR impose de manière plausible à l'Arménie une quelconque obligation de prendre des mesures pour permettre à l'Azerbaïdjan de procéder au déminage, ou de cesser définitivement ses opérations de minage. L'Azerbaïdjan n'a pas produit devant la Cour d'éléments de preuve démontrant que le comportement allégué de l'Arménie s'agissant des mines terrestres ait «pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité», des droits des personnes d'origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise.
La Cour en vient maintenant à la condition du lien entre les droits revendiqués par l'Azerbaïdjan et les mesures conservatoires sollicitées. Elle rappelle à cet égard que seuls certains des droits revendiqués par l'Azerbaïdjan ont été jugés plausibles à ce stade de la procédure. Elle se bornera par conséquent à rechercher si le lien requis existe entre ces droits et les mesures sollicitées par l'Azerbaïdjan.
L'Azerbaïdjan estime que chacune des mesures conservatoires sollicitées est manifestement liée aux droits qu'il cherche à protéger. En particulier, s'agissant de la mesure tendant à ce qu'il soit ordonné à l'Arménie d'empêcher certains groupes de tenir des discours de haine, ainsi que de mettre fin et de renoncer à la cyber-campagne de désinformation qu'elle serait toujours en train de mener, l'Azerbaïdjan affirme que cette mesure vise à protéger les personnes d'origine azerbaïdjanaise des discours de haine racistes et du risque de violence ethnique et, par conséquent, est directement liée aux droits dont il se prévaut au titre de la CIEDR.
La Cour n'a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires, à établir l'existence de violations de la CIEDR, mais doit déterminer si les circonstances exigent l'indication de telles mesures à l'effet de protéger certains droits conférés par cet instrument. Elle ne peut pas, à ce stade, conclure de façon définitive sur les faits, et sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires laisse intact le droit de chacune des Parties de faire valoir à cet égard ses moyens au fond.
L'Azerbaïdjan fait valoir que l'Arménie a incité et continue d'inciter à la haine et à la violence contre les Azerbaïdjanais en permettant à des groupes xénophobes armés de recruter des membres, de lever des fonds et d'avoir des centres d'entraînement. Il affirme en particulier que VoMA, qui a pour objectif déclaré «de créer sur des bases ethniques une «armée-nation» arménienne et de préparer l'Etat arménien mono-ethnique face à la «menace» supposée que constituent les Azerbaïdjanais», utilise la peur et la haine des Azerbaïdjanais comme instruments de recrutement, diffuse régulièrement des messages véhiculant l'idée de la supériorité raciale, et arme les Arméniens et les entraîne en prévision d'une guerre ethnique contre les personnes d'origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise. De plus, selon lui, la menace de violence pesant sur ces dernières est exacerbée par «l'intensification des appels aux armes» que lance VoMA qui, dans son dernier rapport d'activité portant sur septembre 2021, a déclaré avoir formé des dizaines de personnes et d'instructeurs dans l'ensemble de l'Arménie et sollicité des dons pour acquérir des véhicules et des armes afin d'«enseigner la pratique des armes et [d']assurer la protection dans les zones peuplées longeant les frontières». L'Azerbaïdjan ajoute que, en s'abstenant de condamner ou d'interdire les groupes paramilitaires anti-Azerbaïdjanais, l'Arménie a permis à des organisations telles que VoMA et POGA, qui ont apparemment commencé à organiser des programmes d'entraînement militaire en mars 2021 pour préparer les Arméniens à la guerre, de proliférer sur son territoire. L'Azerbaïdjan estime qu'il est dès lors urgent de protéger les Azerbaïdjanais contre de nouveaux discours de haine et actes de violence fondés sur leur origine nationale ou ethnique, et que les effets psychologiques de cette constante menace de violence peuvent causer un préjudice irréparable aux droits des intéressés.
L'Arménie nie qu'il existe un risque réel et imminent qu'un préjudice irréparable soit causé aux droits de l'Azerbaïdjan en lien avec le reproche que celui-ci lui fait d'«incite[r] à la haine et à la violence ethniques en s'abstenant de réprimer ou de punir de prétendus groupes xénophobes armés». Elle soutient que les objectifs de ces organisations n'ont rien à voir avec l'incitation à la haine raciale et à la violence à caractère raciste contre les personnes d'origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise. En particulier, elle affirme que VoMA est une organisation non gouvernementale qui mène des activités de préparation et de formation théorique et pratique aux situations d'urgence et à la défense civile et militaire dans le but de «réveiller le peuple arménien». L'Arménie invoque en outre l'obligation de respecter le droit à la liberté d'opinion et d'expression dont il convient selon elle de tenir compte en examinant la portée de l'article 4 de la CIEDR, et relève que seules les déclarations «exceptionnellement/manifestement agressives» (les italiques sont d'elle) ne peuvent pas bénéficier de la protection offerte par la condition énoncée à l'article 4, qui veut que les Etats parties agissent «en tenant dûment compte» de cette obligation. S'agissant des déclarations faites par VoMA, l'Arménie reconnaît qu'elles pourraient être jugées nationalistes, patriotiques et parfois offensantes, voire polémiques, mais nie qu'elles puissent être considérées comme des faits d'incitation à la haine et à la violence contre un groupe ethnique. En conséquence, la défenderesse affirme que l'Azerbaïdjan n'a ni démontré qu'elle ait permis à des groupes militants xénophobes — que sont par exemple VoMA et POGA, selon l'Azerbaïdjan — de proliférer, ni apporté la preuve que des faits d'incitation à la haine raciale puissent être imputés à ces organisations ou à des organisations analogues. Dès lors, l'Azerbaïdjan n'a pas établi l'existence d'un risque imminent de préjudice irréparable.
La Cour rappelle en outre que l'Azerbaïdjan l'a priée d'indiquer des mesures conservatoires prescrivant à l'Arménie de «prendre des dispositions pour que soient effectivement garantie la collecte, empêchée la destruction et assurée la préservation des éléments de preuve associés [à des] cas allégués de crimes perpétrés contre des Azerbaïdjanais en raison de leur appartenance ethnique» et de rendre compte régulièrement de la mise en œuvre des mesures qu'elle aurait ordonnées. La Cour estime cependant que, dans les circonstances particulières de l'espèce, ces demandes ne sont pas justifiées.
La Cour réaffirme que ses «ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l'article 41 [du Statut] ont un caractère obligatoire» (LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d'Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109) et créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées.
La Cour réaffirme en outre que la décision rendue en la présente procédure ne préjuge en rien la question de sa compétence pour connaître du fond de l'affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même. Elle laisse intact le droit des Gouvernements de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie de faire valoir leurs moyens en la matière.
LA COUR,
Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :
1) A l'unanimité,
La République d'Arménie doit, conformément aux obligations que lui impose la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher l'incitation et l'encouragement à la haine raciale, y compris par des organisations ou des personnes privées sur son territoire, contre les personnes d'origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise ;
2) A l'unanimité,
Les deux Parties doivent s'abstenir de tout acte qui risquerait d'aggraver ou d'étendre le différend dont la Cour est saisie ou d'en rendre le règlement plus difficile.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le sept décembre deux mille vingt et un, en trois exemplaires, dont l'un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République d'Azerbaïdjan et au Gouvernement de la République d'Arménie.
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