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Arrêt - Exceptions préliminaires

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Le 19 juin 1962, l’ambassadeur de Belgique aux Pays-Bas a remis au Greffier la requête introductive « d’une nouvelle instance relative au différend opposant le Gouvernement belge au Gouvernement espagnol

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au sujet de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited ». La requête se réfère à une requête précédente du Gouvernement belge contre le Gouvernement espagnol datée du 15 septembre 1958 et visant la même société. Cette requête, déposée le 23 septembre 1958, avait été suivie du dépôt par les Parties d’un mémoire et d’exceptions préliminaires, puis d’un désistement fondé sur l’article 69 du Règlement et auquel le défendeur avait déclaré, aux termes du même article, ne pas faire opposition. Par ordonnance du 10 avril 1961, la Cour avait prescrit la radiation de l’affaire sur son rôle.

La requête du Gouvernement belge du 19 juin 1962 a pour objet la réparation du préjudice qui aurait été causé à un certain nombre de ressortissants belges présentés comme actionnaires de la société de droit canadien Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, par le comportement, prétendu contraire au droit des gens, de divers organes de l’Etat espagnol à l’égard de cette société et d’autres sociétés de son groupe. Pour établir la juridiction de la Cour, la requête invoque l’article 17 du traité de conciliation, de règlement judiciaire et d’arbitrage entre la Belgique et l’Espagne, signé le 19 juillet 1927, ainsi que l’article 37 du Statut de la Cour.

Conformément à l’article 40, paragraphe 2, du Statut de la Cour, la requête a été communiquée au Gouvernement espagnol. Conformément au paragraphe 3 du même article, les autres Membres des Nations Unies, ainsi que les Etats non membres admis à ester en justice devant la Cour, en ont été informés.

Les délais pour le dépôt du mémoire et du contre-mémoire ont été fixés par ordonnance du 7 août 1962. Le mémoire a été déposé dans le délai fixé. Dans le délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire et qui expirait le 15 mars 1963, le Gouvernement espagnol a présenté des exceptions préliminaires concluant les unes à l’incompétence de la Cour et les autres à l’irrecevabilité de la demande. En conséquence, une ordonnance du 16 mars 1963, constatant qu’en vertu de l’article 62, paragraphe 3, du Règlement, la procédure sur le fond était suspendue, a fixé un délai pour le dépôt par le Gouvernement belge d’un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions. Cet exposé a été présenté dans le délai ainsi fixé, qui expirait le 15 août 1963. L’affaire s’est trouvée alors en état pour ce qui est des exceptions préliminaires.

En application de l’article 31, paragraphe 3, du Statut, ont été désignés pour siéger comme juges ad hoc dans la présente affaire : par le Gouvernement belge, M. W. J. Ganshof van der Meersch, professeur à la Faculté de droit de Bruxelles, avocat général à la Cour de cassation de Belgique, et par le Gouvernement espagnol, M. Enrique C. Armand-Ugon, ancien président de la Cour suprême de justice de l’Uruguay et ancien membre de la Cour internationale de Justice.

Des audiences ont été tenues du 11 au 25 mars, du 1er au 23 avril, du 27 au 29 avril, du 4 au 15 mai et le 19 mai 1964, durant lesquelles ont

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été entendus en leurs plaidoiries et réponses pour le Gouvernement espagnol, M. Castro-Rial, agent, M. Reuter, sir Humphrey Waldock, MM. Guggenheim, Ago, Malintoppi, conseils ; et pour le Gouvernement belge, M. Devadder, agent, MM. Rolin, Van Ryn, Serení, Mme Bastid, MM. Lauterpacht, Sauser-Hall, conseils.

Dans la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :

Au nom du Gouvernement belge, dans la requête :

« Plaise à la Cour :

1. dire et juger que les mesures, actes, décisions et omissions des organes de l’Etat espagnol décrits dans la présente requête sont contraires au droit des gens et que l’Etat espagnol est tenu, à l’égard de la Belgique, de réparer le préjudice qui en est résulté pour les ressortissants belges, personnes physiques et morales, actionnaires de la Barcelona Traction ;

2. dire et juger que cette réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences que ces actes contraires au droit des gens ont eues pour lesdits ressortissants et que l’Etat espagnol est tenu, dès lors, d’assurer, si possible, l’annulation du jugement de faillite et des actes judiciaires et autres qui en ont découlé, en assurant aux ressortissants belges lésés tous les effets juridiques devant résulter pour eux de cette annulation ; déterminer, en outre, l’indemnité à verser par l’Etat espagnol à l’Etat belge à raison de tous les préjudices accessoires subis par les ressortissants belges par suite des actes incriminés, en ce compris la privation de jouissance et les frais exposés pour la défense de leurs droits ;

3. dire et juger, au cas où l’effacement des conséquences des actes incriminés se révélerait impossible, que l’Etat espagnol sera tenu de verser à l’Etat belge, à titre d’indemnité, une somme équivalant à 88% de la valeur nette de l’affaire au 12 février 1948 ; cette indemnité devant être augmentée d’une somme correspondant à tous les préjudices accessoires subis par les ressortissants belges par suite des actes incriminés, en ce compris la privation de jouissance et les frais exposés pour la défense de leurs droits » ;

dans le mémoire :

« Plaise à la Cour :

I. Dire et juger que les mesures, actes, décisions et omissions des organes de l’Etat espagnol décrits dans le présent mémoire sont

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contraires au droit des gens et que l’Etat espagnol est tenu, à l’égard de la Belgique, de réparer le préjudice qui en est résulté pour les ressortissants belges, personnes physiques et morales, actionnaires de la Barcelona Traction.

II. Dire et juger que cette réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences que ces actes contraires au droit des gens ont eues pour lesdits ressortissants et que l’Etat espagnol est tenu, dès lors, si possible, d’assurer par voie administrative l’annulation du jugement de faillite ét des actes judiciaires et autres qui en ont découlé, en assurant auxdits ressortissants belges lésés tous les effets juridiques devant résulter pour eux de cette annulation ; déterminer, en outre, l’indemnité à verser par l’Etat espagnol à l’Etat belge à raison de tous les préjudices accessoires subis par les ressortissants belges par suite des actes incriminés, en ce compris la privation de jouissance et les frais exposés pour la défense de leurs droits.

III. Dire et juger, au cas où l’effacement des conséquences des actes incriminés se révélerait impossible, que l’Etat espagnol sera tenu de verser à l’Etat belge, à titre d’indemnité, une somme équivalant à 88% du montant de $88 600 000 fixé au paragraphe 379 du présent mémoire, cette indemnité devant être augmentée d’une somme correspondant à tous les préjudices accessoires subis par lesdits ressortissants belges par suite des actes incriminés, en ce compris la privation de jouissance, les frais exposés pour la défense de leurs droits et l’équivalent en capital et intérêts du montant des obligations de la Barcelona Traction détenues par des ressortissants belges et de leurs autres créances à charge des sociétés du groupe, dont le recouvrement n’a pu avoir lieu par suite des actes dénoncés. »

Au nom du Gouvernement espagnol, dans les exceptions préliminaires, sur la première exception préliminaire :

« Plaise à la Cour, dire et juger :

qu’elle est incompétente pour recevoir ou pour juger la réclamation formulée dans la requête belge de 1962, toute juridiction de la Cour pour décider des questions se référant à cette réclamation, soit à la compétence, à la recevabilité ou au fond, ayant pris fin par les lettres des Gouvernements belge et espagnol en date, respectivement, du 23 mars et du 5 avril 1961, et dont la Cour a pris acte dans son ordonnance du 10 avril 1961 » ;

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sur la deuxième exception préliminaire principale :

« Plaise à la Cour, dire et juger :

qu’elle est incompétente pour connaître ou décider des demandes formulées par la requête et le mémoire du Gouvernement belge, l’article 17 du traité de conciliation, de règlement judiciaire et d’arbitrage n’ayant pas créé entre l’Espagne et la Belgique un lien de juridiction obligatoire devant la Cour internationale de Justice qui puisse permettre au Gouvernement belge de soumettre une requête à cette Cour » ;

sur la deuxième exception préliminaire subsidiaire :

« Plaise à la Cour, dire et juger :

qu'elle est incompétente pour connaître ou décider des demandes formulées par la requête et le mémoire belges, le différend soulevé par la Belgique étant né et se rapportant à des situations et des faits antérieurs à la date à laquelle la juridiction de la Cour aurait pu déployer ses effets dans les relations entre l’Espagne et la Belgique (14 décembre 1955) » ;

sur la troisième exception préliminaire :

« Plaise à la Cour, dire et juger :

que la demande formulée par le Gouvernement belge dans sa requête et dans son mémoire, dans toutes et chacune des trois conclusions dans lesquelles elle est articulée, est définitivement irrecevable pour défaut de qualité du Gouvernement belge, dans la présente affaire, étant donné que la société Barcelona n’a pas la nationalité belge et que dans le cas d’espèce, l’on ne saurait admettre une action diplomatique ou judiciaire internationale en faveur des prétendus actionnaires belges de la société pour le préjudice que cette dernière affirme avoir subi » ;

sur la quatrième exception préliminaire :

« Plaise à la Cour, dire et juger :

que la requête introduite par le Gouvernement belge au sujet du prétendu préjudice causé à la Barcelona Traction par les mesures dont elle a été l’objet de la part des organes de l’Etat espagnol, est définitivement irrecevable pour défaut d’utilisation des voies de recours internes.»

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Au nom du Gouvernement belge,

dans les observations et conclusions en réponse aux exceptions préliminaires,

sur la première exception préliminaire :

« Plaise à la Cour,

dire et juger que les moyens invoqués par le Gouvernement espagnol sont irrecevables dans la mesure où ce gouvernement se prévaut de prétendues équivoques qu’il n’a pas dissipées comme il en avait le devoir et la possibilité ;

que ces moyens sont en toute hypothèse non fondés et que le désistement de l’instance introduite par la requête du 15 septembre 1958 ne fait nullement obstacle à l’introduction d’une nouvelle requête, le différend entre les Parties n’ayant fait l’objet d’aucun règlement amiable et subsistant encore aujourd’hui » ;

sur la deuxième exception préliminaire principale :

« Plaise à la Cour,

dire et juger que l’exception préliminaire n° 2 est irrecevable ;

subsidiairement, qu’elle est compétente pour connaître et décider des demandes formulées par le Gouvernement belge par requête fondée sur l’article 17, paragraphe 4, du traité hispano-belge de 1927 et l’article 37 du Statut de la Cour internationale de Justice » ;

sur la deuxième exception préliminaire subsidiaire :

« Plaise à la Cour,

rejeter l’exception préliminaire subsidiaire n° 2 présentée par le Gouvernement espagnol et se déclarer compétente pour connaître du différend qui lui a été soumis par requête du Gouvernement belge » ;

sur la troisième exception préliminaire :

« Plaise à la Cour :

rejeter l’exception préliminaire n° 3 soulevée par le Gouvernement espagnol et déclarer le Gouvernement belge recevable en sa demande ;

subsidiairement, surseoir à statuer sur cette exception n° 3 et la joindre au fond de la cause » ;

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sur la quatrième exception préliminaire :

« Plaise à la Cour :

déclarer l’exception n° 4 non fondée, sauf à la joindre au fond et à surseoir à statuer en tant qu’elle s’applique à certains des griefs formulés dans la demande du Gouvernement belge contre les décisions des autorités judiciaires espagnoles. »

Au cours de la procédure orale, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :

Au nom du Gouvernement belge, à l’issue de l’audience du 23 avril 1964 :

« Plaise à la Cour

dire et juger que les moyens invoqués par le Gouvernement espagnol à l’appui de l’exception préliminaire n° 1 sont irrecevables dans la mesure où ce gouvernement se prévaut de prétendues équivoques qu’il n’a pas dissipées comme il en avait le devoir et la possibilité ;

que ces moyens sont, en toute hypothèse, non fondés et que le désistement de l’instance introduite par la requête du 15 septembre 1958 ne fait nullement obstacle à l’introduction d’une nouvelle requête, le différend entre les Parties subsistant encore aujourd’hui ; dire et juger que l’exception préliminaire principale n° 2 est irrecevable ;

subsidiairement, la déclarer non fondée et dire et juger que la Cour est compétente pour connaître et décider des demandes formulées par le Gouvernement belge par requête s’appuyant sur l’article 17, paragraphe 4, du traité hispano-belge du 19 juillet 1927 et l’article 37 du Statut de la Cour internationale de Justice ;

rejeter l’exception préliminaire subsidiaire n° 2 présentée par le Gouvernement espagnol ;

dire et juger que la Cour est compétente pour connaître et décider des demandes formulées par le Gouvernement belge par requête fondée sur l’article 17, paragraphe 4, du traité hispano-belge du 19 juillet 1927 et l’article 37 du Statut de la Cour internationale de Justice, aucune limitation ratione temporis ne pouvant être valablement opposée à cette compétence ;

écarter comme sans pertinence dans la présente instance l’exception préliminaire n° 3 en tant qu’elle se fonde sur une prétendue protection par le Gouvernement demandeur de la société de droit canadien Barcelona Traction ;

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rejeter pour le surplus ladite exception en tant qu’elle vise à faire refuser au Gouvernement demandeur le droit de prendre dans la présente affaire fait et cause pour ses ressortissants, personnes physiques et morales, qui sont actionnaires de la Barcelona Traction ;

subsidiairement, joindre la troisième exception au fond ; rejeter l’exception préliminaire n°4 ;

subsidiairement, dans le cas où la Cour estimerait, à l’égard de certains griefs, ne pas pouvoir reconnaître l’usage suffisant des voies de recours interne les concernant sans examiner le contenu et la valeur des décisions judiciaires espagnoles par lesquelles les recours effectivement intentés ont été exécutés, joindre l’exception au fond. »

Au nom du Gouvernement espagnol, à l’issue de l’audience du 8 mai 1964 :

« Plaise à la Cour :

Pour l’un quelconque de ces motifs, et tous autres énoncés dans la procédure écrite et orale, ou pour tous ces motifs à la fois,

Premièrement, du fait que toute juridiction de la Cour pour décider des questions se référant à la réclamation formulée dans la nouvelle requête belge de 1962, quant à la compétence, quant à la recevabilité ou quant au fond, a pris fin à la suite des lettres des Gouvernements belge et espagnol, en date, respectivement, du 23 mars et du 5 avril 1961, et dont la Cour a pris acte dans son ordonnance du 10 avril 196Ï ;

Deuxièmement, du fait que la Cour est incompétente pour connaître de la présente affaire, la clause juridictionnelle de l’article 17 du traité de conciliation, de règlement judiciaire et d’arbitrage du 19 juillet 1927 n’ayant pas créé entre l’Espagne ét la Belgique un lien de juridiction permettant au Gouvernement belge de soumettre le différend de la Barcelona Traction à la Cour internationale de Justice ;

Troisièmement, du fait que le Gouvernement belge est sans qualité en la présente affaire, étant donné que la société Barcelona Traction, qui reste toujours le destinataire de la réclamation soumise à la Cour, n’a pas de nationalité belge ; et étant donné également que l’on ne saurait admettre en l’espèce une demande quelconque au titre de la protection de ressortissants belges, actionnaires de la Barcelona Traction, le principal de ces ressortissants n’ayant pas la qualité juridique d’actionnaire de la Barcelona Traction, et le droit international n’admettant pas, en cas de préjudice causé par un Etat à une société étrangère, une protection diplomatique d’actionnaires exercée par un Etat autre que l’Etat national de la société ;

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Quatrièmement, du fait que les voies et moyens de recours interne n’ont pas été utilisés par la Barcelona Traction, ainsi que l’exige le droit international ;

dire et juger :

que la requête introduite par le Gouvernement belge le 14 juin 1962 ainsi que les conclusions finales qu’il a présentées sont définitivement irrecevables. »

Dans la présente affaire, le Gouvernement demandeur prétend que des intérêts belges dans une société constituée au Canada, la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, ont été atteints et lésés par suite du traitement dont cette société aurait été l’objet en Espagne et qui engagerait la responsabilité internationale du Gouvernement défendeur. A l’encontre de la requête belge, le Gouvernement défendeur a présenté quatre exceptions visant la compétence de la Cour ou la recevabilité de la demande èt ayant selon lui un caractère préliminaire. Brièvement résumées, ces exceptions sont les suivantes :

1. le fait qu’il a été mis fin, en application de l’article 69, paragraphe 2, du Règlement de la Cour, à l’instance antérieure relative aux mêmes événements survenus en Espagne a enlevé au Gouvernement demandeur le droit d’introduire la présente instance ;

2. même si tel n’est pas le cas, la Cour n’est pas compétente car la base juridictionnelle indispensable pour obliger l’Espagne à se soumettre à la juridiction de la Cour n’existe- pas ;

3. même si la Cour est compétente, la demande est irrecevable parce que le Gouvernement demandeur n’a aucunement qualité pour intervenir ou présenter une demande au nom d’intérêts belges dans une société canadienne, à supposer que le caractère belge de ces intérêts soit établi ;

4. même si le Gouvernement demandeur a la qualité voulue pour agir, la demande n’en demeure pas moins irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés à l’égard des griefs et du préjudice qui auraient été causés.

Première exception préliminaire 

La première requête que la Belgique adressa à la Cour au sujet de faits qui, d’après elle, engageaient la responsabilité du Gouvernement défendeur et autorisaient le Gouvernement demandeur à intervenir fut déposée

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le 23 septembre 1958 et suivie, en temps voulu, du dépôt du mémoire belge puis de plusieurs exceptions préliminaires espagnoles ayant le même caractère que les deuxième, troisième et quatrième exceptions préliminaires formulées en la présente affaire. Toutefois, avant la réception des observations belges relatives à ces exceptions (la procédure sur le fond ayant été suspendue en vertu de l’article 62, paragraphe 3, du Règlement), les représentants des intérêts privés belges et espagnols en cause décidèrent d’engager des négociations en vue d’un arrangement. Eu égard à cette décision, le Gouvernement demandeur porta à la connaissance de la Cour le 23 mars 1961, dans des circonstances qui seront ultérieurement exposées de façon plus complète, que : « A la demande de ressortissants belges dont la protection [avait] motivé l’introduction de la requête relative à l’affaire [et] faisant usage de la faculté que lui [donnait] l’article 69 du Règlement de la Cour, il [renonçait] à poursuivre l’instance introduite par ladite requête. » La lettre de désistement ne disait rien de plus quant aux motifs du désistement, ni quant aux intentions du demandeur pour l’avenir. L’article 69, paragraphe 2, du Règlement étant en l’espèce applicable car la Partie défenderesse avait fait acte de procédure, le désistement ne pouvait devenir définitif que si, dans un délai que la Cour avait à préciser, aucune opposition n’était faite par le Gouvernement défendeur. Dans le délai ainsi fixé, ce gouvernement notifia effectivement qu’il « ne [formulait] pas d’opposition à ce désistement ». Cette notification n’était assortie d’aucun motif ni d’aucune condition et, le 10 avril 1961, la Cour rendit une ordonnance aux termes de l’article 69, paragraphe 2, «prenant acte [du désistement] et prescrivant la radiation de l’affaire sur le rôle ». Ultérieurement, des discussions entre des représentants des intérêts privés en cause eurent lieu mais, faute d’accord, la requête introduisant la présente instance fut déposée le 19 juin 1962.

Le Gouvernement demandeur soutient que le désistement dont la Cour a pris acte dans son ordonnance du 10 avril 1961 a simplement mis fin à l’instance alors pendante devant la Cour et que, les négociations en considération desquelles le désistement avait eu lieu n’ayant pas abouti, le demandeur était pleinement fondé à introduire une nouvelle procédure du chef des mêmes griefs. Le Gouvernement défendeur, de son côté, affirme que, tant en principe qu’en tenant compte des circonstances de l’affaire, ce désistement empêchait le Gouvernement demandeur d’introduire toute nouvelle procédure et en particulier la présente procédure.

Les principaux arguments avancés par le défendeur à l’appui de sa thèse sont les suivants :

premièrement, un désistement intervenu en application de l’article 69 du Règlement est en soi un acte purement procédural dont la portée

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réelle ne peut être établie que par référence aux circonstances de l’espèce, le fait qu’il ne contienne pas de renonciation expresse à tout droit d’action pour l’avenir n’étant pas concluant ;

deuxièmement, néanmoins, il faut en principe admettre qu’un désistement emporte renonciation, à moins que le contraire ne soit exprimé ou que le droit d’agir ne soit expressément réservé pour l’avenir ;

troisièmement, en la présente affaire, il y a eu une entente entre les Parties d’où il résulte que le désistement impliquait une telle renonciation et était définitif non seulement à l’égard de l’instance en cours, mais encore pour l’avenir ;

quatrièmement, même en l’absence d’une telle entente, le Gouvernement demandeur s’est comporté de manière à faire croire au défendeur que le désistement serait définitif au sens indiqué plus haut ; sinon, le défendeur n’aurait pas donné son consentement au désistement et, partant, n’aurait pas subi de préjudice ;

enfin, et c’est là un argument d’un ordre quelque peu différent, l’introduction d’une nouvelle instance du chef des mêmes griefs était incompatible avec l’esprit et l’économie du traité en vertu duquel le demandeur a prétendu établir la compétence de la Cour.

Avant d’examiner ces divers arguments, la Cour traitera de certaines questions préalables.

Dans la présente affaire, la Cour est appelée à examiner pour la première fois l’effet d’un désistement suivi d’une instance nouvelle. Cela tient à ce que, d’ordinaire, les désistements ont été définitifs en fait, indépendamment de la question de savoir s’ils auraient été tenus pour tels en droit au cas où l’on aurait tenté d’engager une autre instance. Il y a eu des cas où, tout en étant unilatéral en la forme et donc notifié en application de l’article 69 du Règlement, le désistement résultait d’un règlement du litige ; dans d’autres cas, l’Etat demandeur avait des raisons, qui lui paraissaient présenter un caractère définitif, de ne pas persister dans sa tentative pour faire valoir sa réclamation devant la Cour ; dans d’autres cas encore, il a pu se faire que, après le désistement de la procédure en cours, il n’y ait plus eu de base juridictionnelle sur laquelle fonder une instance nouvelle.

Toutefois, de l’avis de la Cour, ces diverses considérations ont un caractère essentiellement fortuit ; ce n’est pas parce que, dans le passé, les désistements se sont en pratique révélés définitifs que l’on peut en conclure qu’ils comportent en soi et à priori un élément définitif. Il est aisé de le montrer en se référant aux circonstances dans lesquelles la Cour considère que le droit d’introduire une nouvelle instance à la suite d’un désistement ne saurait faire de doute, tout à fait indépendamment de

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la question de savoir si ce désistement a été motivé et si le droit d’action a été réservé pour l’avenir. Que cela puisse se produire est d’ailleurs expressément reconnu dans les exceptions préliminaires du défendeur où, à propos de motifs pouvant justifier un désistement, il est dit :

« Par exemple, il se peut qu’un demandeur ne se désiste d’une instance commencée par lui que parce qu’il s’aperçoit qu’il a commis une erreur de procédure et qu’il a l’intention d’introduire sur-le-champ une nouvelle action. »

On peut envisager d’autres éventualités de cet ordre : il se peut que l’Etat demandeur omette de donner certains préavis qu’un traité applicable rend obligatoires avant qu’une requête puisse être valablement adressée à la Cour ; il se peut que l’Etat demandeur, après avoir cru que les recours internes ont été épuisés, s’aperçoive que tel n’est pas le Gas en fait. Ou bien encore, s’agissant d’une réclamation présentée au nom d’un particulier, il peut résulter d’un témoignage que ce particulier n’est pas, après tout, ressortissant de l’Etat demandeur, ce qui entraîne un désistement ; mais par la suite on peut s’apercevoir de l’inexactitude du témoignage. Il y a maintes autres éventualités. Il est clair d’ailleurs que, dans certains de ces cas, la partie qui se désiste ne peut pas savoir à l’avance s’il sera remédié ultérieurement au défaut ou à l’incapacité qui ont provoqué le désistement, de façon que soit écarté l’obstacle à une réintroduction du procès.

Ces éventualités suffisent à montrer que la nature d’un désistement est une question que l’on ne peut déterminer à priori ; on doit l’examiner en liaison étroite avec les circonstances propres à l’espèce. On doit donc examiner tout désistement en soi pour en déterminer le caractère réel. Il n’est par conséquent pas nécessaire pour la Cour de présenter une discussion exhaustive de la théorie du désistement tel qu’il est régi par les articles 68 et 69 de son Règlement. Mais certains points peuvent toutefois être relevés à titre d’éclaircissement.

Il ressort du caractère inhérent à ces dispositions et de leur rédaction qu’elles ont principalement pour objet de prévoir un moyen de procédure ou plutôt, puisqu’il serait de toute façon impossible d’obliger un Etat demandeur à poursuivre le procès, d’organiser le processus de désistement. Mais ces dispositions ne portent que sur le « comment » et non sur le « pourquoi » des choses. Elles n’imposent, quant à la base sur laquelle le désistement peut s’effectuer, aucune condition si ce n’est que, dans les cas rélevant de l’article 68, les parties doivent être d’accord et que, dans les cas relevant de l'article 69, paragraphe 2, la partie défenderesse ne doit pas faire opposition ; en effet, il est clair qu’il n’y a guère de limitation aux motifs qui peuvent inspirer un désistement et les deux articles ne portent pas sur cet aspect de la question.

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C’est dans cette perspective que la Cour doit maintenant examiner les arguments avancés par le Gouvernement défendeur dans la présente affaire.

Compte tenu de ce qui a été dit de la nature du processus de désistement, la Cour peut accepter la première partie de l’argumentation, d’après laquelle la notification d’un désistement est un acte procédural et, pourrait-on dire, « neutre » dont la véritable signification doit être recherchée dans les circonstances de l’espèce ; d’après laquelle aussi l’absence de renonciation expresse à tout droit d’action pour l’avenir n’est pas concluante et ne suffit pas à établir que cette renonciation n’a pas eu lieu ou que le désistement ne se produit pas dans des circonstances devant empêcher toute instance ultérieure.

Mais, précisément parce qu’elle estime que ce qui précède est un exposé exact de la situation en droit, la Cour ne peut accepter le deuxième argument principal du défendeur selon lequel un désistement doit toujours en principe être considéré comme emportant renonciation, à moins que le contraire ne soit exprimé ou que le droit d’intenter une nouvelle instance ne soit expressément réservé. Les deux thèses se contredisent : un désistement ne peut à la fois être un acte purement procédural et « neutre » et en même temps, prima jade et en principe, opérer renonciation à la réclamation. Point n’est besoin de discuter plus avant cet argument ; il suffira de dire ceci : étant donné qu’une attitude raisonnable et légitime peut, on l’a vu, motiver un désistement sans qu’il soit possible de mettre en, doute le droit d’action pour l’avenir, la Cour serait obligée de conclure que, si une présomption était applicable en la matière, cette présomption jouerait dans le sens opposé à celui que le défendeur prétend et qu’un désistement ne doit pas être considéré comme faisant obstacle à une action pour l’avenir, à moins que le contraire n’apparaisse clairement ou puisse être établi. C’est mal poser le problème que de se demander, comme on l’a fait constamment en l’espèce, quel est l’effet d’un désistement, car un désistement doit toujours et nécessairement avoir le même effet : mettre un terme à l’instance en cours. C’est en cela précisément que réside son caractère avant tout procédural. La vraie question n’est pas de savoir ce que fait le désistement, car cela est évident ; elle est de savoir de qu’il implique, de quoi il résulte et sur quoi il se fonde. Cela doit être établi de façon indépendante, sauf dans les cas où, le désistement étant motivé ou se référant à des actes ou à des engagements des parties ou encore à d’autres circonstances, sa portée est claire et apparente.

Dans la présente espèce, la lettre de désistement du Gouvernement demandeur ne contenait aucun motif, en dehors de l’indication, prêtant d’ailleurs à des déductions diverses, selon laquelle le désistement était fait à la demande des ressortissants belges dont la protection avait motivé le dépôt de la requête initiale. En revanche, le désistement était très clairement lié — et limité.— à cette requête, dont la date et le

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caractère étaient précisés. La lettre ne se référait qu’à « l’instance introduite par ladite requête ».

Dans ces conditions, la Cour considère que, étant admis que la lettre de désistement elle-même ne précisait pas si, oui ou non, le désistement supposait ou avait pour cause une renonciation à tout droit d’action dans l’avenir, cette lettre n’en était pas moins rédigée de façon à imposer au Gouvernement défendeur la charge d’établir que le désistement avait un sens ou un fondement plus large que celui qu’il paraissait avoir et visait autre chose que la décision de mettre fin à l’instance 'alors pendante devant la Cour sous réserve du consentement du défendeur.

Pour faire cette preuve, le défendeur avance deux arguments :

Le premier argument, d’après lequel il y a eu une entente entre les Parties au sujet du désistement, repose sur les éléments suivants : après le début de la première procédure, lorsque les représentants des intérêts privés belges en cause prirent contact avec les représentants des intérêts espagnols en vue de rouvrir les négociations, ils se heurtèrent à un refus ferme de négocier tant qu’il ne serait pas mis définitivement fin à l’affaire portée devant la Cour ; une offre belge tendant à la suspension de la procédure fut rejetée comme insuffisante et le « retrait définitif de la demande » fut exigé ; les représentants belges s’engagèrent alors à solliciter de leur gouvernement un désistement définitif de l’instance ; du côté belge, on comprenait parfaitement que, du côté espagnol, on entendait que le désistement aurait pour effet de mettre un point final à la réclamation ou, en tout cas, à tout droit d’agir pour l’avenir ; les représentants espagnols n’auraient pas accepté de négocier sur une autre base et le Gouvernement défendeur ne se serait pas non plus abstenu de faire opposition au désistement en application de l’article 69, paragraphe 2, du Règlement de la Cour.

Du côté belge, on conteste qu’autre chose que la fin, mais la fin irrévocable, de l’instance alors en cours puisse correspondre à l'intention ou se déduire raisonnablement soit des déclarations belges, soit du libellé de la lettre de désistement elle-même, dont le Gouvernement défendeur était saisi lorsqu’il a signifié son absence d’opposition, et ce eu égard en particulier aux négociations qui étaient sur le point de s’engager.

La Cour constate que, bien qu’il y ait eu divers contacts au niveau des gouvernements, les échanges de vues invoqués ont eu lieu tout d’abord presque exclusivement entre les représentants des intérêts privés en cause. Pour autant qu’ils aient été tenus au courant de ces échanges de vues, les gouvernements ne l’ont manifestement été à ce

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stade qu’à titre non officiel. Pour que les deux gouvernements puissent être en quoi que ce soit engagés par de tels échanges de vues, il faudrait montrer que les représentants des intérêts privés ont agi de manière à lier leurs gouvernements. De cela il n’y a aucune preuve : du côté espagnol, le caractère apparemment très prudent des contacts entre les autorités et les personnes privées exclut même cette possibilité. A cet égard, la Cour rappelle que, lors de la procédure orale, les Parties ont été invitées par la Cour à préciser la situation et à indiquer dans quelle mesure elles prétendaient que les actes des représentants des intérêts privés engageaient la responsabilité des gouvernements ; à cette question, il n’a pas été donné de réponse satisfaisante.

Dans ces conditions, la Cour ne voit aucune raison de s’écarter de la règle générale selon laquelle, s’agissant d’une entente qui existerait entre des Etats parties à un procès porté devant la Cour et qui affecterait leurs droits dans ce procès, elle ne peut tenir compte que des actes et des attitudes des gouvernements ou de leurs agents autorisés ; dans la présente affaire, la Cour ne peut trouver au niveau des gouvernements aucune preuve de l'entente dont le défendeur allègue l’existence. Qui plus est, c’est surtout, semble-t-il, du côté de ce dernier que l’on a le plus hésité à s’engager dans la voie d’une entente sur le désistement.

Indépendamment de ces considérations, la Cour estime que ces divers échanges de vues n’ont pas de caractère concluant. Il semble que les Parties ont volontairement éludé un problème auquel elles désiraient ne pas s'attaquer de peur de compromettre la base même de leurs négociations. Le Gouvernement défendeur a dû comprendre qu’un refus immédiat serait opposé à toute demande officielle par laquelle on aurait prié le Gouvernement demandeur de renoncer définitivement ou de s’engager à renoncer, en se désistant de l’instance en cours, à tout droit d’action pour l'avenir. Quant au demandeur, s’il n’a pas dit qu’il se réservait le droit d’intenter une nouvelle instance en cas d’échec des négociations, il a également évité de donner à penser qu’il renonçait à ce droit. Le désistement effectué répondait pleinement au désir que l’on avait, du côté espagnol, de ne pas négocier tant qu’un procès serait pendant devant la Cour, dans lequel des accusations injurieuses étaient formulées contre des autorités et des ressortissants espagnols ; rien d’autre n’était nécessaire à cette fin. Au surplus, il ne semble pas raisonnable de supposer que, à la veille de négociations difficiles dont le succès était forcément aléatoire, on ait pu avoir, du côté belge, l’intention de renoncer aux avantages que présentait la possibilité de réintroduire l’instance. Cela étant, une démonstration particulièrement certaine de l’entente dont le défendeur allègue l’existence serait nécessaire ; or il n’en est produit aucune.

En tout cas, quelles qu’aient pu être les ambiguïtés des échanges de vues privés et officiels, la Cour considère que c’est nécessairement au Gouvernement défendeur qu’il incombait de préciser sa position ; c’est en effet lui qui, en vertu de l’article 69, paragraphe 2, du Règlement

Deuxième exception préliminaire principale 

S’il est vrai que, pour les motifs indiqués dans l’examen de la première exception préliminaire, le désistement intervenu dans la première procédure engagée devant la Cour n’a pas privé le Gouvernement belge

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défendeur soutient aussi que la Cour actuelle n’a pu être substituée à l’ancienne en vertu de l’article 37 avant cette date, l’Espagne n’étant pas alors partie au Statut, et en conséquence que le traité de 1927 ne contenait plus de clause juridictionnelle valable au moment où l’Espagne est devenue partie au Statut du fait de son admission aux Nations Unies en décembre 1955. Ainsi, dit-on, même si l’Espagne s'est alors trouvée liée en principe-par l’article 37, il n’existait en l’espèce, à cette date, aucune clause de juridiction obligatoire à l’égard de laquelle cette disposition pût jouer pour conférer compétence à la Cour actuelle ; dès lors que l’article 37 ne peut s’appliquer qu’à des clauses juridictionnelles en vigueur, il n’a pu avoir pour effet de remettre en vigueur une ancienne clause, éventualité qui ne peut se réaliser que si les deux parties donnent à nouveau leur consentement exprès.

Une autre manière d’exposer ce qui est fondamentalement la même thèse consiste à dire que l’article 37 ne joue que dans les relations entre Etats parties au Statut qui sont Membres originaires des Nations Unies ou du moins qui sont entrés à l'Organisation ou sont devenus d’une autre manière parties au Statut avant la dissolution de la Cour permanente en avril 1946 ; c’est en effet le seul cas où la Cour actuelle ait pu se substituer à la Cour permanente, dès lors que les clauses juridictionnelles à l’égard desquelles cette substitution devait se produire étaient elles-mêmes encore en vigueur. A partir du moment où une clause de ce genre a été frappée de caducité en raison de la disparition de la Cour permanente, aucune substitution de for n’a été possible, ou plutôt toute question de substitution est devenue sans objet, l’obligation fondamentale de règlement judiciaire n’existant plus. Qui plus est, seuls les Etats déjà parties au Statut avant la dissolution de la Cour permanente peuvent être considérés comme ayant donné un consentement véritable au processus en cause, c’est-à-dire un consentement direct et visant des clauses juridictionnelles encore indubitablement en vigueur. Tout le reste, prétend-on, ne serait que fiction.

La thèse espagnole a été formulée d’autres manières encore, ou elle aurait pu l’être, et on relèvera quelques-unes de ces manières ultérieurement ; mais, sous quelque forme qu’elle puisse se présenter, elle consiste toujours, au fond, dans cette même thèse de base : la dissolution de la Cour permanente a entraîné l’extinction définitive de toutes les clauses juridictionnelles prévoyant un renvoi à cette Cour, à moins que lesdites clauses aient déjà été transformées avant la dissolution, par le jeu de l’article 37 du Statut, en clauses prévoyant le renvoi à la Cour actuelle ; et, lorsqu’il s’agit de clauses juridictionnelles non transformées de cette façon avant la dissolution de la Cour permanente, l’article 37 n’a pas pu opérer ultérieurement la transformation.

Ce raisonnement n’a pas été exposé par le Gouvernement défendeur dans les premiers échanges diplomatiques entre les Parties. Il l’a énoncé

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pour la première fois après la décision rendue par la Cour le 26 mai 1959 en l’affaire relative à l’Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c. Bulgarie) (C.I.J. Recueil 1959, p. 127). Cette affaire visait non pas l’article 37 mais l’article 36, paragraphe 5, du Statut ; elle visait non pas un traité comme le traité hispano-belge de 1927 mais une déclaration unilatérale d’acceptation de la juridiction obligatoire de l’ancienne Cour permanente faite en vertu de la « disposition facultative » de son Statut (art. 36, par. 2). Le défendeur a néanmoins affirmé que les considérations juridiques applicables à cette affaire sont applicables à la présente espèce ; il a avancé des arguments qui mutatis mutandis sont similaires à ceux que l’on avait présentés au nom de la Bulgarie dans cette affaire. La Cour va donc examiner ce problème.

La Cour note d’abord que la décision rendue en l’affaire Israël c. Bulgarie s’est limitée à la seule question de l’applicabilité de l’article 36, paragraphe 5, dans une situation assez inhabituelle, qu’elle n’a fait qu’une référence incidente et de pure forme à l’article 37 et qu’elle a manifestement évité toute conclusion ou même toute discussion, concernant cette disposition, à propos de laquelle elle n’a de toute évidence pas voulu s’engager. La Cour considère en outre qu’il existe entre les deux cas des différences qui exigent que l’affaire actuelle soit traitée de manière indépendante et en elle-même. Non seulement il s’agit d’une catégorie différente d’instrument, en la forme une convention et non une déclaration unilatérale, mais encore la condition essentielle du maintien « en vigueur » qui, dans les cas envisagés par l’article 36, paragraphe 5, porte directement sur la clause juridictionnelle, la déclaration unilatérale elle-même, est dans l’article 37 formellement liée non à la clause en tant que telle, mais à l’instrument — traité ou convention — contenant cette clause et certaines conséquences s’en déduisent qui seront indiquées ultérieurement.

La Cour ne peut davantage négliger d’autres différences qui influent nécessairement sur la question de savoir si elle doit aborder la présente affaire d'une manière indépendante. L’affaire Israël c. Bulgarie était en un sens sui generis. Comme il ressort, entre autres éléments, de certaines opinions individuelles jointes à l’arrêt mais l’approuvant, on aurait pu trancher l’affaire, toujours en faveur de la Bulgarie, en se fondant sur des motifs qui auraient laissé de côté la question particulière de l’effet de la dissolution de la Cour permanente sur le maintien en existence et la validité d’une déclaration non préalablement « transformée » en une acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour actuelle. De plus, toute décision de la Cour relative à l’article 37 ne pourra manquer de toucher un nombre considérable de traités et conventions encore en vigueur prévoyant le renvoi à la Cour permanente, notamment des instruments de nature politique ou technique et certaines conventions générales multilatérales de grande importance qui ont apparemment un caractère durable. Il est donc clair que, quelle que soit la décision de la Ceur en la présente affaire, elle pourra avoir d’importantes conséquences.

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C’est là un facteur dont on ne saurait admettre qu’il influe en quoi que ce soit sur le fondement juridique de la décision ; mais c’est aussi une raison de ne pas considérer la décision comme prédéterminée par celle qui a été rendue, dans des circonstances différentes, en l'affaire Israël c. Bulgarie.

Il convient à ce stade de mentionner brièvement une question traitée au cours de la procédure, celle des autres affaires où l’on a invoqué les articles 36, paragraphe 5, ou 37 du Statut. Aucune ne présente un intérêt direct ; en effet, à l’exception de la déclaration de la Thaïlande en l'affaire du Temple de Préah Vihéar, exceptions préliminaires (C.I J. Recueil 1961, р. 17), toutes les clauses juridictionnelles en question intéressaient des pays qui étaient Membres originaires des Nations Unies et parties originaires au Statut, de sorte que les divers processus indiqués par le Statut étaient déjà achevés à l’égard de ces clauses avant la dissolution de la Cour permanente. Dans l’affaire du Temple de Préah Vihéar, la Thaïlande avait déposé une déclaration ayant pour objet l’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour actuelle par le renouvellement d’une déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour permanente remontant à 1940. La Thaïlande n’était devenue Membre des Nations Unies et partie au Statut qu’après la disparition de la Cour permanente ; aussi avait-on soutenu que, vu la décision rendue en l’affaire Israël с. Bulgarie, la déclaration de 1940 était devenue ipso facto caduque, qu’elle s’était éteinte et n’avait pu par suite être renouvelée, de sorte que la déclaration de 1950 dont l'objet avait été d’opérer ce renouvellement était sans validité juridique. La Cour a néanmoins tranché la question sur une base différente, estimant qu’en envoyant sa notification de renouvellement la Thaïlande avait dû avoir l’intention d’accepter la juridiction d’une cour, quelle qu’elle fût, et que cette cour ne pouvait être que la Cour actuelle puisque la Thaïlande savait que l’ancienne Cour n’existait plus. Donc, bien qu’elle eût fait état d’un renouvellement, la notification, si on l’interprétait bien, avait constitué une acceptation directe de la juridiction obligatoire, visant la présente Cour. Par conséquent, que la déclaration antérieure intéressant la Cour permanente eût ou non été atteinte de caducité, la Thaïlande avait accepté la juridiction obligatoire de la présente Cour. Il est clair que cette affaire n’a aucune pertinence en ce qui concerne celle dont la Cour est aujourd’hui saisie.

C’est pourquoi la Cour considère qu’elle doit trancher la présente affaire d’une manière indépendante et sans autre référence à l’article 36, paragraphe 5, ou aux affaires antérieures qui ont, d’une façon ou d'une autre, porté sur cette disposition ou sur l’article 37 du Statut, et cela alors même que, dans trois d’entre elles, la Cour a effectivement appliqué l’article 37.

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cerne, le renvoi doit être fait (dans le texte anglais : shall be) à la Cour internationale de Justice ou (selon le texte français) c’est cette Cour qui constituera la juridiction compétente.

Deux questions importantes se posent évidemment ici. La première, qui sera étudiée ultérieurement, est de savoir si, tout en se rapportant directement au traité ou à la convention en tant que tels, l’expression « en vigueur » doit néanmoins être considérée comme se rapportant aussi de manière indépendante à la clause juridictionnelle proprement dite. La seconde est de savoir quel sens on doit donner au mot « prévoit ». Il ne s’agit certainement pas de prévoir effectivement en ce moment même car, la Cour permanente n’existant plus, aucun traité ne peut plus le faire. Il s’ensuit que, pour donner un sens rationnel au mot « prévoit » dans son contexte, on doit l’entendre au sens figuré, presque comme s’il était placé entre guillemets, comme s’il visait en tant que tels un traité ou une convention en vigueur prévoyant le renvoi à la Cour permanente ou contenant une clause à cet effet ; c’est simplement une manière commode de définir ou d’identifier la catégorie de différends à l’égard de laquelle compétence est conférée à la Cour internationale de Justice.

On soutient cependant que, comme l’article 37,.pour autant qu’il était applicable, a transféré à la Cour actuelle la juridiction de la Cour permanente, il fallait au moment du transfert que l’ancienne Cour existe encore ; car, sans cela, il n’y aurait plus eu de juridiction à transférer. La Cour considère néanmoins que l’article 37 n’a pas eu en réalité pour effet de « transférer » la juridiction en tant que telle. Ce qui a été institué, c’est une nouvelle Cour dotée d’une juridiction distincte et indépendante qui devait jouer dans les relations entre les parties à son Statut. Pour les clauses juridictionnelles de traités et conventions en vigueur prévoyant le renvoi à la Cour permanente, on aurait pu techniquement adopter le procédé consistant à annexer au Statut la liste de ces instruments. Une telle énumération eo nomine n’aurait laissé aucun doute sur le fait que tout traité indiqué sur la liste était visé, tant qu’il resterait en vigueur, indépendamment de la date d’adhésion des parties au Statut et indépendamment du maintien en existence de la Cour permanente. Au lieu d’employer une procédure aussi lourde, on est parvenu au même résultat en s’appuyant sur le facteur commun à toutes ces clauses juridictionnelles, à savoir qu’elles prévoyaient le renvoi à la Cour permanente. En mentionnant ce facteur commun, l’article 37 identifiait et définissait la catégorie en cause et rien d’autre n’était nécessaire.

La Cour examinera maintenant la question de la portée à attribuer dans l’article 37 à l’expression « en vigueur ». D’après le texte même, cette expression se rapporte uniquement aux traités et conventions en cause en tant que tels. Mais on ne peut admettre que cela soit absolument concluant en soi, car il faut prendre en considération non seulement

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ce que l’article 37 avait pour objet de faire mais aussi ce qu’il n’avait pas pour objet de faire. Son objet était d’écarter du domaine juridictionnel une menace donnée, à savoir l’extinction de certaines dispositions conventionnelles qui, sans cela, résulterait de la dissolution de la Cour permanente. Mais il n’avait pas d’autre objet. Il n’avait pas pour objet de créer une juridiction obligatoire nouvelle qui n’aurait pas existé avant la dissolution. Il n’avait pas non plus pour objet, en conservant la juridiction existante, d’empêcher que jouent d’autres causes d’extinction de ces dispositions conventionnelles en dehors de la disparition de la Cour permanente. C’est uniquement en ce sens qu’il est exact de dire que l’on doit rechercher non seulement si le traité ou la convention est encore en vigueur mais également si sa clause juridictionnelle est elle aussi encore en vigueur. Or, précisément parce que l’article 37 avait pour seul but d’éviter l’extinction résultant de la cause particulière qu’allait être la disparition de la Cour permanente, on ne saurait admettre que cette extinction découle en fait de cet événement lui-même. Une telle possibilité n’impliquerait pas seulement une contradiction dans les termes ; elle irait à l’encontre de l’intention et du but de l’article.

Pour justifier l’argument contraire, on cherche à faire une distinction entre les Etats, selon qu’ils sont devenus parties au Statut avant ou après la dissolution de la Cour permanente. Mais ce n’est pas un argument en soi ; en effet, la distinction ainsi invoquée n’est qu’un élément, un autre aspect de la même question fondamentale, qui est l’effet de cette dissolution sur le statut des clauses juridictionnelles, puisque la seule question que pose la date d’admission aux Nations Unies, si elle a été postérieure à la dissolution, est de savoir s’il existait encore des clauses juridictionnelles à l’égard desquelles l’article 37 pouvait produire effet. Telle est donc la seule manière d’établir une distinction entre les diverses parties au Statut ; toute autre distinction serait purement arbitraire et ne pourrait être déduite de l’article 37 lui-même qui, au contraire, parle des « parties au présent Statut » et non des présentes parties au Statut. Mis à part les effets supposés de la dissolution, la règle ordinaire du droit des traités doit par conséquent s’appliquer : à moins que le traité ou la disposition en question n’indique expressément une différence ou une distinction, des expressions telles que les parties au statut, les parties à la présente convention, les parties contractantes ou les membres de l’organisation s’appliquent également et indifféremment à tous les Etats participants, à une époque quelconque, quelles que soient les dates de ratification, d’adhésion, d’admission, etc.

En conséquence, puisque la Cour ne peut admettre, pour les motifs qui viennent d’être indiqués, que la dissolution de la Cour permanente ait pu entraîner la caducité ou l’abrogation de l’une quelconque des clauses juridictionnelles en question, elle doit conclure que la date à laquelle le défendeur est devenu partie au Statut est sans pertinence.

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D’autres considérations viennent encore renforcer cette manière de voir ; en effet, s’il ressort clairement de ce qui a été dit antérieurement au sujet des origines de l’article 37 que sa portée devait être large, il est également clair que, eût-on admis ce qui peut être appelé pour plus de commodité l’argument de la dissolution, non seulement on aurait gravement compromis l’objectif visé mais encore fort probablement, pour autant que les rédacteurs de l’article 37 pouvaient le dire à l’époque, on aurait presque totalement empêché cet article de répondre à son objet.

Pendant la période d’avril à juin 1945, il était impossible de prévoir quand la Cour permanente serait dissoute ni quand, et sur la base de combien de ratifications, la Charte des Nations Unies entrerait en vigueur. Si les circonstances avaient retardé cette entrée en vigueur ou si celle-ci s’était produite sur la base d’un nombre relativement faible de ratifications, on aurait pu se trouver, à supposer que l’argument de la dissolution soit exact, dans une situation telle que maintes clauses juridictionnelles ou même peut-être la plupart d’entre elles eussent échappé à l’application de l’article 37, résultat qui aurait certainement été contraire aux intentions des rédacteurs de cet article. On a dit au cours de la procédure orale que, si ces éventualités avaient risqué de se réaliser, on aurait pu y remédier et on y aurait remédié en prenant des mesures pour différer la dissolution de la Cour permanente. Cela met bien en lumière les véritables intentions des rédacteurs de l’article 37, qui étaient de rendre inutile un tel report, car quelle que fût la date de l’entrée en vigueur de la Charte ou de la dissolution de la Cour permanente et quelle que lût la date d’adhésion d’un Etat au Statut, l’article 37 devait assurer par avance la sauvegarde des clauses juridictionnelles pertinentes, en faisant en sorte qu’elles confèrent compétence à la présente Cour entre parties au Statut. Tel était son but.

On objecte que cette manière de voir aboutit, dans un cas comme celui du Gouvernement défendeur, à une situation où, même si la clause juridictionnelle en question continue à exister, elle cesse nécessairement d’être applicable et ne peut être invoquée par l’autre partie au traité qui la contient ; puis, tout à coup, après un certain nombre d’années, elle redevient applicable et peut être invoquée comme clause de juridiction obligatoire pour fonder une instance devant la Cour. Il est demandé si, dans ces conditions, on peut dire que le Gouvernement défendeur a véritablement donné son consentement à l’exercice de la compétence de la Cour dans des affaires du genre de l’affaire actuelle.

Après avoir noté en passant qu’une telle situation résulte de l’acte par lequel le défendeur lui-même a demandé à être admis aux Nations Unies,

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acte qui, cette admission ayant eu lieu, a entraîné son adhésion au Statut en vertu de l’article 93, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies, la Cour fera observer que la notion de droits et d’obligations suspendus mais non éteints est bien connue en droit et qu'elle est courante dans certains domaines.

A cet égard, et en ce qui concerne l’ensemble de la question du consentement, la Cour considère que la remise en vigueur d’une clause juridictionnelle en vertu de l’article 37 n’est rien d’autre qu’un cas d’application du principe bien connu du consentement donné à titre général et par avance, à l’égard d’une certaine catégorie de clauses juridictionnelles. Un consentement à une obligation de juridiction obligatoire doit être considéré comme donné ipso facto quand on adhère à une organisation internationale dont la charte constitutive implique une telle obligation, quelle que soit la date d’adhésion. Par conséquent, les Etats entrés aux Nations Unies ou devenus d’une autre manière parties au Statut à quelque moment que ce soit savaient à l’avance ou étaient censés savoir qu’en vertu de l’article 37 l’un des résultats de leur admission serait la remise en application à l’égard de la Cour actuelle, entre eux-mêmes et les autres parties au Statut, de toute clause juridictionnelle prévoyant le renvoi à la Cour permanente incluse dans un traité encore en vigueur qui les liait. C’est la position adoptée par le Gouvernement défendeur qui engendrerait une inégalité et créerait une discrimination en faveur des Etats entrés aux Nations Unies ou devenus d’une autre manière parties au Statut après le mois d’avril 1946, et ce notamment pour les obligations contenues dans les clauses juridictionnelles de certaines conventions multilatérales générales importantes ; or tel est précisément le genre de situation anormale que l’article 37 avait pour but d’éviter.

Dans la correspondance diplomatique qui a précédé la première procédure devant la Cour et en particulier dans les notes échangées pendant la période de mai 1957 à février 1958, le Gouvernement défendeur a implicitement reconnu la compétence de.la Cour aux fins de l'article 17 (4) du traité de 1927 et n’a contesté le droit du Gouvernement demandeur de s’adresser à la Cour que pour des motifs qui sont repris aujourd’hui dans les troisième et quatrième exceptions préliminaires. Il n'a pas soulevé d’objection lorsque le demandeur a déclaré que, dans l’article 17 (4) du traité, la Cour internationale de Justice avait été substituée à la Cour permanente. Il n'a même pas envisagé qu’une question puisse se poser quant à la compétence de la Cour en tant que tribunal. Si le défendeur a pris cette attitude parce qu’il est parti de l’hypothèse que l’article 37 du Statut par lequel il se trouvait alors lié avait conféré compétence à la Cour, hypothèse que le raisonnement sur lequel reposait la décision rendue en l’affaire Israël c. Bulgarie a pu sembler remettre en question, la conclusion favorable à cette hypothèse à laquelle parvient présentement la Cour a pour effet de rétablir la base sur laquelle le défendeur lui-même paraît s’être appuyé pour conclure dans le même sens.

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La Cour a estimé désirable de ne se fonder jusqu’ici que sur des considérations relatives à l'article 37 du Statut qu’elle estime, en l’absence de tout élément particulièrement pertinent, applicables à toutes les clauses juridictionnelles des traités et conventions visés par l’article 37. Dans le cas des traités ayant le caractère du traité hispano-belge de 1927, certains traits particuliers viennent encore renforcer les conclusions auxquelles la Cour est parvenue sur la seule base de l’article 37.

Une bonne part de la discussion qui s’est déroulée entre les Parties, tant par écrit qu’oralement, au sujet de l’article 17 (4) du traité a eu pour thème la question de la divisibilité de cette clause par rapport au reste du traité. La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner cette question dont les conséquences dépassent de loin la portée de la présente affaire. Quelque opinion que l’on ait à cet égard, une chose est certaine : l’article 17 (4) fait partie intégrante de l’ensemble du traité ; le sort à lui réserver sur le plan judiciaire ne peut être examiné isolément.

Il est nécessaire de noter, à ce stade, que l’article 17 (4), dont le passage pertinent est cité ci-dessus, avait surtout à jouer dans le système du traité de 1927 un rôle plutôt mécanique ; il devait indiquer dans quelles circonstances et à quel moment précis de la tentative de règlement du litige l’une ou l’autre partie aurait le droit de s’adresser à la Cour. Ce droit devait pouvoir s’exercer si la procédure facultative de conciliation prévue par le traité n’avait pas été utilisée ou avait échoué, si aucun accord n’avait été réalisé dans un certain délai sur les termes d’un compromis soumettant d’un commun accord le litige à la Cour ou à l’arbitrage et si l’intention de saisir unilatéralement la Cour de l’affaire était annoncée avec un préavis d’un mois.

L’obligation fondamentale de se soumettre à un règlement judiciaire était et demeure énoncée dans deux autres dispositions du traité, à savoir l’article 2 et le premier alinéa de l’article 17. L’alinéa pertinent de l’article 2 prévoit :

« Tous litiges entre les Hautes Parties contractantes, de quelque nature qu’ils soient, au sujet desquels les Parties se contesteraient réciproquement un droit et qui n’auraient pu être réglés à l’amiable par les procédés diplomatiques ordinaires, seront soumis pour jugement soit à un tribunal arbitral, soit à la Cour permanente de Justice internationale. »

Le traité contient ensuite des dispositions concernant la procédure de conciliation puis, à l’article 17 (1), il réaffirme dans son essence l’article 2 de la manière suivante :

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« A défaut de conciliation devant la Commission permanente de conciliation, la contestation sera soumise soit à un tribunal arbitral, soit à la Cour permanente de Justice internationale, suivant les stipulations de l’article 2 du présent traité. »

Compte tenu de ces dispositions, il serait difficile soit de nier que l’on ait eu sérieusement l’intention de créer une obligation de recourir à un règlement judiciaire en cas d’échec de tous les autres modes de règlement, soit d’affirmer que cette obligation dépendait exclusivement de l’existence d’un tribunal donné, de telle sorte que la disparition de ce tribunal aurait entraîné l’abrogation ou l’extinction totale de ladite obligation. L’erreur d’une telle affirmation paraît résider dans une confusion entre la fin et le moyen, la fin étant le règlement judiciaire obligatoire, le moyen étant un tribunal désigné, qui n’est pas nécessairement le seul tribunal possible.

Ce double aspect ressort avec une clarté particulière lorsqu’on envisage dans leur ensemble les diverses clauses juridictionnelles du traité de 1927 ; cela permet de répondre à l’argument selon lequel l’obligation de règlement judiciaire prévue dans le traité était si indissolublement liée à la désignation de la Cour permanente comme juridiction qu’elle en était inséparable et ne pouvait rester valable en l'absence de cette Cour. A en juger par le libellé de l’article 2 et de l’article 17 (1), tel n’est pas le cas. Il est vrai qu’une obligation de recourir au règlement judiciaire est normalement exprimée sous la forme du recours à un tribunal donné. Mais il ne s’ensuit pas que ce soit là l’essence de l’obligation. C’est cette erreur qui inspire la thèse soutenue au cours de la procédure orale selon laquelle la prétendue caducité de l’article 17 (4) était due à la disparition de l’objet de cette clause, à savoir la Cour permanente. Mais la Cour permanente n’a jamais été l'objet véritable de la clause. L’objet véritable en était le règlement judiciaire obligatoire et la Cour permanente était simplement un moyen d’atteindre cet objet. Le but premier de la clause n’était pas de désigner tel tribunal plutôt que tel autre, mais de créer une obligation de règlement judiciaire. Cette obligation impliquait naturellement la désignation d’une juridiction, mais il ne s’agissait là que d’une conséquence.

Si l’obligation existe indépendamment d’un tribunal donné, ce qui a été implicitement reconnu au cours de la procédure dans la mesure où la prétendue extinction a été invoquée par rapport à l’article 17 (4) plus que par rapport à l’article 2 ou à l’article 17 (1), et s’il arrive ensuite que ce tribunal disparaisse et qu’aucune disposition ne soit adoptée par les parties, ou prise de toute autre manière, pour remédier à cette lacune, il en résulte que la clause contenant l’obligation devient inapplicable à l’époque considérée et peut-être indéfiniment, c’est-à-dire qu’elle est dépourvue de toute possibilité d’application effective. Mais, si cette

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obligation survit en substance, bien qu’elle ne puisse être exécutée fonctionnellement, elle peut toujours redevenir applicable si, par exemple, les parties conviennent d’un autre tribunal ou si un autre tribunal est fourni par le jeu automatique d’un autre instrument liant les deux parties. Le Statut est un instrument de ce genre et son article 37 a précisément un tel effet.

En conséquence, on doit lire maintenant aux articles 2 et 17 du traité Cour internationale de Justice au lieu de « Cour permanente de Justice internationale ». Cela vaut aussi pour l’article 23 en vertu duquel la Cour a compétence pour se prononcer sur les contestations qui surgiraient au sujet de l’interprétation ou de l'exécution du traité ; il faut opérer une substitution du même ordre aux articles 21 et 22.

Deuxième exception préliminaire subsidiaire 

Le Gouvernement défendeur a soulevé aussi, en liaison avec la deuxième exception préliminaire, une exception subsidiaire qui ne devait être examinée que si la Cour rejetait l’exception formulée à titre principal. Puisque la Cour a décidé ce rejet, elle doit examiner maintenant l’exception subsidiaire. D’après celle-ci, la dissolution de la Cour permanente ayant abrogé l’article 17 (4) du traité de 1927 ou l’ayant en tout cas privé d’effet, il en résulte que, si contrairement à la thèse principale du défendeur l’article 37 du Statut a eu pour conséquence de redonner vie à cette clause lorsque l’Espagne a été admise aux Nations Unies en décembre 1955, c’est une obligation nouvelle ou révisée qui est née entre les Parties à cette date ; de même que l’obligation primitive ne s’appliquait qu'aux litiges nés après la date du traité, de même l’obligation nouvelle ou revisée ne peut s’appliquer qu’aux différends nés après la date de l’admission de l’Espagne aux Nations Unies, source de cette dernière obligation. Le différend étant survenu en fait avant cette date, il n’est donc pas visé ; ou bien on ne peut le considérer comme visé qu’à la condition d’appliquer rétroactivement l’obligation, ce qui est exclu d’après ses termes mêmes, tels qu’ils ont maintenant été déterminés.

Dans le texte écrit des exceptions préliminaires du défendeur, on affirme que ce qui est né en 1955 ce n’est pas simplement une nouvelle obligation juridictionnelle mais un nouveau « traité » tout entier. Dans les conclusions finales du défendeur, telles qu’elles ont été formulées à l’issue de la procédure orale, c’est à un article 17 (4) « révisé » du traité de 1927 que l’on se réfère. Il est clair en fait qu’aucun nouveau traité en tant que tel n’a pu naître en 1955 parce que l’on est d’accord en l’espèce pour admettre que, indépendamment de la question de l’article 17 (4), le traité de 1927 n’a jamais cessé d’être en vigueur et est constamment resté applicable. Ainsi donc ce qui a pu avoir lieu en 1955, tout au plus, c’est une modification du traité limitée à l’insertion d’une clause juri-

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dictionnelle nouvelle ou revisée prévoyant le renvoi à la Cour internationale de Justice au lieu de l’ancienne Cour permanente. Quoi qu’il en soit, comme les conclusions du défendeur le reconnaissent, la limitation ratione temporis concernant les affaires auxquelles le traité pouvait s’appliquer était contenue dans les articles I et 2 et le protocole final du traité, ou en résultait. Comme par hypothèse ces dispositions n’ont jamais cessé d’être en vigueur, elles se seraient appliquées automatiquement à toute obligation nouvelle ou revisée lorsque celle-ci serait née. Cela était inévitable car, s’il n’en avait pas été ainsi, le traité révisé aurait contenu deux séries de conditions ratione temporis indépendantes et incompatibles ; mais en réalité il a continué de contenir une seule série de conditions, puisque l’obligation « revisée », selon les termes des conclusions finales du défendeur, se rapportait à l’article 17 (4), lequel ne contenait lui-même aucune condition ratione temporis, et que la revision a porté uniquement sur la substitution de la Cour actuelle à l’ancienne Cour. Il s’ensuit qu’une obligation nouvelle ou revisée ne pourrait jouer ratione temporis que comme l’obligation originaire et devrait donc s’appliquer à tous les litiges nés postérieurement à la date du traité.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de se fonder sur cette conclusion car, de l’avis de la Cour, les motifs pour lesquels la deuxième exception préliminaire a été rejetée à titre principal imposent forcément son rejet à titre subsidiaire. Ces motifs tiennent à ce que la disparition de la Cour permanente n’a jamais éteint l’obligation fondamentale de se soumettre à un règlement judiciaire mais l’a rendue fonctionnellement inapplicable faute d’un tribunal pouvant assurer sa mise en œuvre. Ce qui s’est donc produit en 1955, lorsque cette lacune a été comblée avec l’admission de l’Espagne aux Nations Unies, c’est que l’obligation est redevenue applicable, puisqu’il existait de nouveau un moyen de la mettre en œuvre ; mais il n’y a eu ni création nouvelle ni revision de l’obligation fondamentale. Redevenue applicable en vertu de l’article 37 du Statut, l’obligation n’a pu jouer que sur la base des termes du traité qui la prévoyait, conformément à l’intention que l’on doit attribuer aux Parties, et en conséquence elle a continué de s’appliquer, comme cela avait toujours été le cas, à tout litige né après la date du traité.

D’autre part, pour se référer à un autre des motifs pour lesquels l’exception a été rejetée à titre principal, on peut dire que, dès lors que l’article 37 était applicable, la Cour, d’après le libellé même de cette disposition, est devenue compétente entre parties au Statut pour trancher toute question qui, en vertu d’un traité ou d’une convention en vigueur, aurait dû être renvoyée à la Cour permanente si celle-ci avait encore existé et si l’article 37 n’avait jamais été rédigé. Nous sommes en présence d’un cas de ce genre..

Pour ces motifs, la Cour rejette la deuxième exception préliminaire tant à titre principal qu’à titre subsidiaire.

Troisième et quatrième exceptions préliminaires 

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Ayant conclu, par le rejet de la première exception préliminaire, que le désistement de la procédure initiale n’empêchait pas le Gouvernement demandeur de réintroduire sa demande et, par le rejet de la deuxième exception préliminaire, que la Cour est compétente pour connaître de la requête, la Cour doit maintenant examiner les troisième et quatrième exceptions préliminaires qui soulèvent la question de la recevabilité de la demande.

En recherchant si ces exceptions préliminaires doivent être retenues, la Cour constate que le demandeur a présenté des demandes subsidiaires tendant à ce que lesdites exceptions, si elles ne sont pas rejetées par la Cour, soient jointes au fond. Il conviendra donc de faire d’abord des observations d’ordre général sur la jonction au fond. Celle-ci s’effectue en application de l’article 62, paragraphe 5, du Règlement, qui est ainsi conçu :

« La Cour, après avoir entendu les parties, statue sur l’exception ou la joint au fond. Si la Cour rejette l’exception ou la joint au fond, elle fixe de nouveau les délais pour la suite de l’instance.»

Puisque ce paragraphe reprend mot pour mot la disposition identique du Règlement établi en 1936 par la Cour permanente de Justice internationale, il est pertinent de noter les motifs pour lesquels la Cour permanente a décidé de joindre des exceptions préliminaires au fond.

Dans l’affaire Pajzs, Csaky, Esterhazy (Hongrie c. Yougoslavie), la Cour a rendu le 23 mai 1936 une ordonnance par laquelle elle joignait les exceptions yougoslaves au fond, considérant « qu’il [existait] entre les questions soulevées par la première de ces exceptions et celles qui [étaient] à la base de la demande en appel formulée par les conclusions au fond du Gouvernement hongrois des rapports trop étroits et une connexité trop intime pour que la Cour [pût] statuer sur les unes et éviter de se prononcer sur les autres » ; et « que le développement de la procédure sur le fond [mettrait] la Cour à même de statuer en meilleure connaissance de cause sur la deuxième exception » (C.P.J.I. série A/B n° 66, p. 9).

Peu après, à propos d’une exception d’incompétence présentée en l’affaire Losinger, la Cour a indiqué, dans une ordonnance du 27 juin 1936, que cette exception pouvait « apparaître comme un moyen de défense au fond ou tout au moins comme basée sur des arguments de nature à pouvoir être invoquée à ce titre ». Par conséquent

« en statuant dès maintenant sur l’exception d’incompétence, la Cour risquerait, soit de trancher des questions appartenant au fond de l’affaire, soit d’en préjuger la solution ».

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La Cour a donc conclu qu’il y avait lieu de joindre au fond l’exception visant la compétence, «la Cour devant statuer à cet égard et, s’il y [avait] lieu, sur le fond, par un seul et même arrêt ». La Cour a ajouté quant à une autre exception, visant la recevabilité de la requête, que « les faits et arguments invoqués pour ou contre les deux exceptions [étaient] dans une large mesure interdépendants et qu’ils se [confondaient] même à certains égards ». En conséquence, cette exception a été également jointe au fond (C.P.J.I, série A/B n° 67, p. 23-24).

Dans l’affaire du Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, en joignant au fond deux exceptions préliminaires par ordonnance du 30 juin 1938, la Cour a déclaré

« que, dans la phase actuelle de la procédure, une décision ne peut être prise ni sur le caractère préliminaire des exceptions, ni sur le bien-fondé de ces mêmes exceptions ; qu’en effet, une telle décision soulèverait des questions de fait et des points de droit sur lesquels les Parties sont à plusieurs égards en désaccord et qui sont trop étroitement liés au fond pour que la Cour puisse se prononcer, dès à présent, à leur sujet ».

Elle a donné deux autres raisons, à savoir

« qu’en statuant sur les exceptions la Cour risquerait soit de trancher des questions qui appartiennent au fond de l’affaire, soit d’en préjuger la solution »

et

« que la Cour peut toujours ordonner la jonction des exceptions préliminaires au fond, lorsque les intérêts de la bonne administration de la justice lui en font un devoir» (C.P.J.I. série A/B n° 75, P. 55-56).

La Cour actuelle s’est inspirée de considérations analogues dans les deux affaires où elle a eu l'occasion de prescrire une jonction au fond. Dans l’affaire relative à Certains emprunts norvégiens, la Cour, se fondant sur un accord intervenu entre les Parties sur ce point, a joint les exceptions préliminaires au fond « pour être statué par un seul et même arrêt sur lesdites exceptions et, éventuellement, sur le fond » (C.I.J. Recueil 1956, p. 74).

Dans l’affaire du Droit de passage sur territoire indien, la Cour a estimé que, pour statuer sur l’une des exceptions préliminaires, il lui aurait fallu à la fois élucider les faits et examiner la portée ou les conséquences juridiques de certaines pratiques et de certaines circonstances ; il ne lui était donc pas possible de se prononcer sur cette exception « sans préjuger le fond ». S’agissant d’une autre exception, la Cour a dit qu’ayant

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« entendu présenter des allégations opposées » elle n’était pas « en mesure de déterminer à ce stade » certaines des questions soulevées. Elle a également constaté qu’elle n’avait pas « d’éléments suffisants pour lui permettre de statuer » sur d’autres questions et que toute tentative d’appréciation de certains éléments en cause, « bien que limitée à ce qui concerne la sixième exception préliminaire, impliquerait le risque de préjuger certains points étroitement liés au fond » (C.I.J. Recueil 1957, p. 150-152).

La Cour permanente de Justice internationale a attiré l’attention sur un aspect important du problème lorsqu’elle a dit, comme on l’a indiqué ci-dessus, que « la Cour peut toujours ordonner la jonction des exceptions préliminaires au fond, lorsque les intérêts de la bonne administration de la justice lui en font un devoir ». Mais la protection des droits de l’Etat défendeur est un élément essentiel de la « bonne administration de la justice » et c’est dans l’intérêt du défendeur que le Règlement de la Cour contient un article 62 qui autorise la présentation d’exceptions préliminaires. On ne doit pas oublier que cette disposition donne au défendeur des pouvoirs étendus, puisque le seul dépôt par celui-ci d’un document intitulé exceptions préliminaires entraîne automatiquement la suspension de la procédure sur le fond (art. 62, par. 3). L’Etat défendeur est ainsi assuré que la Cour examinera ses exceptions avant de l’inviter à répondre sur le fond ; la Cour ne prend aucune autre mesure jusqu’à ce que les parties aient été entendues (art. 62, par. 5) (ce point a été discuté par la Cour permanente en 1936 ; voir C.P.J.I. série D n° 2, troisième addendum, p. 646-649). L’attitude de l’Etat défendeur n’est cependant que l’un des éléments que la Cour peut prendre en considération ; l’article 62, paragraphe 5, dispose simplement que « La Cour, après avoir entendu les parties, statue sur l’exception ou la joint au fond. »

Pour parvenir à une décision, la Cour peut établir que l’exception n’a pas en fait un caractère préliminaire et par conséquent que, sans préjuger le droit de l’Etat défendeur de soulever la même question à un autre stade de la procédure, s’il doit y en avoir un, l’exception ne saurait être traitée comme une exception préliminaire. Ou encore la Cour peut constater que l’exception est bien une exception préliminaire visant, par exemple, sa compétence et elle peut en disposer immédiatement, soit en la retenant, soit en la rejetant. Dans d’autres cas, dont les affaires citées plus haut offrent des exemples, la Cour peut juger que l’exception est tellement liée au fond ou à des points de fait ou de droit touchant au fond qu’on ne saurait l’examiner séparément sans aborder le fond, ce que la Cour ne saurait faire tant que la procédure sur le fond est suspendue aux termes de l’article 62, ou sans préjuger le fond avant que celui-ci ait fait l’objet d’une discussion exhaustive. Dans de tels cas, la Cour joindra l’exception préliminaire au fond.

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effet juridique éventuel sur le plan international ; ou plutôt cette dernière question constitue l’essentiel du véritable problème à trancher en l’espèce et relève bien, en droit, du fond. Bref, la question de la qualité d’un gouvernement pour protéger les intérêts d’actionnaires en tant que tels n’est elle-même qu’un aspect ou une conséquence de la question préalable de la situation juridique des actionnaires telle que le droit international la reconnaît. Lorsque dans une affaire comme celle-ci, un gouvernement prétend non pas exercer seulement une protection diplomatique mais présenter aussi une demande devant un tribunal international, il invoque nécessairement des droits qu’il estime lui être conférés, en faveur de ses ressortissants, par les règles de droit international relatives au traitement des étrangers. La question de savoir si le droit international confère ou non de tels droits est donc essentielle en l’espèce. Ainsi, dire que le Gouvernement demandeur n’a pas qualité pour agir équivaudrait de la part de la Cour à conclure que ces droits n’existent pas et que la demande est pour ce motif injustifiée quant au fond.

Si la Cour considérait les questions soulevées par la troisième exception préliminaire du défendeur comme relevant purement et simplement du fond, elle devrait déclarer que l’exception est irrecevable en tant que telle et que les questions qu’elle pose appartiennent au fond. Mais, puisqu’il est clair que l’exception a, à certains égards, un caractère préliminaire ou qu’elle comporte des éléments que l’on a été porté jusqu’à présent à envisager sous ce jour, la Cour se bornera à joindre l’exception au fond.

Afin d’illustrer le genre de situation que la Cour estime rencontrer ici quant à la question de la jonction au fond, on peut, sans suggérer toutefois d’autres analogies, rappeler que, lorsque la Cour permanente a joint au fond les deux exceptions préliminaires en l’affaire du Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, elle a dit dans son ordonnance du 30 juin 1938 qu’au stade préliminaire elle ne pouvait même pas prendre une décision « sur le caractère préliminaire des exceptions » (C.P.J.I. série A /B n° 7 5, p. 55) ; puis, statuant au fond, elle a énoncé :

« S’il est vrai qu’une exception ayant en vue de contester le caractère national d’une réclamation est en principe de nature préliminaire, il n’en est pas ainsi dans le cas concret dont la Cour est saisie. » (C.P.J.I. série A/B n° 76, p. 17.)

Il est évident que certaines sortes d’exceptions, comme par exemple la deuxième exception en l’espèce, sont si dépourvues de lien avec le fond que leur caractère tout à fait préliminaire ne saurait en aucun cas être mis en doute. Elles peuvent avoir trait à presque tous les groupes de faits concevables et il n’y aurait ni raison ni justification pour que la Cour ne statue pas immédiatement à leur sujet, soit en les accueillant, soit en les rejetant. Mais la situation est loin d’être aussi claire en ce qui

Par ces motifs, 

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La Cour,

par douze voix contre quatre,

rejette la première exception préliminaire ;

par dix voix contre six,

rejette la deuxième exception préliminaire ;

par neuf voix contre sept,

joint au fond la troisième exception préliminaire ;

par dix voix contre six,

joint au fond la quatrième exception préliminaire.

Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de. la Paix, à La Haye, le vingt-quatre juillet mil neuf cent soixante-quatre, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et dont les autres seront transmis respectivement au Gouvernement du Royaume de Belgique et au Gouvernement de l’Etat espagnol.

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