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Arrêt de la Cour d'appel de Paris 22/05139

[1].
ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2023

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/05139 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOAU

Décision déférée à la cour :

Jugement du 13 janvier 2022-Juge de l'exécution de Paris-RG n° 21/81016

APPELANTE

SOCIÉTÉ COMMISSIONS IMPORT EXPORT (COMMISIMPEX)

[Adresse 3]

République du Congo

représentée par Me Jacques-Alexandre GENET de la SELAS ARCHIPEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0122

INTIMÉES

ORGANISME RÉPUBLIQUE DU CONGO

Brazzaville

République du Congo

n'a pas constitué avocat

AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Jean-Philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053

plaidant par Me Dominique MONDOLONI du LLP WILLKIE, FARR ET GALLAGHER LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J003

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 25 janvier 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseiller

Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT

-défaut

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

[2].
Selon deux sentences arbitrales des 3 décembre 2000 et 21 janvier 2013 désormais irrévocables, la République du Congo a été condamnée à payer diverses sommes à la société Commissions Import Export (ci-après Commisimpex). Ces sentences ont été rendues exécutoires par arrêts respectifs de la cour d'appel de Paris en date du 23 mai 2002 et du 14 octobre 2014 qui ont rejeté les recours en annulation exercés par la République du Congo à leur encontre et d'une ordonnance d'exequatur du 13 février 2013 pour la sentence de 2013.
[3].
Par arrêt du 27 février 2020 rendu en matière gracieuse, la cour d'appel de Paris a autorisé la société Commissimpex à pratiquer, en exécution de ces sentences arbitrales, toute mesure d'exécution forcée sur tous biens appartenant à la République du Congo, à l'exception de biens, comptes bancaires utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de cet Etat. Cette autorisation a été confirmée par arrêt du 3 juin 2021, rejetant la demande de rétraction de l'arrêt du 27 février 2020 présentée par la République du Congo.
[4].
Suivant procès-verbal du 9 février 2021, la société Commissimpex a fait pratiquer à l'encontre de la République du Congo une saisie-attribution entre les mains de l'Agence Française de développement (ci-après l'AFD), établissement public. La saisie a été dénoncée à la République du Congo par acte d'huissier en date du 16 février 2021. Le tiers saisi a déclaré l'étendue de ses obligations par courriers des 19 février et 23 mars 2021 adressés à l'huissier.
[5].
Par acte d'huissier de justice en date du 10 mai 2021, la République du Congo a fait assigner la société Commissimpex et l'AFD devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris aux fins de sursis à statuer et mainlevée de la saisie-attribution.
[6].
Par jugement en date du 13 janvier 2022, le juge de l'exécution a notamment :

dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,

annulé la saisie-attribution du 9 février 2021, mais seulement en ce qu'elle a appréhendé les concours accordés par l'AFD à la République du Congo et les subventions accordées par la France à cette République au titre de contrats de désendettement et de développement,

cantonné ses effets aux dettes fiscales et sociales de l'AFD envers la République du Congo,

condamné la République du Congo à payer à la société Commissimpex la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

[7].
Pour statuer ainsi, le juge a notamment retenu que le code monétaire et financier distingue parmi les opérations réalisées par l'AFD les concours financiers de l'Agence pour son propre compte et les opérations pour le compte de l'Etat ; que l'article 87 de la loi de finances rectificative pour 2003 du 30 décembre 2003, qui dispose que les créances nées des concours financiers accordés par l'AFD ne peuvent être saisies entre ses mains, peut être interprété comme ayant pour effet de rendre insaisissables les sommes détenues par l'AFD agissant pour le compte de l'Etat ; et qu'en toute hypothèse, si l'AFD agit comme mandataire de l'Etat, dans la gestion des contrats de désendettement et de développement, alors les sommes destinées à la mise en 'uvre de ces contrats sont insaisissables comme appartenant à l'Etat en application de l'article L.2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Il a jugé qu'en l'espèce, la saisie-attribution avait appréhendé trois sommes au titre de trois prêts accordés en 2015 et en 2016 à la République du Congo, que la société Commissimpex reconnaissait être insaisissables comme correspondant à des concours accordés par l'AFD pour son propre compte, de sorte que la saisie devait être annulée. S'agissant des contrats de désendettement et de développement, il a retenu que l'AFD avait déclaré à l'huissier qu'aucune somme ne restait à verser à la République du Congo, cette dernière étant en impayé sur ces contrats, que la saisie devait alors être tenue pour infructueuse, de sorte que la discussion des parties sur la saisissabilité des sommes détenues par l'AFD au titre de ces contrats était sans objet, mais que la saisie devait, à toutes fins, être annulée en ce qu'elle avait eu pour objet d'appréhender des biens insaisissables.
[8].
Par déclaration du 8 mars 2022, la société Commissimpex a fait appel partiel de ce jugement, intimant la République du Congo et l'AFD.
[9].
Par conclusions du 6 mai 2022, la société Commissimpex demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris, uniquement en ce qu'il a annulé la saisie-attribution portant sur la créance de la République du Congo née de subventions accordées par la France au titre de contrats de désendettement et de développement, et en a cantonné les effets aux dettes fiscales et sociales et de l'AFD envers la République du Congo,

Statuant à nouveau sur ce point,

- juger valable et régulière la saisie-attribution de créances pratiquée le 9 février 2021 entre les mains de l'AFD en ce qu'elle a appréhendé les subventions accordées par la France à la République du Congo au titre de contrats de désendettement et de développement,

En tout état de cause,

- débouter la République du Congo et l'AFD de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner la République du Congo et l'AFD in solidum au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel, avec distraction.

[10].
Elle soutient que la créance de la République du Congo portant sur les subventions accordées par la France au titre des contrats de désendettement et de développement (C2D) est parfaitement saisissable. Elle fait valoir que selon l'article 87 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2003, seules les créances nées des concours accordés par l'AFD sont insaisissables, et que le principe d'insaisissabilité étant d'interprétation stricte, il ne peut être étendu aux créances nées de concours accordés non pas par l'AFD, mais par la France, financés sur le budget de l'Etat et aux risques de ce dernier. Elle explique :

- que selon le code monétaire et financier, l'AFD peut accorder des concours financiers pour son propre compte (articles R.515-9 à R.515-11) ou pour le compte de l'Etat français (article R.515-12), auquel cas elle agit comme mandataire de l'Etat ;

- que l'insaisissabilité prévue par l'article 87 de la loi de finance de 2003 porte uniquement sur les concours accordés par l'AFD pour son propre compte ;

- que le juge de l'exécution a fait une interprétation téléologique particulièrement extensive, ce qui viole l'article L.112-1 du code des procédures civiles d'exécution, les articles 2282 et 2285 du code civil ainsi que l'article 6 de la Cesdh, alors même que le premier juge s'est en outre mépris sur l'intention du législateur ;

- qu'en l'espèce, la créance litigieuse porte sur des concours accordés par l'Etat français et non l'AFD, puisque dans sa réponse à la saisie, l'AFD a clairement distingué les concours qu'elle a accordés à la République du Congo et les sommes à verser en exécution de contrats de désendettement et de développement ;

- qu'il n'est pas contesté que les sommes accordées par l'AFD pour son propre compte au titre de conventions conclues directement par elle avec la République du Congo sont insaisissables et n'ont pas été appréhendées par la saisie ;

- qu'au contraire, la créance litigieuse est née de C2D conclus le 29 septembre 2010 et le 10 décembre 2014 entre les gouvernements français et congolais en vertu desquels l'Etat français est seul débiteur d'une subvention, qui est versée par l'AFD en qualité d'intermédiaire rémunérée par l'Etat ;

- que c'est à tort que le premier juge a retenu que la saisie était infructueuse, alors que la créance née des C2D est conditionnelle, donc saisissable en application de l'article L112-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution ;

- que si l'AFD a déclaré qu'aucune somme ne reste à verser en exécution de C2D, la dette de l'Etat n'est pour autant pas éteinte et la République du Congo détenait bien, au jour de la saisie, une créance conditionnelle à l'encontre de la France au titre du second C2D ;

- que c'est également de manière erronée que le juge de l'exécution a considéré que les sommes destinées à la mise en 'uvre d'un C2D étaient insaisissables comme appartenant à l'Etat en application de l'article L.2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques, opérant ainsi une confusion entre les biens et droits de l'Etat français, qui sont insaisissables, et les dettes de celui-ci à l'égard des tiers, qui peuvent être saisies, et qu'en l'espèce, la saisie porte sur la créance de la République du Congo à l'égard de la France et non un droit ou un bien de l'Etat français, de sorte que l'article L.2311-1 n'est pas applicable.

[11].
Par conclusions du 31 mai 2022, l'Agence Française de Développement demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la saisie-attribution pratiquée le 9 février 2021, en ce qu'elle a appréhendé les concours financiers accordés à la République du Congo au titre des contrats de désendettement et de développement,

- condamner la société Commissimpex au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

[12].
L'AFD fait valoir que pour lui permettre de réaliser ses missions d'intérêt public, consistant notamment à contribuer à la mise en 'uvre de la politique d'aide au développement, l'article 87 de la loi de finance rectificative du 30 décembre 2003 a instauré une insaisissabilité légale des créances nées des concours financiers qu'elle accorde, et qu'il ne fait aucun doute que le législateur a entendu protéger tous ses concours financiers, qu'ils interviennent pour son propre compte ou pour le compte de l'Etat sans distinction, comme cela a été retenu par le juge de l'exécution de Paris dès 2013 dans une précédente affaire opposant la République du Congo à la société Commissimpex, puisqu'il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas.
[13].
Elle explique que le contrat de désendettement et de développement (C2D) est un contrat de droit international public conclu entre la République française et un pays éligible (pays pauvre très endetté) pour aider ce dernier à réduire sa dette à un niveau soutenable, dont la mise en 'uvre, qui relève de la compétence des Etats eux-mêmes, a en France été confiée à l'AFD en application de l'article R.515-6 du code monétaire et financier et d'une convention conclue entre l'Etat français et l'AFD le 29 décembre 2003 ; qu'elle n'intervient pas en qualité de mandataire de l'Etat, mais exerce pleinement la mission qu'elle a reçue en approuvant elle-même les projets qu'elle subventionne, comme elle le fait pour les concours qu'elle accorde pour son propre compte ; qu'ainsi, la subvention qu'elle verse au titre d'un C2D est bien un concours financier accordé par elle, et par conséquent couvert par l'insaisissabilité de l'article 87 de la loi de finance rectificative de 2003 ; que même lorsqu'elle intervient pour le compte de l'Etat, c'est elle qui est seule débitrice des fonds et les fonds affectés à la mise en 'uvre d'un C2D ne transitent jamais par les caisses du Trésor ; que c'est également elle qui décide à quel moment les sommes doivent être débloquées et qui décide d'ajourner ou rejeter les demandes d'approvisionnement de la République du Congo lorsqu'elle n'a pas remboursé les échéances de ses dettes souveraines qui alimentent le C2D. Elle conclut que, peu important qu'elle agisse pour son compte propre ou pour le compte de l'Etat au titre d'un C2D, elle dispose du pouvoir de décider du sort des concours financiers qu'elle accorde en fonction du respect par la République du Congo de ses propres obligations ; qu'il s'agit bien de concours financiers dont elle est seule débitrice à l'égard de la République Congolaise ; que la distinction que la société Commissimpex fait entre les concours sur ses fonds propres et ceux pour le compte de l'Etat, pour en déduire que seuls les premiers seraient couverts par l'insaisissabilité, est donc dénuée de tout fondement.
[14].
La République du Congo, qui n'a pas constitué avocat, a reçu signification de la déclaration d'appel le 15 avril 2022 à domicile élu en France, ainsi qu'à parquet le 8 juin 2022. Elle a également reçu signification des conclusions de l'appelante à parquet le 2 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[15].
A titre liminaire, il convient de préciser que l'annulation de la saisie-attribution en ce qu'elle a appréhendé les concours accordés par l'AFD à la République du Congo n'est pas discutée devant la cour, les parties admettant que ces créances sont insaisissables en application de l'article 87 de la loi du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003. Il n'est pas non plus contesté que la saisie-attribution est valable en ce qu'elle porte sur les dettes fiscales et sociales de l'AFD envers la République du Congo, auxquelles le premier juge a limité les effets de la saisie, et qui sont parfaitement saisissables. Dès lors, la seule question soumise à la cour concerne le caractère saisissable ou non des subventions accordées par la France à la République du Congo au titre de contrats de désendettement et de développement.
[16].
Sur le caractère saisissable ou non des subventions accordées par l'Etat français
[17].
L'article L112-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose :

« Les saisies peuvent porter sur tous les biens appartenant au débiteur alors même qu'ils seraient détenus par des tiers.

Elles peuvent également porter sur les créances conditionnelles, à terme ou à exécution successive. Les modalités propres à ces obligations s'imposent au créancier saisissant. »

[18].
Aux termes de l'article L.112-2, 1° du même code, ne peuvent être saisis les biens que la loi déclare insaisissables.
[19].
L'article 87 de la loi du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003 dispose que « les créances nées des concours financiers accordés par l'Agence française de développement ne peuvent faire l'objet de saisies entre ses mains ».
[20].
Il résulte de l'article L.515-13 du code monétaire et financier que l'Agence française de développement est un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l'Etat et contribuant à l'action extérieure de la France, qui exerce une mission permanente d'intérêt public consistant à réaliser des opérations financières de toute nature en vue de :

1° Contribuer à la mise en 'uvre de la politique d'aide au développement de l'Etat à l'étranger, notamment en finançant :

a) De manière prioritaire, l'accès aux services essentiels dans les pays les moins avancés et en particulier dans les pays prioritaires de la politique de développement française, particulièrement par des opérations de dons et de prêts concessionnels ;

b) Les biens publics mondiaux, la convergence économique et la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement ;

2° Contribuer au développement des collectivités territoriales mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution.

[21].
Selon l'article R.515-5 du même code, l'AFD peut effectuer des opérations de banque afférentes à sa mission permanente d'intérêt public dans les conditions définies par la présente section (section 3 relative à l'AFD du chapitre V du titre Ier du Livre V de la partie réglementaire du code monétaire et financier).
[22].
La sous-section 1 (articles R.515-8 à R.515-13) est relatives aux opérations. L'article R.515-8 dispose : « Les concours de l'agence peuvent être consentis sous forme de prêts, d'avances, de prises de participation, de garanties, de dons ou de toute autre forme de concours financier. Ces concours sont consentis aux Etats, à des organisations internationales, à des personnes morales de droit public ou de droit privé, notamment des organisations non gouvernementales engagées dans le développement, ou à des personnes physiques. »
[23].
Les opérations de l'AFD sont divisées en :

- paragraphe 1 : Concours financiers de l'agence pour son compte propre (articles R.515-9 à R.515-11)

- paragraphe 2 : Opérations pour le compte de l'Etat (article R.515-12)

- paragraphe 3 : Autres opérations (article R.515-13).

[24].
Ainsi, le code monétaire et financier distingue, parmi les opérations réalisées par l'AFD, les concours financiers de l'agence pour son propre compte et les opérations pour le compte de l'Etat.
[25].
L'article R.515-12 dispose : « L'agence gère pour le compte de l'Etat et aux risques de celui-ci des opérations financées sur le budget de l'Etat. Les termes de ces opérations font l'objet de conventions spécifiques signées au nom de l'Etat par le ou les ministres compétents. »
[26].
Dans le cadre de sa politique d'aide au développement, la France passe avec certains « pays pauvres très endettés » des contrats de désendettement et de développement dits C2D.
[27].
Selon convention du 29 décembre 2003, modifiée le 30 octobre 2007, l'Etat (représenté par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et le ministère des affaires étrangères) a confié à l'AFD la mise en 'uvre de l'initiative bilatérale additionnelle de réduction de dette de pays pauvres très endettés, prenant la forme de dons (subventions) dans le cadre d'un C2D signé par l'Etat avec le pays bénéficiaire concerné.
[28].
Avec la République du Congo, deux C2D ont été conclus les 29 septembre 2010 et 10 décembre 2014 dont il résulte que :

- la République du Congo s'engage à rembourser sa dette à la Banque de France (et à l'AFD pour le C2D de 2010) selon un échéancier convenu,

- dès le versement à bonne date de l'échéance, la France s'engage à verser dans les quinze jours, sur un compte en euros ouvert à la Banque Centrale des Etats d'Afrique Centrale (BEAC), une subvention de même montant,

- la subvention sert à financer des projets de développement au Congo (route, aménagements urbains...)

- le contrôle de l'utilisation de la subvention fait l'objet d'un accord cadre et d'une convention de compte entre l'AFD, le Congo et la BEAC.

[29].
Les accords cadres conclus le 22 décembre 2010 et le 2 mars 2015 entre la République du Congo et l'AFD, chargée expressément par les autorités publiques françaises d'agir pour le compte de la France, prévoient notamment que c'est l'AFD qui verse la subvention sur le compte. La convention de compte a également été signée le 22 décembre 2010 et modifiée par avenant du 2 mars 2015. Il en ressort que le compte en euros ouvert dans les livres de la BEAC sur lequel est versée la subvention est intitulé « A.F.D. - Contrat de désendettement et développement » et fonctionne avec la double signature de la République du Congo et de l'AFD.
[30].
Afin de statuer sur la validité de la saisie-attribution portant sur les subventions accordées par la France à la République du Congo, il convient de déterminer si les dispositions de l'article 87 de la loi du 30 décembre 2003 de finances rectificative pour 2003 relatives à l'insaisissabilité des créances nées des concours financiers accordés par l'AFD sont applicables aux subventions qu'elle verse pour le compte de l'Etat dans le cadre de C2D.
[31].
Il ressort du rapport de la commission des finances sur le projet de loi de finances rectificative pour 2003 rédigé par le sénateur [F] [L] que l'AFD, opérateur-pivot de l'aide française au développement, s'est vue, ces dernières années, notifier des saisies-attributions sur les créances détenues sur elle par des Etats étrangers, notamment la République du Congo, au titre des concours financiers qu'elle leur accorde, à l'initiative de créanciers privés de cet Etat ; que les saisies ont pour l'heure été considérées comme inopérantes ; qu'au moment de ce rapport, les prêts souverains de l'AFD à la République du Congo étaient interrompus, notamment en raison des arriérés de paiement de cette dernière (qui devait à la France 215 millions d'euros au 31 décembre 2002), et que seuls étaient instruits des prêts non souverains ; mais que le Congo, étant éligible à l'initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), devrait prochainement trouver un accord avec le FMI en vue d'une négociation avec le Club de [Localité 2] pour apurer ses arriérés. Or justement, le 29 décembre 2003, soit la veille de l'adoption de cette loi, la France a signé avec l'AFD la convention relative à la mise en 'uvre de l'initiative bilatérale additionnelle de réduction de dette de pays pauvres très endettés. Mais le premier C2D n'a été signé entre la France et le Congo que le 29 septembre 2010.
[32].
Le rapporteur du projet de loi explique qu'au regard de la nature des missions de service public de l'AFD et de l'impossibilité, en cas de saisie-attribution, d'assurer le respect des conditions prévues par les conventions d'attribution des concours financiers, les missions dont l'AFD est chargée devraient bénéficier d'une protection contre d'éventuelles mesures d'exécution ; qu'une saisie-attribution entre les mains de l'AFD poserait effectivement problème au regard de l'affectation des concours financiers de l'agence, puisqu'elle détournerait ces fonds vers des intérêts privés non prévus par les conventions d'affectation et porterait donc atteinte au fonctionnement du service public qu'elle assure, et plus largement remettrait en cause la réalisation d'une politique publique de la France. Il ajoute que cette argumentation constitue un des fondements de l'immunité d'exécution des personnes publiques, mais qu'il serait imprudent de s'en remettre à la seule jurisprudence relative au principe d'immunité d'exécution car rien ne garantit qu'en l'absence d'un tel motif, ce qui constitue précisément le risque actuel (la République du Congo a renoncé à son immunité d'exécution), le juge retiendrait ces arguments pour prononcer une mainlevée, et que ce risque serait particulièrement présent dans le cas où l'AFD serait considérée comme débitrice de l'Etat concerné par la mesure d'exécution. Il conclut que le gouvernement juge donc plus approprié, dans un but de sécurité juridique, de prévoir une disposition législative spécifique tendant à garantir l'absence de saisies entre les mains de l'agence, pour les créances nées de concours financiers qu'elle accorde et qui constituent la substance même de sa mission de service public.
[33].
Par ailleurs, le code monétaire et financier utilise indifféremment le terme « concours » et « opérations » pour désigner les missions de l'AFD. En effet, d'une part l'article L.515-13 précité utilise l'expression « opérations financières » et l'article R.515-5 celle d'« opérations de banque ». D'autre part, la sous-section 1 précitée est intitulée « Opérations » et comprend un article préliminaire (R.515-8) qui emploie uniquement l'expression « concours de l'agence ». Il est donc indifférent sémantiquement que les paragraphes qui suivent distinguent « concours financiers » de l'agence pour son compte propre, « opérations » pour le compte de l'Etat et autres « opérations ». Dès lors, la notion de « concours financiers accordés par l'AFD » figurant dans les dispositions de l'article 87 de la loi de 2003 n'est pas de nature à exclure les autres opérations, notamment les opérations pour le compte de l'Etat. Il y a donc tout lieu de considérer qu'en adoptant l'article 87, le législateur a entendu viser toutes les opérations réalisées par l'AFD.
[34].
D'ailleurs, il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Or les dispositions de l'article 87 précité ne distinguent pas selon le type d'opérations. De même, le rapport de la commission ne fait état d'aucune distinction entre les concours de l'AFD pour son propre compte et les opérations pour le compte de l'Etat, alors qu'au contraire, la disposition législative adoptée vise à protéger, largement, les missions de service public dont l'AFD est chargée.
[35].
Enfin, si les concours financiers accordés par l'AFD pour son propre compte doivent être protégés légalement par une insaisissabilité en raison de la mission de service public exercée ainsi, il en est nécessairement de même a fortiori des opérations financées par l'Etat dans le cadre de sa politique d'aide au développement. L'Etat français serait en défaut, s'agissant de ses engagements internationaux, si des saisies-attributions pratiquées par des créanciers privés de l'Etat aidé paralysaient le versement des subventions promises par la France.
[36].
Au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que le premier juge a interprété l'article 87 de la loi de finances rectificative pour 2003 comme ayant pour effet de rendre insaisissables les subventions accordées par la France et versées par l'AFD, une telle interprétation n'étant nullement contraire au principe d'interprétation stricte de l'insaisissabilité.
[37].
Il convient dès lors de confirmer le jugement, en ce qu'il a annulé la saisie-attribution en ce qu'elle porte sur les subventions accordées par la France à la République du Congo au titre de contrats de désendettement et de développement.

Sur les demandes accessoires

[38].
Succombant en son appel, la société Commisimpex sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement, à l'AFD, de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

[39].
La Cour,

CONFIRME le jugement rendu le 13 janvier 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions, dans la limite de la saisine de la cour,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société anonyme de droit congolais Commissions Import Export (Commissimpex) à payer à l'Agence française de développement la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Commissions Import Export (Commissimpex) aux entiers dépens d'appel.

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