Faits et Procédure.
La Compagnie d’Electricité de Varsovie, Société anonyme française, ayant son siège à Paris, ci-après dénommée « la Compagnie », a présenté une requête au soussigné en sa qualité d’arbitre, désigné par l’article 16 de la Convention franco-polonaise relative aux biens, droits et intérêts, conclue le 6 février 1922 entre S. E. le Président de la République polonaise et le Président de la République française.
Dans cette requête la Compagnie a exposé qu’elle est bénéficiaire d’une concession octroyée le 11 janvier 1902 par la Municipalité de la Ville de Varsovie, ci-après dénommée « la Ville », concession modifiée le 21 juin 1909 et dont la durée, fixée à 35 ans, doit normalement expirer le 11 janvier 1937.
Par ladite concession la Ville a accordé à la Compagnie le droit de poser des conduites électriques dans le but de distribuer l’énergie électrique pour l’éclairage, la distribution de force et autres buts industriels dans les rues et sur les places de la Ville faisant partie de la propriété de celle-ci et étant d’usage public.
La Compagnie a en outre exposé que, pendant la période du 7 août 1915 jusqu’au 11 novembre 1918, c’est-à-dire durant toute l’occupation allemande de Varsovie, l’entreprise de la Compagnie a été saisie et exploitée par les autorités allemandes, et qu’après l’armistice du 11 novembre 1918, l’entreprise a passé aux mains du Gouvernement polonais qui l’a placée et l’a maintenue jusqu’au 13 novembre 1924 sous le régime dit « de l’administration forcée » ; que depuis la guerre de nombreux et profonds changements dans les conditions du commerce se sont produits, et que la situation monétaire en Pologne a complètement rompu l’équilibre économique du contrat de 1902, la valeur du zloty ayant fléchi dès la fin de juillet 1925 (et ladite unité monétaire ayant été stabilisée par ordonnance du Président de la République polonaise du 13 octobre 1927 à une valeur de 0,58139 franc-or.
Par sa lettre du 27 octobre 1926, la Compagnie signala à la Ville la situation exposée ci-dessus; s’appuyant sur la Convention franco-polonaise susmentionnée, elle réclama le rétablissement de l’équilibre initial du contrat de concession en demandant une prolongation de la concession et un relèvement des tarifs à percevoir sur les usagers de l’électricité. Cette démarche de la Compagnie est restée sans résultat.
Dans ces conditions la Compagnie s’est adressée au soussigné en demandant de dire et juger:
1) Que la Compagnie est fondée à réclamer le bénéfice de la Convention franco-polonaise du 6 février 1922, et notamment à invoquer les dispositions visant les changements dans les conditions du commerce;
2) Qu’en vertu, tant de l’acte de concession que de ladite Convention franco-polonaise, la Compagnie est en droit de percevoir sur les usagers de l’électricité des taxes qui soient dans la monnaie polonaise du moment la contre-valeur des tarifs exprimés dans la monnaie or d’avant guerre, lesquels tarifs avaient été fixés de manière à former la contrepartie des obligations imposées au concessionnaire;
3) Que la Ville, ayant privé la Compagnie de l’exercice du droit défini sous le numéro 2 ci-dessus, lui doit une indemnité compensatrice du préjudice résultant de l’application de tarifs réduits, indemnité dont le montant sera fixé compte tenu de ce que la Compagnie déclare renoncer à demander compensation du préjudice subi de ce chef antérieurement au 1er janvier 1927;
4) Quelle doit être la durée de la prolongation accordée par la Convention franco-polonaise, durée pour laquelle la Compagnie avait, dans sa proposition d’accord amiable en date du 27 octobre 1926, indiqué 20 années;
5) Comment, en raison de la privation de jouissance subie par la Compagnie, et de la prolongation de concession visée sous le numéro 4 ci-dessus, doivent être ajustées les dispositions de l’article 48 du contrat de concession rédigées dans l’hypothèse d'une concession de 35 années consécutives, et fixant les conditions d’exercice par la Ville du droit de racheter l’entreprise.
En réponse à la requête de la Compagnie, la Ville a le 8 mars 1930 présenté un mémoire, contenant outre la défense au fond, des réserves quant à la validité de la procédure.
La Ville n’a pas demandé au soussigné de donner une décision sur lesdites réserves; néanmoins il croit de son devoir de les juger d’office.
En premier lieu, la Ville prétend qu’elle n’a ni le droit ni le pouvoir de participer valablement à la présente instance en raison de la législation polonaise en vigueur.
A l’appui de sa thèse la Ville fait valoir:
a) qu’elle est incapable de compromettre;
b) que la constitution de la Republique de Pologne contient les règles de l’organisation judiciaire et précise la compétence et le fonctionnement des tribunaux, cette compétence et les règles de procédure devant être déterminées par la loi;
c) que la Constitution polonaise prescrit que toute propriété individuelle des citoyens constitue une des bases les plus importantes de l’ordre juridique, et qu’aucune suppression ni limitation de propriété individuelle n’est admise sauf dans les cas prévus par la loi ;
d) que la Convention franco-polonaise du 6 février 1922 n’a donné lieu à aucun changement dans les relations d’ordre privé entre les parties, puisque l’on ne peut s’engager que pour soi et en son nom.
Le soussigné est d’avis que la Ville, en présentant ces arguments, a méconnu le caractère juridique de la Convention du 6 février 1922.
Cette Convention, bien loin d’être un contrat de droit privé, constitue un traité conclu entre deux Puissances, ayant pour but de régler les questions relatives aux biens, droits et intérêts de leurs ressortissants. Par le fait de sa ratification la Convention fait partie de la législation française ainsi que de la législation polonaise; ses dispositions créent des droits et des obligations pour les ressortissants français et polonais tout comme les dispositions du droit interne des deux pays.
On trouve dans le domaine du droit international plusieurs exemples de conventions ayant un caractère analogue, telles la Convention de Berne sur le transport international de marchandises par chemin de fer, les conventions de Bruxelles en matière d’abordage, d’assistance et de sauvetage, la
convention sur la propriété industrielle, etc. Par le seul fait de leur ratification toutes ces conventions dérogent en ce qui concerne leur matière au droit national des Etats contractants.
Il en résulte que, même si d’après le droit interne de la Pologne, la municipalité de Varsovie ne pouvait soumettre ses différends à un arbitrage, cette impossibilité n’existe pas en l’espèce, puisque l’arbitrage a été expressément prescrit par la Convention, entre autres par l’article 5 qui traite en particulier des concessions accordées « par les anciens Etats, provinces ou municipalités » et qui, en cas d’un désaccord entre les concessionnaires et les concédants au sujet de la prolongation d’une concession, ordonne que ce différend soit soumis à une procédure arbitrale.
Il en suit également que la Ville est autorisée à se présenter devant l’arbitre et que la présente procédure n’est nullement contraire à la loi polonaise sur la compétence et le fonctionnement des Tribunaux1.
En ce qui concerne l’inviolabilité de la propriété individuelle, invoquée par la Ville, on ne conçoit pas comment la Convention franco-polonaise, conclue librement entre deux Puissances amies « désireuses de régler les questions relatives aux biens, droits et intérêts « et ratifiée par leurs parlements, puisse contenir des dispositions portant atteinte à la propriété de leurs ressortissants. Aussi cherchera-t-on en vain dans cette Convention une disposition de cette nature. En tout cas l’institution de l’arbitrage ne saurait être considérée comme une violation de la propriété privée.
En second lieu, la Ville a signalé des irrégularités de procédure.
Elle a fait valoir:
a) que les pièces du procès lui ont été envoyées directement par la Compagnie, sans avoir été notifiées par l’intermédiaire d’un officier ministériel ;
b) que le règlement de procédure, établi par l’arbitre, n’est pas valable, l’arbitre n’étant pas qualifié pour arrêter un tel règlement;
c) que la procédure entre le Gouvernement français et le Gouvernement polonais a eu pour résultat de restreindre les droits de défense de la Ville, puisque c’est seulement le fond qui doit faire l’objet de sa réponse.
Le soussigné estime qu’aucun de ces trois moyens n’est fondé:
ad a : le règlement de procédure ne contient pas de disposition ordonnant la notification des pièces par officier ministériel;
ad b : la question de savoir si l’arbitre est qualifié pour établir lui-même le règlement de procédure dépend de la Convention conclue entre les deux Puissances.
Les Hautes Parties Contractantes auraient pu établir elles-mêmes des règles de procédure. Elles ne l’ont pas fait. En conséquence il appartenait à l’arbitre d’arrêter le règlement. C’est en ce sens que le soussigné a interprété la Convention, interprétation qui lui a été conférée par l’article 16 dudit traité.
En outre, il importe de constater que le règlement de procédure a été publié par le Gouvernement polonais le 29 décembre 1930, publication par laquelle ce Gouvernement a, de son côté, reconnu la validité dudit règlement.
ad c : il n’est pas clair comment la procédure entre les deux Puissances ait pu porter atteinte au droit de défense de la Ville.
Il est à noter que la loi polonaise de 1920 invoquée par la Ville, a également ordonné l’arbitrage pour les différends concernant le relèvement des tarifs de vente d’électricité, contenu dans les concessions.
La sentence rendue dans cette procédure, sentence qui a fixé à la Ville un délai de deux mois pour présen ter sa réponse sur le fond, ne contient rien qui puisse empêcher la Ville d’y ajouter des exceptions.
D’ailleurs, la Ville en faisant précéder sa réponse au fond par les réserves susmentionnées, a usé de son droit de soumettre lesdites réserves ou exceptions à la décision de l’arbitre.
Il résulte de tout ce qui précède:
1) que le soussigné est compétent pour connaître de la demande de la Compagnie;
2) que le règlement de procédure est valable;
3) qu’il n’y a pas d’irrégularité de procédure ni atteinte au droit de défense de la Ville.
Fins de non-recevoir.
1. La Compagnie demande l’application de la Convention de 1922, notamment des articles 5 et 11.
La Ville, à l’audience d’Amsterdam, a présenté une fin de non-recevoir tirée de l’article 10 de la Convention. Aux termes de cet article, il n’est tenu compte, pour l’application des articles 5, 6, 7, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention, que des intérêts des ressortissants français et polonais existant dans les sociétés ou entreprises avant le 1er août 1914. La Ville en a conclu que pour se prévaloir des dispositions de la Convention, les sociétés ne sauraient user des droits que cette Convention leur a accordés qu’à proportion des intérêts français et polonais qui auraient existé chez elles au 1er août 1914, et qu’en conséquence, puisqu’une concession forme un tout indivisible, qu’il est impossible de répartir proportionnellement, la Compagnie, dont le capital était, avant le 1er août 1914, en partie allemand, ne peut être reçue en sa demande.
Le soussigné est d’avis que l’argumentation de la Ville provient d’une interprétation erronée dudit article 10 de la Convention.
En ce qui concerne la soi-disant nationalité des sociétés, la Convention a adopté le système, dit « du contrôle », c’est-à-dire qu’elle considère comme sociétés françaises ou sociétés polonaises celles dont la majorité du capital-actions appartient à des ressortissants français ou à des ressortissants polonais.
Or, quelle est l’époque à laquelle cette majorité française ou polonaise a dû avoir existé? C’est le 1er août 1914, date fixée par l’article 10. Les sociétés françaises ou polonaises ne pourront bénéficier des dispositions de la Convention que dans le cas où au 1er août 1914 la majorité du capital appartenait à des Français ou à des Polonais.
La fixation de la date du 1er août 1914 a évidemment pour but d’empêcher que par une cession fictive d’actions à des ressortissants français ou polonais, une majorité française ou polonaise soit créée dans le but d’appliquer la Convention aux sociétés dont en réalité la majorité du capital appartiendrait à des personnes ayant une autre nationalité.
En l’espèce, la majorité du capital de la Compagnie ayant appartenu à des ressortissants français dès le 1er août 1914, l’article 10 ne s’oppose pas à ce que la Compagnie soit déclarée recevable en sa demande.
2. La Ville a présenté une autre fin de non-recevoir en faisant valoir que la Compagnie se serait désistée des droits éventuels résultant pour elle de la Convention.
A l’appui de sa thèse, la Ville a invoqué une déclaration, datée du 28 octobre 1924, et faite par M. Hannothiaux au nom de la Compagnie, déclaration dont l’article 1er est ainsi conçu:
« Je n’élève ni n’élèverai contre le Gouvernement polonais aucune pré-« tention en ce qui concerne l’indemnité des dommages et pertes pouvant « résulter à quelque titre que ce soit, et particulièrement à titre de la cons-« titution et de l’exécution de l’Administration d’Etat de F Usine électrique « à Varsovie et de son bien, se trouvant sur le territoire de la République « polonaise, et appartenant à la Compagnie d’Electricité de Varsovie. »
Cette déclaration a été remise au Gouvernement polonais au moment où la Compagnie est rentrée en possession de son usine, exploitée jusqu’alors par ledit Gouvernement. Elle ne contient aucun abandon des droits de la Compagnie envers la Ville.
D’abord l’article 1er précité ne fait mention que des prétentions que la Compagnie pourrait élever contre le Gouvernement polonais sans y comprendre les droits vis-à-vis de la Ville; ensuite la déclaration a été accompagnée d’une lettre signée par M. Hannothiaux le 28 octobre 1924, lettre qui contient le passage suivant: « Le soussigné fait la réserve que la signature de la « déclaration en question ne sera pas comprise comme renonciation faite » par lui, au nom de la Compagnie d’Electricité de Varsovie, aux droits lui « incombant en vertu du contrat de concession et de la Convention polono-« française du 6 février 1922, concernant la fortune, les droits et les partici-« pations. »
Il en appert que la Compagnie, tout en se désistant de sa réclamation envers le Gouvernement polonais du chef de l’exploitation forcée par l’Etat polonais, n’a aucunement renoncé à ses droits envers la Ville.
3. En troisième lieu la Ville a prétendu que la Compagnie ne saurait se prévaloir des dispositions de la Convention de 1922, puisque, après la fin des hostilités et de l’occupation allemande, la Compagnie a été en défaut jusqu’en 1924. de reprendre l’exploitation.
Les parties sont d’accord sur ce que le Gouvernement polonais ayant saisi l’usine de la Compagnie, s’est chargé dès l’armistice de l’exploitation qui a duré jusqu’en 1924, lorsqu’elle a été reprise par la Compagnie. On ne saurait contester que la saisie a eu lieu dans l’intérêt public afin d’assurer la marche régulière de l’exploitation pendant les troubles qui ont sévi les premiers temps après l’armistice.
Durant l’exploitation gouvernementale la Compagnie n’a jamais refusé de reprendre l’exploitation: seulement, eu égard aux changements dans la situation économique, elle a demandé des modifications de la concession, notamment en ce qui concerne le tarif de vente.
Cette demande a fait l’objet de négociations qui ont abouti à la reprise de l’exploitation par la Compagnie en 1924.
Le fait que la Compagnie a désiré des modifications dans la concession ne saurait être considéré comme un refus de reprendre l’exploitation. En effet, le Ministère polonais du Commerce et de l’Industrie a, par son exposé du 3 décembre 1919, constaté lui-même que « le prix de vente d’énergie « électrique, fixé par le contrat de concession, doit effectivement être considéré « comme trop bas vu l’augmentation considérable du prix du charbon et « de la main-d’œuvre ». Le Ministère a ajouté qu’il avait élaboré un projet de loi sur l’augmentation du prix de vente, mais que jusqu’au moment où le projet de loi aurait obtenu les sanctions nécessaires, les prix fixés par le contrat n’auraient pu être augmentés que par une entente à l’amiable entre le concessionnaire et la Ville.
La Ville a fait valoir qu’en 1918 et en 1919 elle a notifié à la Compagnie deux exploits contenant sommation pour reprendre les travaux. Cependant il est à noter qu’après ces sommations la Ville n’a fait aucune démarche pour faire annuler la concession à cause de la non-exploitation par le concessionnaire. Au contraire, elle ne s’est nullement opposée à la reprise des travaux par la Compagnie en 1924; c’est-à-dire à une époque où la Convention de 1922 existait et où la Ville pouvait prévoir que la Compagnie désirerait bénéficier de cette Convention. Il résulte de ce qui précède que la Compagnie, par son attitude durant les années 1919-1924, n’est pas déchue du droit de demander l’application de la Convention de 1922.
Fond.
La Compagnie demande la prolongation de la concession par application de l'article 5 de la Convention de 1922.
Aux termes de l’article 5, alinéa 3, les concessionnaires ou fermiers de concessions, quelle que soit la nature de leur concession, dont les intérêts ont fait pendant la guerre l’objet de mesures exceptionnelles de guerre ou de disposition ou qui ont été temporairement privés de la jouissance de leurs droits, peuvent obtenir la prolongation de la durée de leur concession. La Convention donne des indications pour fixer la durée de la prolongation; elle tiendra compte de la durée de la dépossession et elle ne pourra être inférieure à six années.
La Compagnie a été dépossédée d’abord du 7 août 1915 jusqu’au 11 novembre 1918 à cause de l’occupation allemande; ensuite du 11 novembre 1918 au 13 novembre 1924 à la suite de l’exploitation par le Gouvernement polonais; donc ensemble pendant environ neuf ans.
La Compagnie a demandé une prolongation de plus de neuf ans, en invoquant le fait que par l’impossibilité d’exploiter pendant les années 1915 à 1924 elle a perdu les bénéfices de l’exploitation pendant ces 9 années, bénéfices pour lesquels elle ne sera indemnisée que par la prolongation de la concession après la date de son expiration, soit le 11 janvier 1937.
Cette réclamation de la Compagnie paraît fondée. En effet, la Compagnie a droit à une compensation pour le préjudice résultant pour elle du fait que ce n’est qu’avec un retard considérable qu’elle obtiendra l’indemnité pour l’interruption de son exploitation.
Cette compensation peut être accordée sous forme d’une augmentation de la prolongation de la concession. Le soussigné se réserve de fixer la durée de cette augmentation après avoir entendu l’avis d’un expert.
La Ville a contesté le droit de la Compagnie à la prolongation, en invoquant une transaction, intervenue entre cette dernière et l’Etat allemand.
Cette transaction a mis fin à la procédure introduite par la Compagnie devant le Tribunal Arbitral Mixte franco-allemand, tendant à obtenir une indemnité du chef de l’occupation et de l’exploitation de l’usine par les autorités allemandes pendant la guerre.
D’après la Ville, la Compagnie, en recevant le montant prévu par la transaction, aurait été pleinement indemnisée pour la privation de jouissance et qu’en conséquence une prolongation de la concession, prolongation qui aurait le caratère d’une indemnité, ferait double emploi avec ladite transaction.
Cependant la Ville oublie:
1. que la transaction susmentionnée ne couvre qu’une partie du préjudice souffert par la Compagnie à la suite de l’occupation allemande;
2. que ledit préjudice n’est pas limité à la privation de jouissance, mais qu’au contraire la Compagnie a subi des dommages à la suite de l’exploitation durant la guerre (dégâts, pertes de matériel, etc.), dommages qui ne sont pas réparés par la prolongation de la concession;
3. qu’évidemment la perte de bénéfice à la suite de la dépossession pendant l’exploitation par le Gouvernement polonais ne saurait être comprise dans la transaction intervenue avec l’Etat allemand.
On ne pourrait donc pas soutenir que la Compagnie en faisant ladite transaction, ait perdu son droit à la prolongation de la concession.
Outre la prolongation de la concession, la Compagnie a demandé la revision des tarifs pour la vente de l’électricité, ainsi qu’une indemnité compensatrice de l’application des tarifs réduits à partir du 1er janvier 1927, en faisant valoir que depuis la guerre de nombreux et profonds changements dans les conditions du commerce se sont produits, que le pouvoir d’achat de l’or a diminué, que le coût de la main-d’œuvre a augmenté et que la monnaie polonaise, après avoir subi des fluctuations importantes, s’est stabilisée en fait depuis 1926 à un cours inférieur de plus de 40 % à sa parité-or.
A l’appui de sa demande, la Compagnie a invoqué les articles 5 et 11 de la Convention, ainsi que les Dispositions Générales de l’Annexe audit article.
Aux termes de l’article 11 les contrats conclus entre personnes soumises à la juridiction de la Pologne et les personnes soumises à la juridiction de la France, qui sont devenues parties séparées au sens du paragraphe premier de l’Annexe précitée sont considérés comme annulés, à partir du moment où deux quelconques des parties sont devenues parties séparées; d’après l’Annexe audit l’article 11 (Dispositions Générales 1°) les personnes parties à un contrat sont considérées comme séparées lorsque le commerce entre elles aura été interdit par les lois, décrets ou règlements d’un Etat dont l’une de ces parties était ressortissante. Enfin sont exceptés de l’annulation prévue à l’article 11 : les contrats dont, dans l’intérêt général et à la suite d’un accord entre les Hautes Parties Contractantes, l’exécution a été réclamée dans un délai de six mois à dater de la mise en vigueur de la Convention; ainsi que les contrats énumérés dans l’Annexe de l’article 11, entre autres ceux passés entre les particuliers ou les sociétés et les Etats, provinces, municipalités ou autres personnes juridiques administratives analogues.
Lorsque l’exécution des contrats ainsi maintenus entraîne pour une des parties, par suite du changement dans les conditions du commerce un préjudice considérable, une indemnité équitable pourra être attribuée à la partie lésée.
La Compagnie a fait valoir qu’il s’agit en l’espèce d’un contrat maintenu et qu’en conséquence elle est en droit de bénéficier de la disposition précitée, accordant une indemnité en raison du préjudice résultant de l’exécution du contrat dans des conditions économiques autres que celles de l’époque à laquelle le contrat fut conclu.
La Ville a contesté l’applicabilité de l’article 11, en soutenant que cet article ne vise que les contrats de droit privé, alors que la concession, par elle accordée à la Compagnie, constitue un contrat de service public qui ne saurait être assimilé aux contrats de droit privé. Cette thèse a été combattue par la Compagnie qui a soutenu que rien ne s’oppose à ce que la concession soit considérée comme un contrat de droit privé, visé par les dispositions dudit article 11 de la Convention.
Le soussigné estime que la concession accordée par la Ville à la Compagnie a, comme généralement toutes les concessions, un caractère double; elle relève tant du droit public que du droit privé.
Partout où la Ville a octroyé au concessionnaire des droits qu’elle ne peut lui accorder qu’en vertu de son autorité de municipalité, l’acte de concession est un acte de droit public; telle l’autorisation de poser des conduites électriques dans les rues et sur les places de la Ville, étant d’usage public; tel le droit exclusif de distribuer l’énergie électrique, le contrôle, exercé par la Ville sur l’exploitation par le concessionnaire, etc.
D’autre part, la concession contient nombre de dispositions qui rentrent dans le domaine du droit privé, comme celles concernant le paiement de l’éclairage de la Ville, le tarif pour la consommation privée, la redevance à la Ville, etc.
Il en suit que le caractère juridique de la concession ne s’oppose pas à y appliquer les dispositions de la Convention de 1922, qui traitent des contrats de droit privé notamment l’article 11 de cette Convention.
La Ville a encore fait valoir que l’alinéa 3 de l’article 11, établissant le droit à une indemnité pour le préjudice causé par l’exécution des contrats maintenus ne vise que les contrats maintenus en vertu de l’alinéa 2 dudit article, savoir les contrats dont l’exécution a été réclamée à la suite d’un accord entre les Hautes Parties Contractantes.
Il faut y répondre:
1) que l'alinéa 3 de l’article 11 ne se réfère pas expressément à l’alinéa précédent;
2) que l’alinéa 1er de l’article 11, qui contient le principe de l'annulation, fait mention des exceptions à ce principe, exceptions prévues non seulement dans l’alinéa 2, mais aussi dans l’Annexe jointe à l’article;
3) qu’en conséquence il n’y a pas lieu de limiter l’application de l’alinéa 3 aux contrats maintenus en vertu de l’alinéa 2, d’autant moins que la disposition de l’alinéa 3 n’a rien d’exceptionnel, mais qu’au contraire elle est l’application d’un principe généralement admis.
Enfin, pour combattre le prétendu droit de la Compagnie à un relèvement des tarifs la Ville a invoqué la situation financière de la Compagnie; elle a produit les bilans et les comptes de profits et pertes de plusieurs exercices, entre autres les exercices après la reprise de l’exploitation en 1924; et elle en a conclu que la prospérité évidente de la Compagnie ne justifierait pas l’indemnité par elle réclamée.
La Compagnie, de son côté, a exposé que d’après la législation actuellement en vigueur en Pologne, elle est obligée de dresser ses bilans en zlotys et que le dernier bilan, celui de l’exercice 1929, donne une image exacte de la situation financière de son exploitation fin 1929, — bilan qui d’après la Compagnie démontre que la situation actuelle de l’exploitation à Varsovie n’a rien de brillant.
Le soussigné estime:
1. que, même dans l’hypothèse où la situation financière de la Compagnie serait satisfaisante, une telle situation n’exclurait pas la possibilité d’un préjudice souffert par l’application des tarifs d’avant guerre;
2. que d’autre part la comptabilité de la Compagnie peut fournir des éléments pour répondre à la question concernant la fixation des tarifs et l’indemnité réclamée à partir du Ier janvier 1927.
Cependant, avant de répondre à cette dernière question, le soussigné désire connaître l’avis d’un expert sur quelques points qui seront formulés ci-dessous.
En dernier lieu la Compagnie a demandé l’ajustement des dispositions du § 48 de la concession concernant le rachat de la concession en raison de la privation de jouissance et de la prolongation de la concession, visée par le n° 4 de la requête.
D’après ledit § 48, la Ville paiera, après l’écoulement de 25 années de concession, pour le rachat une somme correspondant au bénéfice net annuel moyen de l’exploitation pour les dernières cinq années multiplié par le nombre d’années restant encore à courir jusqu’à la fin de la concession.
Le soussigné est d’avis
1) que pour déterminer le nombre d’années encore à courir il faut tenir compte de la prolongation de la concession en vertu de la présente décision ;
2) que la moyenne des bénéfices annuels pour les dernières cinq années devra être calculée sur la base des résultats obtenus par l’exploitation, augmentés du montant de l’indemnité éventuelle à allouer à partir du 1er janvier 1927, comme compensation de l’application des tarifs d’avant guerre.
Par tous les motifs exposés ci-dessus, le soussigné donne la décision suivante :
a) il se déclare compétent pour connaître de la demande;
b) il n’y a pas eu d’irrégularité de procédure;
c) la Compagnie est en droit de demander l’application de la Convention franco-polonaise du 6 février 1922 relative aux biens, droits et intérêts;
d) la Compagnie ne s’est pas désistée dudit droit;
é) la Compagnie n’a pas été en défaut de reprendre l’exploitation; ʃ) la Compagnie a droit à une prolongation de la concession;
g) le prix de rachat à payer selon la disposition du § 48 de la Concession doit être calculé sur les bases indiquées sous les nos 1 et 2 ci-dessus;
A) avant de donner sa décision sur les autres points, le soussigné demande l’avis d’un expert sur les points suivants :
1) Quelle est la durée de la prolongation de la concession litigieuse, qu’en bonne justice il faut accorder, compte tenu des conclusions des parties, des motifs de la présente décision ainsi que des documents déjà produits au procès et des livres et autres pièces de comptabilité à produire par la Compagnie ?
2) Comment les tarifs, ainsi que l’indemnité réclamée à partir du 1er janvier 1927, doivent-ils être réglés et fixés, compte tenu des éléments fournis par les conclusions des parties, des motifs de la présente décision, des documents déjà produits au procès et des livres et autres pièces de comptabilité, à produire par la Compagnie?
En outre le soussigné invite la Compagnie:
a) à produire ses livres et autres pièces de comptabilité dans un délai d’un mois après demande faite par l’expert sousmentionné ;
b) à déposer au nom de l’expert sousmentionné chez l’Amsterdamsche Bank, à Amsterdam, dans un délai d’un mois après la réception de la présente décision une somme de fl. P.B. 5000.— Acompte des frais de l’expertise.
Enfin le soussigné nomme comme expert M. le Docteur Warner Lulofs, Directeur des Travaux d’Electricité de la Municipalité d’Amsterdam.
La décision sur les frais du procès est réservée.
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