Dans cette requête, le Congo soutenait que la Belgique avait violé le «principe selon lequel un Etat ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d’un autre Etat», le «principe de l’égalité souveraine entre tous les Membres de l’Organisation des Nations Unies, proclamé par l’article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies», ainsi que «l’immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain, reconnue par la jurisprudence de la Cour et découlant de l’article 41, paragraphe 2, de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques».
Pour fonder la compétence de la Cour, le Congo invoquait, dans ladite requête, le fait que « [l]a Belgique a[vait] accepté la juridiction de la Cour et, [qu’]en tant que de besoin, [ladite] requête [valait] acceptation de cette juridiction par la République démocratique du Congo».
Par ordonnance du 8 décembre 2000, la Cour, d’une part, a rejeté cette demande tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle et, d’autre part, a dit que les circonstances, telles qu’elles se présentaient alors à la Cour, n’étaient pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer, en vertu de l’article 41 du Statut, des mesures conservatoires. Dans la même ordonnance, la Cour a par ailleurs déclaré qu’«il [était] souhaitable que les questions soumises à la Cour soient tranchées aussitôt que possible» et que, «dès lors, il conv[enait] de parvenir à une décision sur la requête du Congo dans les plus brefs délais».
Pour le Congo: S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza,
S. Exc. M. Ngele Masudi,
Mc Kosisaka Kombe,
M. François Rigaux,
Mme Monique Chemillier-Gendreau,
M. Pierre d’Argent.
Pour la Belgique: M. Jan Devadder,
M. Daniel Bethlehem,
M. Eric David.
«Il est demandé à la Cour de dire que le Royaume de Belgique devra annuler le mandat d’arrêt international qu’un juge d’instruction belge, M. Vandermeersch, du tribunal de première instance de Bruxelles, a décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la République démocratique du Congo, M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, en vue de son arrestation provisoire préalablement à une demande d’extradition vers la Belgique, pour de prétendus crimes constituant des «violations graves de droit international humanitaire», mandat d’arrêt que ce juge a diffusé à tous les Etats, y compris la République démocratique du Congo elle-même, qui l’a reçu le 12 juillet 2000.»
Au nom du Gouvernement du Congo,
dans le mémoire:
«A la lumière des faits et des arguments exposés ci-dessus, le Gouvernement de la République démocratique du Congo prie la Cour de dire et juger:
1. Que, en émettant et en diffusant internationalement le mandat d’arrêt du 11 avril 2000 délivré à charge de M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, la Belgique a violé, à l’encontre de la RDC, la règle de droit international coutumier relative à l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des:ministres des affaires étrangères en fonction;
2. Que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite de ce fait constitue une forme adéquate de satisfaction permettant de réparer le dommage moral qui en découle dans le chef de la RDC ;
3. Que la violation du droit international dont procèdent l’émission et la diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril 2000 interdit à tout Etat, en ce compris la Belgique, d’y donner suite;
4. Que la Belgique est tenue de retirer et mettre à néant le mandat d’arrêt du 11 avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles ledit mandat fut diffusé qu’elle renonce à solliciter leur coopération pour l’exécution de ce mandat illicite suite à l’arrêt de la Cour.»
Au nom du Gouvernement de la Belgique,
dans le contre-mémoire:
«Pour les motifs développés dans la Partie Il du présent contre-mémoire, la Belgique demande à la Cour, à titre préliminaire, de dire et de juger que la Cour n’est pas compétente et/ou que la requête de la République démocratique du Congo contre la Belgique n’est pas recevable.
Si, contrairement aux conclusions ci-dessus, la Cour devait conclure qu’elle était compétente et que la requête de la République démocratique du Congo était recevable, la Belgique demande à la Cour de rejeter les conclusions finales de la République démocratique du Congo sur le fond de la demande et de rejeter la requête.»
Au nom du Gouvernement du Congo,
«A la lumière des faits et des arguments exposés au cours de la procédure écrite et orale, le Gouvernement de la République démocratique du Congo prie la Cour de dire et juger:
1. Que, en émettant et en diffusant internationalement le mandat d'arrêt du 11 avril 2000 délivré à charge de M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, la Belgique a violé, à l’encontre de la République démocratique du Congo, la règle de droit international coutumier relative à l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des ministres des affaires étrangères en fonction; que, ce faisant, elle a porté atteinte au principe de l’égalité souveraine entre les Etats;
2. Que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite de ce fait constitue une forme adéquate de satisfaction permettant de réparer le dommage moral qui en découle dans le chef de la République démocratique du Congo;
3. Que les violations du droit international dont procèdent l’émission et la diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril 2000 interdisent à tout Etat, en ce compris la Belgique, d’y donner suite;
4. Que la Belgique est tenue de retirer et mettre à néant le mandat d’arrêt du 11 avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles ledit mandat fut diffusé qu’elle renonce à solliciter leur coopération pour l’exécution de ce mandat illicite. »
Au nom du Gouvernement de la Belgique,
«Pour les motifs développés dans le contre-mémoire de la Belgique et dans ses conclusions orales, la Belgique demande à la Cour, à titre préliminaire, de dire et de juger que la Cour n’est pas compétente et/ou que la requête de la République démocratique du Congo contre la Belgique n’est pas recevable.
Si, contrairement aux conclusions de la Belgique sur la compétence et la recevabilité de la demande, la Cour devait conclure qu’elle était compétente et que la requête de la République démocratique du Congo était recevable, la Belgique demande à la Cour de rejeter les conclusions finales de la République démocratique du Congo sur le fond de la demande et de rejeter la requête. »
Au moment de l’émission du mandat d’arrêt, M. Yerodia était ministre des affaires étrangères du Congo.
L’article 7 de la loi belge dispose que «les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la présente loi, indépendamment du lieu où celles-ci auront été commises». En l’espèce, selon la Belgique, les plaintes à l’origine de la procédure dans le cadre de laquelle a été émis le mandat d’arrêt émanaient de douze personnes, toutes résidant en Belgique, dont cinq de nationalité belge. Il n’est cependant pas contesté par la Belgique que les faits allégués auxquels se rapporte le mandat d’arrêt ont été commis hors du territoire belge; que, au moment des faits, M. Yerodia n’était pas ressortissant belge; et qu’il ne se trouvait pas sur le territoire belge lorsque a été émis et diffusé le mandat d’arrêt. Il n’est pas davantage contesté qu’aucun ressortissant belge ne figurait parmi les victimes des violences qui auraient résulté des infractions imputées à M. Yerodia.
Le paragraphe 3 de l’article 5 de la loi belge dispose en outre que «[l]’immunité attachée à la qualité officielle d’une personne n’empêche pas l’application de la présente loi».
«[v]iolation du principe selon lequel un Etat ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d’un autre Etat et du principe de l’égalité souveraine entre tous les Membres de l’Organisation des Nations Unies, proclamé par l’article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies».
Il y affirmait en deuxième lieu que «[l]’exclusion, qui découle de l’article 5... de la loi belge, de l’immunité du ministre des affaires étrangères en exercice» constituait une «[v]iolation de l’immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain, reconnu[e] par la jurisprudence de la Cour et découlant de l’article 41, paragraphe 2, de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques».
«Etant donné que M. Yerodia Ndombasi n’est plus ni ministre des affaires étrangères [du Congo,] ni ministre chargé d’une quelconque autre fonction au sein du Gouvernement [du Congo], il n’y a plus de «différend juridique» entre les Parties au sens des déclarations facultatives d’acceptation de la juridiction de la Cour déposées par les Parties et la Cour n’est, en conséquence, pas compétente en l’instance.»
«Les Etats parties au présent Statut pourront, à n’importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur tous les différends d’ordre juridique ayant pour objet:
a) l’interprétation d’un traité;
b) tout point de droit international;
c) la réalité de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un engagement international;
d) la nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un engagement international.»
Le 17 octobre 2000, date à laquelle a été déposée la requête introductive d’instance du Congo, chacune des deux Parties se trouvait liée par une déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour effectuée conformément à cette disposition: la Belgique par une déclaration du 17 juin 1958 et le Congo par une déclaration du 8 février 1989. Ces déclarations ne comportaient aucune réserve applicable au cas d’espèce.
Par ailleurs, il n’est pas contesté par les Parties qu’un différend les opposait alors quant à la licéité au regard du droit international du mandat d’arrêt du 11 avril 2000 et quant aux conséquences à tirer d’une éventuelle illicéité de ce mandat. Un tel différend constituait bien un différend juridique au sens de la jurisprudence de la Cour, à savoir «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes», dans lequel «la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre» (Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 17, par. 22; et Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 122-123, par. 21).
«Etant donné que M. Yerodia Ndombasi n’est plus ni ministre des affaires étrangères [du Congo,] ni ministre chargé d’une quelconque autre fonction au sein du Gouvernement [du Congo], la demande [de ce dernier] n’a plus d’objet et la Cour devrait, en conséquence, refuser de juger au fond.»
Elle estime toutefois que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, le changement intervenu dans la situation de M. Yerodia n’a pas mis fin au différend entre les Parties et n’a pas privé la requête d’objet. Le Congo maintient sa thèse selon laquelle le mandat d’arrêt délivré par les autorités judiciaires belges à l’encontre de M. Yerodia était et demeure illicite. Il demande à la Cour de proclamer cette illicéité et de réparer ainsi le préjudice moral que le mandat d’arrêt lui aurait causé. Le Congo continue par ailleurs de demander la mise à néant dudit mandat. Quant à la Belgique, elle maintient que ses actions n’étaient pas contraires au droit international et elle s’oppose aux conclusions du Congo. De l’avis de la Cour, il résulte de ce qui précède que la requête du Congo n’est pas aujourd’hui dépourvue d’objet et que, par suite, il y a lieu pour la Cour de statuer sur ladite requête. La deuxième exception de la Belgique doit en conséquence être rejetée.
«Etant donné que l’affaire soumise aujourd’hui à la Cour est substantiellement différente de celle formulée dans la requête introductive d’instance [du Congo], la Cour n’est, en conséquence, pas compétente et/ou la requête [du Congo] n’est pas recevable. »
Dans ces conditions, la Cour estime que la Belgique ne peut valablement affirmer que le différend porté devant la Cour aurait été transformé de manière telle que la capacité de la Belgique à préparer sa défense aurait été affectée, ou qu’il aurait été porté atteinte aux exigences d’une bonne administration de la justice. La troisième exception de la Belgique doit partant être rejetée.
« Etant donné la situation nouvelle dans laquelle se trouve la personne de M. Yerodia Ndombasi, la demande a pris la forme d’une action visant à recréer la protection diplomatique en faveur de M. Yerodia Ndombasi alors que ce dernier n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes; la Cour n’est, en conséquence, pas compétente et/ou la requête [du Congo] n’est pas recevable.»
En tout état de cause, la Cour rappelle que l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes a trait à la recevabilité de la requête (voir Interhandel, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 26; Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI), arrêt, C.I.J. Recueil 1989, p. 42, par. 49). Or, selon une jurisprudence constante, la date pertinente aux fins d’apprécier la recevabilité d’une requête est celle à laquelle cette dernière a été déposée (voir Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 25-26, par. 43-44; et Questions d’interprétation et d'application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l'incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d’Amérique); exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 130-131, par. 42-43). La Belgique reconnaît que, au moment du dépôt de la requête introductive d’instance par le Congo, ce dernier avait un intérêt juridique directement en cause et faisait valoir une demande en son nom propre. La quatrième exception de la Belgique doit par suite être rejetée.
Le Congo et la Belgique se réfèrent en outre à la convention de New York du 8 décembre 1969 sur les missions spéciales à laquelle ils ne sont cependant pas parties. Ils rappellent que, selon le paragraphe 2 de l’article 21 de cette convention:
«Le chef de gouvernement, le ministre des affaires étrangères et les autres personnalités de rang élevé, quand ils prennent part à une mission spéciale de l’Etat d’envoi, jouissent dans l’Etat de réception ou dans un Etat tiers, en plus de ce qui est accordé par la présente convention, des facilités, privilèges et immunités reconnus par le droit international. »
Des enseignements utiles peuvent être tirés de ces conventions sur tel ou tel aspect de la question des immunités. Elles ne contiennent toutefois aucune disposition fixant de manière précise les immunités dont jouissent les ministres des affaires étrangères. C’est par conséquent sur la base du droit international coutumier que la Cour devra trancher les questions relatives aux immunités de ces ministres soulevées en l’espèce.
La Belgique précise tout d’abord que des dispositions des instruments créant des juridictions pénales internationales prévoient expressément que la qualité officielle d’une personne n’est pas un obstacle à l’exercice de leur compétence par ces juridictions.
Elle insiste également sur certaines décisions rendues par des juridictions nationales et tout particulièrement sur les décisions rendues le 24 mars 1999 par la Chambre des lords du Royaume-Uni et le 13 mars 2001 par la Cour de cassation française, respectivement dans les affaires Pinochet et Kadhafi, dans lesquelles une exception à la règle de l’immunité aurait été admise en cas de crimes graves de droit international. Ainsi, selon la Belgique, la décision Pinochet reconnaît une exception à la règle de l’immunité lorsque lord Millet dit qu’«on ne peut supposer que le droit international ait institué un crime relevant du jus cogens tout en prévoyant une immunité ayant la même portée que l’obligation qu’il cherche à imposer», ou que lord Phillips of Worth Matravers expose qu’« aucune règle établie de droit international n’exige que l’immunité d’un Etat ratione materiae soit accordée dans le cadre de poursuites pour crime international». Quant à la Cour de cassation française, en décidant que, «en l’état du droit international, le crime dénoncé [faits de terrorisme], quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’Etat étrangers en exercice», elle aurait reconnu explicitement, selon la Belgique, l’existence de telles exceptions.
A l’appui de cette affirmation, le Congo se réfère à la pratique des Etats, examinant notamment à ce titre les affaires Pinochet et Kadhafi, pour constater que cette pratique ne correspond pas à ce que la Belgique prétend, mais consacre au contraire le caractère absolu de l’immunité pénale des chefs d’Etat et des ministres des affaires étrangères. Ainsi, s’agissant de la décision Pinochet, le Congo cite lord Browne-Wilkinson, selon lequel l’«immunité dont jouit un chef d’Etat en fonction ou un ambassadeur en exercice est une immunité totale liée à la personne du chef d'Etat ou de l’ambassadeur et qui exclut toute action ou poursuite judiciaire à son encontre...». Selon le Congo, la Cour de cassation française aurait adopté la même position dans son arrêt Kadhafi en affirmant que «la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’Etat en exercice puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un Etat étranger».
Quant aux instruments créant des juridictions pénales internationales et à la jurisprudence de ces dernières, ils ne concernent, selon le Congo, que ces seules juridictions internationales et rien ne saurait en être tiré en ce qui concerne les actions pénales devant des juridictions nationales à l’encontre des personnes jouissant d’une immunité en vertu du droit international.
La Cour a par ailleurs examiné les règles afférentes à l’immunité ou à la responsabilité pénale des personnes possédant une qualité officielle contenues dans les instruments juridiques créant des juridictions pénales internationales et applicables spécifiquement à celles-ci (voir statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, art. 7; statut du Tribunal militaire international de Tokyo, art. 6; statut du Tribunal pénal international pour I’ex-Yougoslavie, art. 7, par. 2; statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, art. 6, par. 2; statut de la Cour pénale internationale, art. 27). Elle a constaté que ces règles ne lui permettaient pas davantage de conclure à l’existence, en droit international coutumier, d’une telle exception en ce qui concerne les juridictions nationales.
Enfin, aucune des décisions des tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo, ainsi que du Tribunal pénal international pour I’ex-Yougoslavie, que cite la Belgique ne traite de la question des immunités des ministres des affaires étrangères en exercice devant les juridictions nationales lorsqu’ils sont accusés d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. La Cour note, par conséquent, que ces décisions ne contredisent en rien les constatations auxquelles elle a procédé ci-dessus.
Au vu de ce qui précède, la Cour ne saurait donc accueillir l’argumentation présentée par la Belgique à cet égard.
Ils ne bénéficient, en premier lieu, en vertu du droit international d’aucune immunité de juridiction pénale dans leur propre pays et peuvent par suite être traduits devant les juridictions de ce pays conformément aux règles fixées en droit interne.
En deuxième lieu, ils ne bénéficient plus de l’immunité de juridiction à l’étranger si l’Etat qu’ils représentent ou ont représenté décide de lever cette immunité.
En troisième lieu, dès lors qu’une personne a cessé d’occuper la fonction de ministre des affaires étrangères, elle ne bénéficie plus de la totalité des immunités de juridiction que lui accordait le droit international dans les autres Etats. A condition d’être compétent selon le droit international, un tribunal d’un Etat peut juger un ancien ministre des affaires étrangères d’un autre Etat au titre d’actes accomplis avant ou après la période pendant laquelle il a occupé ces fonctions, ainsi qu’au titre d’actes qui, bien qu’accomplis durant cette période, l’ont été à titre privé.
En quatrième lieu, un ministre des affaires étrangères ou un ancien ministre des affaires étrangères peut faire l’objet de poursuites pénales devant certaines juridictions pénales internationales dès lors que celles-ci sont compétentes. Le Tribunal pénal international pour I’ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda, établis par des résolutions du Conseil de sécurité adoptées en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, ainsi que la future Cour pénale internationale instituée par la convention de Rome de 1998, en sont des exemples. Le statut de cette dernière prévoit expressément, au paragraphe 2 de son article 27, que «les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne».
«Que, en émettant et en diffusant internationalement le mandat d’arrêt du 11 avril 2000 délivré à charge de M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, la Belgique a violé, à l’encontre de la République démocratique du Congo, la règle de droit international coutumier relative à l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des ministres des affaires étrangères en fonction ; que, ce faisant, elle a porté atteinte au principe de l’égalité souveraine entre les Etats.»
Le Congo considère que la simple émission de ce mandat constituait ainsi un acte de contrainte dirigé contre la personne de M. Yerodia, même en l’absence d’exécution.
S’agissant des effets juridiques du mandat d’arrêt du 11 avril 2000 en droit belge, la Belgique expose que l’objet manifeste du mandat était d’obtenir que, dans le cas où M. Yerodia serait trouvé en Belgique, l’intéressé soit détenu par les autorités belges compétentes, aux fins de le poursuivre pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Selon elle, le juge d’instruction belge aurait toutefois clairement distingué dans le mandat entre, d’une part, immunité de juridiction et, d’autre part, immunité d’exécution pour les représentants d’Etats étrangers visitant la Belgique à la suite d’une invitation officielle, en précisant que ces personnes seraient à l’abri de l’exécution d’un mandat d’arrêt en Belgique. La Belgique prétend également que, par ses effets, le mandat d’arrêt en cause revêt un caractère national puisqu’il exige l’arrestation de M. Yerodia, si celui-ci devait se trouver en Belgique, mais qu’il n’a pas un tel effet à l’étranger.
«— Crimes de droit international constituant des infractions graves portant atteinte par action ou omission aux personnes et aux biens protégés par les conventions signées à Genève le 12 août 1949 et par les protocoles I et II additionnels à ces conventions (article 1, paragraphe 3, de la loi du 16 juin 1993 modifiée par la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire)
— Crimes contre l’humanité (article 1, paragraphe 2, de la loi du 16 juin 1993 modifiée par la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire).»
Le mandat fait état de «différents discours incitant à la haine raciale» et de «propos particulièrement virulents» que M. Yerodia aurait tenus lors d’«interventions publiques relayées par les médias» en date des 4 août et 27 août 1998. Il y est ajouté ce qui suit:
«Ces discours auraient eu pour effet d’inciter la population à s’en prendre aux résidents tutsi de Kinshasa : il fut question d’opérations de ratissage, de chasse à l’homme (l’ennemi tutsi), de scènes de lynchage.
Les discours incitant à la haine raciale auraient ainsi eu pour résultat la mort de plusieurs centaines de personnes et l’internement de Tutsi, des exécutions sommaires, des arrestations arbitraires et des procès injustes.»
«En vertu du principe général de loyauté de l’action de la justice, une immunité d’exécution doit être, à notre sens, reconnue à tout représentant d’un Etat qui est accueilli sur le territoire belge en tant que tel (en «visite officielle»). L’accueil d’une telle personnalité étrangère en tant que représentant officiel d’un Etat souverain met en jeu non seulement des relations entre individus mais également des relations entre Etats. Dans cet ordre d’idées, il inclut l’engagement de l’Etat accueillant et de ses différentes composantes de ne prendre aucune mesure coercitive à l’égard de son hôte et cette invitation ne pourrait devenir le prétexte pour faire tomber l’intéressé dans ce qui devrait alors être qualifié de guet-apens. Dans l’hypothèse contraire, le non-respect de cet engagement pourrait entraîner la responsabilité de l’Etat hôte sur le plan international.»
«Mandons et ordonnons à tous huissiers de justice et agents de la force publique à ce requis de mettre le présent mandat d’arrêt à exécution et de conduire l’inculpé à la maison d’arrêt de Forest;
Enjoignons au directeur de la prison de recevoir l’inculpé(e) et de le (la) garder dans la maison d’arrêt en vertu du présent mandat d’arrêt;
Requérons tous dépositaires de la force publique, auxquels le présent mandat sera exhibé, de prêter main-forte à son exécution. »
La Cour ne saurait partager ce point de vue. Comme dans le cas de l’émission du mandat, la diffusion de celui-ci dès juin 2000 par les autorités belges sur le plan international, compte tenu de sa nature et de son objet, portait en effet atteinte à l’immunité dont M. Yerodia jouissait en tant que ministre des affaires étrangères en exercice du Congo et était de surcroît susceptible d’affecter la conduite par le Congo de ses relations internationales. L’intéressé étant appelé, en cette qualité, à entreprendre des voyages dans l’exercice de ses fonctions, la seule diffusion du mandat sur le plan international, en l’absence même «d’autres démarches» de la part de la Belgique, aurait pu en particulier conduire à son arrestation lors d’un déplacement à l’étranger. La Cour observe à cet égard que la Belgique elle-même fait état d’une information selon laquelle M. Yerodia «aurait appris, lors d’une demande de visa pour se rendre dans deux pays, qu’il risquait d’être arrêté en raison du mandat d’arrêt lancé contre lui par la Belgique» et qu’elle a ajouté que «[c]’est d’ailleurs ce que [le Congo]... laisse entendre lorsqu’[il] écrit que le mandat d’arrêt a obligé «le ministre Yerodia... à emprunter des voies parfois moins directes pour voyager». Par voie de conséquence, la Cour conclut que la diffusion dudit mandat, qu’elle ait ou non entravé en fait l’activité diplomatique de M. Yerodia, a constitué une violation d’une obligation de la Belgique à l’égard du Congo, en ce qu’elle a méconnu l’immunité du ministre des affaires étrangères en exercice du Congo et, plus particulièrement, violé l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité dont il jouissait alors en vertu du droit international.
«Que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite [de l’émission et de la diffusion internationale du mandat d’arrêt] constitue une forme adéquate de satisfaction permettant de réparer le dommage moral qui en découle dans le chef de la République démocratique du Congo;
Que les violations du droit international dont procèdent l’émission et la diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril 2000 interdisent à tout Etat, en ce compris la Belgique, d’y donner suite;
Que la Belgique est tenue de retirer et mettre à néant le mandat d’arrêt du 11 avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles ledit mandat fut diffusé qu’elle renonce à solliciter leur coopération pour l’exécution de ce mandat illicite.»
Le Congo souligne par ailleurs qu’il ne demande nullement à la Cour de procéder elle-même au retrait ou à la mise à néant du mandat, ni de déterminer le moyen par lequel la Belgique devrait se conformer à son arrêt. Il explique qu’un tel retrait et qu’une telle mise à néant du mandat, par les moyens que la Belgique estimera les plus appropriés, «ne consti-tue[raient] pas des moyens d’exécution de l’arrêt de la Cour mais la mesure même de réparation-restitution juridique en nature sollicitée». Le Congo soutient que, par voie de conséquence, la Cour est seulement priée de dire que la Belgique, au titre de la réparation du dommage causé aux droits du Congo, est tenue de procéder, par le moyen de son choix, au retrait et à la mise à néant de ce mandat d’arrêt.
«[l]e principe essentiel, qui découle de la notion même d’acte illicite et qui semble se dégager de la pratique internationale, notamment de la jurisprudence des tribunaux arbitraux, est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis» (C.P.J.I. série A n° 17, p. 47).
Or, dans le cas d’espèce, le rétablissement de «l’état qui aurait vraisemblablement existé si [l’acte illicite] n’avait pas été commis» ne saurait résulter simplement de la constatation par la Cour du caractère illicite du mandat d’arrêt au regard du droit international. Le mandat subsiste et demeure illicite nonobstant le fait que M. Yerodia a cessé d’être ministre des affaires étrangères. Dès lors la Cour estime que la Belgique doit, par les moyens de son choix, mettre à néant le mandat en question et en informer les autorités auprès desquelles ce mandat a été diffusé.
La Cour,
1) A) Par quinze voix contre une,
Rejette les exceptions d’incompétence, de non-lieu et d’irrecevabilité soulevées par le Royaume de Belgique;
pour: M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; M. Bula-Bula, Mme Van den Wyngaert, juges ad hoc;
contre: M. Oda, juge;
B) Par quinze voix contre une,
Dit qu’elle a compétence pour connaître de la requête introduite le 17 octobre 2000 par la République démocratique du Congo;
pour: M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; M. Bula-Bula, Mme Van den Wyngaert, juges ad hoc;
contre: M. Oda, juge;
C) Par quinze voix contre une,
Dit que la requête de la République démocratique du Congo n’est pas dépourvue d’objet et que, par suite, il y a lieu de statuer sur ladite requête;
pour: M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra- Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; M. Bula-Bula, Mme Van den Wyngaert, juges ad hoc;
contre: M. Oda, juge;
D) Par quinze voix contre une,
Dit que la requête de la République démocratique du Congo est recevable ;
pour: M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; M. Bula-Bula, Mme Van den Wyngaert, juges ad hoc;
contre: M. Oda, juge;
2) Par treize voix contre trois,
Dit que l’émission, à l’encontre de M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, du mandat d’arrêt du 11 avril 2000, et sa diffusion sur le plan international ont constitué des violations d’une obligation juridique du Royaume de Belgique à l’égard de la République démocratique du Congo, en ce qu’elles ont méconnu l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité dont le ministre des affaires étrangères en exercice de la République démocratique du Congo jouissait en vertu du droit international;
pour: M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Buergenthal, juges; M. Bula-Bula, juge ad hoc;
contre: MM. Oda, Al-Khasawneh, juges; Mme Van den Wyngaert, juge ad hoc ;
3) Par dix voix contre six,
Dit que le Royaume de Belgique doit, par les moyens de son choix, mettre à néant le mandat d’arrêt du 11 avril 2000 et en informer les autorités auprès desquelles ce mandat a été diffusé.
pour: M. Guillaume, président; M. Shi, vice-président; MM. Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Parra-Aranguren, Rezek, juges; M. Bula-Bula, juge ad hoc;
contre: M. Oda, Mme Higgins, MM. Kooijmans, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; Mme Van den Wyngaert, juge ad hoc.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le quatorze février deux mille deux, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République démocratique du Congo et au Gouvernement du Royaume de Belgique.
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