• Copy the reference
  • Tutorial video

Arrêt de la Cour d'appel de Paris 21/14388

ARRET DU 03 JANVIER 2023

SUR RENVOI APRÈS CASSATION

(n° 1 /2023 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14388 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEFQJ

Décision déférée à la Cour :

Renvoi après cassation prononcée le 26 Mai 2021 par la Cour de Cassation, de l'arrêt rendu le 28 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (Pôle 1, chambre 1)

DEMANDERESSE À LA TIERCE OPPOSITION :

La CENTRAL BANK OF LIBYA

institution autonome de l'Etat de Libye,

ayant son siège social : [Adresse 3] (LIBYE)

agissant en la personne du Gouverneur et représentée par le Département du Contentieux du Comité des Différends avec les Pays Etrangers, autrement dénommé ' Direction des Affaires de l'Etat ou ' Service du Contentieux

Ayant pour avocat postulant : Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209 ; et pour avocat plaidant : Me Carole SPORTES LEIBOVICI de la SELARL HAUSSMANN ASSOCIES,

avocat au barreau de PARIS, toque : P0443

DÉFENDERESSE À LA TIERCE OPPOSITION :

Société [K] [J] [V] [N] ET FILS

société de droit koweitien,

immatriculée au registre du commerce de l'Etat du Koweït sous le numéro 534712

ayant son siège social : [Adresse 2]) prise en son établissement en Egypte, [Adresse 1],

Ayant pour avocat : Me Rémi BAROUSSE de la SELAS TISIAS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2156

EN PRÉSENCE DE :

GOUVERNEMENT LIBYEN

domicilié: [Adresse 5] (LIBYE)

agissant par le président du département du contentieux et du comité des différends avec les pays étrangers, en representation du gouvernement Libyen

Ayant pour avocat postulant : Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 ; et pour avocat plaidant : Me Franck POINDESSAULT, de l'association d'avocats BOKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R 191

MINISTÈRE DE L'ECONOMIE LIBYEN

domicilié : [Adresse 5] (LIBYE)

agissant par le président du département du contentieux et du comité des différends avec les pays étrangers, en representation du gouvernement Libyen

Ayant pour avocat postulant : Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 ; et pour avocat plaidant : Me Franck POINDESSAULT, de l'association d'avocats BOKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R 191

MINISTÈRE DES FINANCES LIBYEN

domicilié : [Adresse 5] (LIBYE)

agissant par le président du département du contentieux et du comité des différends avec les pays étrangers, en représentation du gouvernement Libyen

Ayant pour avocat postulant : Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 ; et pour avocat plaidant : Me Franck POINDESSAULT, de l'association d'avocats BOKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R 191

LIBYAN INVESTMENT AUTHORITY (LIA)

personne morale de droit libyen,

ayant son siège social : [Adresse 4] (LIBYE)

prise en la personne de son représentant légal,

Ayant pour avocat postulant : Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 ; et pour avocat plaidant : Me Jean-Sébastien BAZILLE, de L'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

CONSEIL GENERAL DE LA PROMOTION, DE L'INVESTISSEME NT ET DE LA PRIVATISATION

domicilié : [Adresse 5] (LIBYE)

prise en la personne du gouvernement Libyen et agissant par le président du département du contentieux et du comité des différends avec les pays étrangers, en représentation du gouvernement libyen

Ayant pour avocat postulant : Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 ; et pour avocat plaidant : Me Franck POINDESSAULT, de l'association d'avocats BOKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R 191

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
M. François MELIN, Conseiller

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par M. Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCÉDURE

1.
Par contrat du 8 juin 2006, l'État de Libye a consenti à la société [K] [J] [V] [N] et Fils (ci-après : « la société [N] »)l a location d'un terrain situé dans le district de Tripoli, pour une durée de 90 ans, à charge pour celle-ci d'y construire un complexe touristique, de l'exploiter et de restituer au bailleur le terrain et ses constructions au terme fixé par la convention.
2.
En 2010, le Comité populaire général de l'industrie de l'économie et du commerce libyen a retiré l'agrément précédemment accordé à la société [N], qui a dû abandonné le chantier.
3.
Se prévalant de la clause compromissoire figurant au contrat, cette société a initié une procédure d'arbitrage sous l'égide du Centre régional d'arbitrage du commerce international du Caire.
4.
Par sentence finale rendue au Caire le 22 mars 2013, le tribunal arbitral a condamné le Gouvernement libyen, les ministères libyens de l'économie et des finances et le Conseil général de la promotion de l'investissement et de la privatisation de l'État de Libye à payer à la société [N] une indemnité de 936 940 000 dollars US avec intérêt au taux de 4 %.
5.
Cette sentence, qui a fait l'objet d'un recours en annulation, est devenue définitive, après arrêt de la Cour de cassation égyptienne du 21 juin 2021.
6.
Par ordonnance du 13 mai 2013, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris l'a déclarée exécutoire en France.
7.
Sur appel de l'État de Libye et de l'Autorité libyenne d'investissement (la Libyan Investment Authority), la cour d'appel de Paris a confirmé cette ordonnance, par arrêt du 28 octobre 2014.
8.
Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté par la Cour de cassation le 8 juin 2016.
9.
Le 11 mars 2016, la société [N] a fait pratiquer une saisie attribution à l'encontre de l'État libyen et de toutes ses émanations auprès du Crédit Agricole Corporate & Investment Bank.
10.
Informée par cette banque de la saisie opérée à ce titre sur son compte, alors crédité de la somme de 100 millions d'euros, la Central Bank of Libya a contesté cette mesure devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre qui, par jugement du 28 novembre 2017, prononcera l'annulation de la saisie.
11.
La Central Bank of Libya a formé tierce opposition contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2014 par la cour d'appel de Paris, assignant à cet effet l'ensemble des parties à la procédure d'exequatur, suivant acte du 17 octobre 2016.
12.
Par arrêt du 28 mai 2019, la cour d'appel de Paris (Pôle 1, chambre 1) a déclaré cette tierce opposition irrecevable, considérant que cette voie de recours n'était pas ouverte en cette matière.
13.
Sur pourvoi de la Central Bank of Libya, la Cour de cassation a, par arrêt du 26 mai 2021, cassé et annulé cette décision en toutes ses dispositions, pour violation des articles 1525, alinéa 1er, et 585 du code de procédure civile, au motif que :

« la tierce opposition contre l'arrêt de la cour d'appel ayant accordé l'exequatur constituait une voie de recours de droit commun à l'encontre, non de la sentence arbitrale, mais de la seule décision d'exequatur de la sentence rendue à l'étranger ».

14.
Par déclaration en date du 15 juillet 2021, la Central Bank of Libya a saisi la cour d'appel de Paris, désignée comme cour de renvoi.

II/ PRÉTENTIONS DES PARTIES

15.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, notifiées par voie électronique le 10 octobre 2022, la Central Bank of Libya demande à la cour, de :

- DÉCLARER la Central Bank of Libya recevable et bien fondée en sa tierce opposition ;

- RÉTRACTER l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 13 mai 2013 rendue sur la requête en exequatur de la sentence arbitrale du 22 mars 2013, entachée d'une nullité de fond car formulée par [K] [J] [V] [N] et fils domiciliée [Adresse 1] (REPUBLIQUE ARABE D'EGYPTE), entité dépourvue de personnalité juridique ;

Statuant de nouveau :

- PRONONCER la nullité de la requête en exequatur de la sentence arbitrale du 22 mars 2013, formulée par [K] [J] [V] [N] et fils domiciliée [Adresse 1]), entité dépourvue de personnalité juridique pour défaut de capacité d'ester en justice ;

- DÉCLARER irrecevable la requête en exequatur de la sentence arbitrale du 22 mars 2013, formulée par [K] [J] [V] [N] et fils domiciliée [Adresse 1]), pour défaut de capacité de jouissance ;

- PRONONCER en conséquence la nullité de l'ordonnance d'exequatur ;

- DÉBOUTER la société [K] [J] [V] [N] et fils, dont le siège social est [Adresse 2] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société [K] [J] [V] [N] et fils, dont le siège social est [Adresse 2], aux entiers dépens de l'instance et au versement de la somme de 20 000 € à la Central Bank of Libya sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile avec distraction au profit de la SELARL Haussmann Associés ;

En tout état de cause,

- DÉCLARER la Central Bank of Libya recevable et bien fondée en sa tierce opposition ;

- RÉTRACTER l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 13 mai 2013 rendue sur la requête en exequatur de la sentence arbitrale du 22 mars 2013 car violant manifestement l'ordre public international dans sa conception française ;

Statuant de nouveau :

- INFIRMER l'ordonnance d'exequatur ;

- DEBOUTER la société [K] [J] [V] [N] et fils, dont le siège social est [Adresse 2] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER la société [K] [J] [V] [N] et fils, dont le siège social est [Adresse 2], aux entiers dépens de l'instance et au versement de la somme de 20 000 € à la Central Bank of Libya sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile avec distraction au profit de la SELARL Haussmann Associés.

16.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, communiquées par voie électronique le 10 octobre 2022, la société [K] [J] [V] [N] et Fils demande à la cour, de :

À titre principal,

- DÉCLARER irrecevable la tierce opposition de la Banque centrale de Libye ;

À titre subsidiaire,

- DÉBOUTER la Banque centrale de Libye de sa tierce-opposition ;

À titre plus subsidiaire

- DIRE que l'arrêt du 28 octobre 2014 conserve ses effets entre les parties initiales et que l'arrêt à intervenir n'a d'effet qu'à l'égard de la Banque centrale de Libye;

- CONDAMNER la Banque centrale de Libye à payer à la société [N] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour recours abusif ;

- CONDAMNER la Banque centrale de Libye à payer à la société [N] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER la Banque centrale de Libye aux dépens.

17.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, communiquées par voie électronique le 14 mars 2022, le Gouvernement libyen, le ministère de l'économie, le ministère des finances et le Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation de l'État de Libye demandent à la cour, au visa des articles 584 et 591 alinéa 2 du code de procédure civile, de :

- DÉBOUTER la société [K] [J] [V] [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- RÉTRACTER l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du 13 mai 2013 rendue sur la requête en exequatur de la sentence arbitrale du 22 mars 2013 à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance ;

- PRONONCER la nullité de l'ordonnance de l'exequatur à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance ;

- CONDAMNER la société [K] [J] [V] [N] et fils à payer au Gouvernement de l'État de Libye, au Ministère de l'Economie de Libye, au ministère des Finances de Libye et au Conseil Général de promotion des investissements et de la privatisation une somme de 20 000 euros conformément à l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

18.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives, communiquées par voie électronique le 7 octobre 2022, la Libyan Investment Authority demande à la cour, au visa des articles 582 et suivants du code de procédure civile, de

- JUGER que la décision à intervenir aura autorité de chose jugée à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance, conformément aux dispositions des articles 584 et 591, alinéa 2, du code de procédure civile ;

- DÉBOUTER [N] Koweït et [N] Égypte de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONDAMNER [N] Koweït et [N] Égypte au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

III/ MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la tierce opposition

19.
La société [N] conclut à l'irrecevabilité de la tierce opposition formée par la Central Bank of Libya, faisant valoir que celle-ci n'a pas la qualité de tiers au litige et que, à supposer cette qualité reconnue, elle se trouve dépourvue d'intérêt à agir.
20.
Elle met en avant, sur le premier point, l'existence d'une communauté d'intérêts entre l'État de Libye et la Central Bank of Libya excluant que celle-ci puisse se prévaloir de la qualité de tiers au litige. Elle invoque, à ce titre, le statut et le rôle de banque centrale de la demanderesse, son absence d'indépendance fonctionnelle et patrimoniale, ainsi que sa représentation dans la présente procédure par la Direction du contentieux de l'État, qui exerce le monopole de représentation de l'État libyen et de ses institutions devant la justice. Elle pointe l'indifférence de la décision rendue sur ce point par le juge de l'exécution de Nanterre dans une autre affaire et se prévaut de la position prise par la Central Bank of Libya qui, revendiquant l'indivisibilité du litige, révèle poursuivre le même intérêt que l'État de Libye.
21.
Elle soutient, sur le second point, que la Central Bank of Libya ne subit aucun préjudice direct, personnel et actuel, qu'elle n'a jamais été intéressée à l'enjeu du litige ni au litige lui-même et que ses biens ne font, en l'état, l'objet d'aucune mesure d'exécution forcée, un préjudice éventuel ne pouvant justifier l'intérêt à agir du tiers opposant.
22.
En réponse, la Central Bank of Libya conclut à la recevabilité de sa tierce opposition, relevant que, conformément à l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 mai 2021, cette voie de recours est ouverte contre l'ordonnance d'exequatur d'une sentence arbitrale internationale rendue à l'étranger.
23.
Elle expose n'avoir été ni partie ni représentée dans la procédure d'exequatur pour n'être pas une émanation de l'État de Libye, à l'égard duquel elle ne se trouve pas dans de lien de subordination. Elle met en avant, sur ce point, son autonomie et ses statuts, la jurisprudence de la cour d'appel de Paris opérant une distinction entre banque centrale et banque nationalisée, ainsi que des décisions récentes de sa part confirmant son autonomie. Contestant l'existence d'une communauté d'intérêts avec l'État libyen, elle souligne disposer d'une personnalité juridique propre et d'une indépendance financière, patrimoniale et fonctionnelle, de sorte qu'il ne peut y avoir eu représentation de ces intérêts, même tacite, par cet État, le fait d'avoir assigné l'ensemble des parties à la procédure et de solliciter que l'annulation sollicitée produise ses effets à l'égard de tous ne pouvant être considéré comme un aveu.
24.
Elle soutient que son intérêt à agir doit être apprécié à la date où la tierce opposition a été formée, soit le 11 octobre 2016, et considère que cet intérêt demeure, malgré la mainlevée de la saisie-attribution sur ses comptes, dès lors, d'une part, qu'une nouvelle saisie pourrait être pratiquée, et d'autre part, qu'elle a dû engager des frais du fait de la saisie opérée, dont elle n'a pas obtenu compensation intégrale.
25.
Le Gouvernement libyen, les ministères libyens de l'économie et des finances et le Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation font valoir qu'en application de l'arrêt rendu par la Cour de cassation dans la présente affaire, la Central Bank of Libya est recevable à former tierce opposition.
26.
Invoquant le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur », ils soutiennent n'avoir jamais représenté la Central Bank of Libya dans le cadre de l'instance ayant donné lieu à l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 28 octobre 2014. Ils contestent toute confusion de patrimoine et de personnalité juridique entre la Central Bank of Libya et l'État propre à établir que la première serait une émanation du second. Ils font enfin valoir que l'existence d'une communauté d'intérêts, à la supposer établie, ne suffit pas à caractériser la représentation.

SUR CE :

27.
Selon l'article 585 du code de procédure civile, tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n'en dispose autrement.
28.
La tierce opposition formée contre un arrêt de cour d'appel ayant accordé l'exequatur à une sentence arbitrale rendue à l'étranger constitue une voie de recours de droit commun portant, non sur cette sentence, mais sur la seule décision d'exequatur. Elle est dès lors admissible, aucune disposition, légale ou règlementaire, ne prohibant l'exercice d'une telle voie de recours.
29.
Sa recevabilité n'en reste pas moins subordonnée à la satisfaction des exigences énoncées à l'article 583 du code de procédure civile aux termes duquel est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.
30.
L'intérêt revendiqué à ce titre doit, conformément à l'article 31 du même code, être légitime, personnel et direct, né et actuel. Il doit en outre être propre au demandeur à la tierce opposition et, en cela, distinct de celui des parties représentées lors de l'instance ayant abouti à la décision concernée.
31.

En l'espèce, l'arrêt sur lequel porte le recours formé par la Central Bank of Libya a confirmé l'exequatur accordé à une sentence arbitrale condamnant le Gouvernement libyen, les ministères libyens de l'économie et des finances et le Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation de l'État de Libye à payer une somme d'argent à la société de droit koweïti [N].

32.

Cette décision a été rendue à l'issue d'une procédure à laquelle la Central Bank of Libya n'était pas partie.

33.
Celle-ci soutient n'avoir par ailleurs pas été représentée lors de cette instance et défendre des intérêts distincts de ceux de l'État de Libye, dont elle affirme n'être pas une émanation.
34.
La cour relève à cet égard que, si la demanderesse avait un intérêt personnel et direct à contester la saisie pratiquée sur son compte bancaire en exécution de la sentence arbitrale précitée ' opération annulée par un jugement du 28 novembre 2017, qui en a annihilé les effets de façon rétroactive ', elle ne démontre en revanche d'aucun intérêt personnel qui soit distinct de celui de l'État de Libye et de ses émanations à remettre en cause la décision qu'elle attaque par la voie de la tierce opposition.
35.
L'exequatur confirmé par cet arrêt porte en effet sur une sentence arbitrale internationale qui, en sa qualité revendiquée de tiers, ne lui est pas opposable, pour ne produire ses effets qu'envers l'État de Libye et ses émanations, dont il est acquis qu'ils ont vu leurs intérêts représentés lors de l'instance initiale ayant conduit au prononcé de cet arrêt et ne peuvent dès lors prétendre à un réexamen de l'affaire.
36.
La Central Bank of Libya ne saurait ici, pour justifier d'un intérêt personnel, invoquer l'existence d'un préjudice non intégralement indemnisé résultant de la saisie opérée sur ses avoirs, le recours en tierce opposition formé dans le cadre de la présente instance n'ayant ni pour objet ni pour finalité la réparation d'un tel préjudice, qui ne fait au demeurant l'objet d'aucune demande soumise à la cour.
37.
Elle ne peut davantage se prévaloir du risque de nouvelle saisie à raison de la décision d'exequatur, le préjudice ainsi revendiqué, qui présente un caractère hypothétique, ne pouvant fonder un intérêt actuel, et ne caractérisant pas, en toute hypothèse, pour les motifs précités, un intérêt distinct de celui des émanations de l'État de Libye, représentées par ce dernier lors de l'instance initiale.
38.
La tierce opposition formée par la Central Bank of Libya doit dans ces conditions être déclarée irrecevable, cette irrecevabilité emportant celle de l'ensemble des demandes formées par l'État de Libye, les ministères libyens de l'économie et des finances, le Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation, ainsi que celles formées par la Libyan Investment Authority, parties à l'instance initiale, en ce compris celle de leurs demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui présentent un caractère accessoire à leur demandes principales.

Sur la demande de condamnation pour procédure abusive

39.
La société [N], à laquelle la Central Bank of Libya ne répond pas sur ce point, soutient que cette dernière ne peut avoir cru de bonne foi que son recours ait eu la moindre chance d'aboutir. Elle considère que le maintien de ce recours après la mainlevée de la saisie opérée sur le compte de la demanderesse n'a pour seul but que de tenter de faire annuler au profit de l'État débiteur le titre exécutoire.

SUR CE :

40.
Conformément à l'article 581 du code de procédure civile, en cas de recours dilatoire ou abusif, son auteur peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés à la juridiction saisie du recours.
41.
Une telle condamnation suppose la démonstration d'une faute commise dans l'exercice du droit d'agir, susceptible de faire dégénérer l'action en abus, l'octroi de dommages et intérêts étant subordonné à l'existence d'un préjudice en lien de causalité avec cette faute.
42.
Le caractère aporétique de la position de la Central Bank of Libya qui, tout en affirmant n'être pas une émanation de l'État de Libye, soutient les intérêts de ce dernier en cherchant la remise en cause d'une décision qui, en sa qualité revendiquée de tiers, ne lui est pas opposable, révèle l'utilisation par cette entité de la tierce opposition à des fins étrangères aux intérêts qu'elle prétend défendre, dans le but manifeste de rouvrir des débats définitivement clos.
43.
Mais, outre que la demanderesse a pu se méprendre sur la portée de ses droits, la société [N] ne démontre, ni même n'invoque, aucun préjudice distinct de celui résultant de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée d'avoir à exposer des frais pour assurer sa défense pour les besoins de cette procédure, dommage dont l'indemnisation ressortit aux seules dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
44.
La demande formée par cette société à raison du caractère abusif de la procédure sera en conséquence rejetée.

Sur les frais et dépens

45.
La Central Bank of Libya, qui succombe, sera condamnée aux dépens conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
46.
lle sera en outre condamnée à payer à la société [N] une somme 10 000 euros au titre de 700 du même code.

IV/ DISPOSITIF

[47].
Par ces motifs, la Cour :

1) Déclare irrecevable la tierce opposition formée par la Central Bank of Libya contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2014 ayant confirmé l'ordonnance rendue le 13 mai 2013 par le président du tribunal de grande instance de paris qui a déclaré exécutoire en France la sentence arbitrale rendue au Caire le 22 mars 2013 ;

En conséquence,

2) Déclare irrecevables l'ensemble des demandes formées par :

- le Gouvernement libyen,

- le ministère libyen de l'économie,

- le ministère libyen des finances,

- le Conseil général de la promotion, de l'investissement et de la privatisation, et

- la Libyan Investment Authority ;

3) Déboute la société [K] [J] [V] [N] et Fils de sa demande de condamnation de la Central Bank of Libya à des dommages et intérêts à raison du caractère abusif de la procédure ;

4) Condamne la Central Bank of Libya à payer à la société [K] [J] [V] [N] et Fils la somme de dix mille euros (10 000,00 €) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

5) Condamne la Central Bank of Libya aux dépens.

Subsequent citations of this document as a whole:
Subsequent citations of this excerpt:
Click on the text to select an element Click elsewhere to unselect an element
Select a key word :
1 /

This feature requires a subscription

Get access to the most extensive & reliable source of information in arbitration

REQUEST A FREE TRIAL

Already registered ?