Pour la Bosnie-Herzégovine: M. Sakib Softic,
M. Phon van den Biesen,
M. Alain Pellet,
M. Thomas M. Franck,
Mme Brigitte Stern,
M. Luigi Condorelli,
Mme Magda Karagiannakis,
Mme Joanna Korner,
Mme Laura Dauban,
M. Antoine Ollivier,
M. Morten Torkildsen.
Pour la Serbie-et-Monténégro: S. Exc. M. Radoslav Stojanovic,
M. Sasa Obradovic,
M. Vladimir Cvetkovic,
M. Tibor Varady,
M. Ian Brownlie,
M. Xavier de Roux,
Mme Natasa Fauveau-Ivanovic,
M. Andreas Zimmerman,
M. Vladimir Djeric,
M. Igor Olujic.
« En conséquence, tout en se réservant le droit de reviser, compléter ou modifier la présente requête, et sous réserve de la présentation à la Cour des preuves et arguments juridiques pertinents, la Bosnie-Herzégovine prie la Cour de dire et juger :
a) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé, et continue de violer, ses obligations juridiques à l'égard du peuple et de l'Etat de Bosnie-Herzégovine en vertu des articles premier, II a),II b),II c),II d), III a), III b), III c), III d), III e), IV et V de la convention sur le génocide ;
b) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer ses obligations juridiques à l'égard du peuple et de l'Etat de Bosnie-Herzégovine en vertu des quatre conventions de Genève de 1949, de leur protocole additionnel I de 1977, du droit international coutumier de la guerre, et notamment du règlement de La Haye de 1907 concernant la guerre sur terre, et d'autres principes fondamentaux du droit international humanitaire ;
c) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer les dispositions des articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26 et 28 de la Déclaration universelle des droits de l'homme vis-à-vis des citoyens de la Bosnie-Herzégovine ;
d) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obligations en vertu du droit international général et coutumier, a tué, assassiné, blessé, violé, volé, torturé, enlevé, détenu illégalement et exterminé des citoyens de la Bosnie-Herzégovine, et continue de le faire;
e) qu'en traitant ainsi les citoyens de la Bosnie-Herzégovine, la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer les obligations qu'elle a solennellement assumées en vertu du paragraphe 3 de l'article 1 et des articles 55 et 56 de la Charte des Nations Unies ;
f) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a employé et continue d'employer la force et de recourir à la menace de la force contre la Bosnie-Herzégovine en violation des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l'article 2 et du paragraphe 1 de l'article 33 de la Charte des Nations Unies ;
g) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obligations en vertu du droit international général et coutumier, a utilisé et utilise la force et la menace de la force contre la Bosnie-Herzégovine ;
h) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation de ses obligations en vertu du droit international général et coutumier, a violé et viole la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine du fait :
— d'attaques armées contre la Bosnie-Herzégovine par air et par terre;
— de la violation de l'espace aérien de la Bosnie-Herzégovine ;
— d'actes directs et indirects de coercition et d'intimidation à l'encontre du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine ;
i) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en violation des obligations que lui impose le droit international général et coutumier, est intervenue et intervient dans les affaires intérieures de la Bosnie-Herzégovine;
j) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en recrutant, entraînant, armant, équipant, finançant, approvisionnant et en encourageant, appuyant, aidant et dirigeant des actions militaires et paramilitaires en Bosnie-Herzégovine ou contre celle-ci par le moyen de ses agents et de ses auxiliaires, a violé et viole ses obligations fondamentales et conventionnelles expresses à l'égard de la Bosnie-Herzégovine et, en particulier, ses obligations fondamentales et conventionnelles expresses en vertu du paragraphe 4 de l'article 2 de la Charte des Nations Unies, de même que ses obligations en vertu du droit international général et coutumier ;
k) que vu les circonstances exposées ci-dessus, la Bosnie-Herzégovine possède le droit souverain de se défendre et de défendre son peuple en vertu de l'article 51 de la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier, y compris en se procurant immédiatement auprès d'autres Etats des armes, des matériels et fournitures militaires ainsi que des troupes ;
l) que vu les circonstances exposées ci-dessus, la Bosnie-Herzégovine possède le droit souverain en vertu de l'article 51 de la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier de demander à tout Etat de l'assister immédiatement en se portant à son secours, y compris par des moyens militaires (armes, matériels et fournitures militaires, troupes, etc.) ;
m) que la résolution 713 (1991) du Conseil de sécurité imposant un embargo sur les livraisons d'armes à l'ex-Yougoslavie doit être interprétée d'une manière telle qu'elle ne porte pas atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, de la Bosnie-Herzégovine en vertu de l'article 51 de la Charte des Nations Unies et des règles du droit international coutumier ;
n) que toutes les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité qui se réfèrent à la résolution 713 (1991) ou la réaffirment doivent être interprétées d'une manière telle qu'elles ne portent pas atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, de la Bosnie-Herzégovine en vertu des dispositions de l'article 51 de la Charte des Nations Unies et des règles du droit international coutumier ;
o) que la résolution 713 (1991) du Conseil de sécurité et toutes les résolutions ultérieures du Conseil de sécurité qui s'y réfèrent ou la réaffirment ne doivent pas être interprétées comme imposant un embargo sur les livraisons d'armes à la Bosnie-Herzégovine, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 24 et de l'article 51 de la Charte des Nations Unies et au principe coutumier d' ultra vires ;
p) qu'en vertu du droit de légitime défense collective reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies tous les autres Etats parties à la Charte ont le droit de se porter immédiatement au secours de la Bosnie-Herzégovine — à sa demande — y compris en lui fournissant immédiatement des armes, des matériels et des fournitures militaires, et des forces armées (soldats, marins, aviateurs, etc.) ;
q) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), et ses agents et auxiliaires, sont tenus de mettre fin et de renoncer immédiatement à leurs violations susmentionnées de leurs obligations juridiques, et ont le devoir exprès de mettre fin et de renoncer immédiatement :
— à leur pratique systématique de la « purification ethnique » des citoyens et du territoire souverain de la Bosnie-Herzégovine ;
— à l'assassinat, à l'exécution sommaire, à la torture, au viol, à l'enlèvement, à la mutilation, aux blessures, aux sévices physiques et psychologiques et à la détention des citoyens de la Bosnie-Herzégovine;
— à la dévastation sauvage et aveugle de villages, de villes, de districts, d'agglomérations et d'institutions religieuses en Bosnie-Herzégovine;
— au bombardement de centres de population civile en Bosnie-Herzégovine, et spécialement de sa capitale, Sarajevo ;
— à la poursuite du siège de centres de population civile de Bosnie-Herzégovine, et spécialement de sa capitale, Sarajevo ;
— à la privation de nourriture de la population civile de Bosnie-Herzégovine;
— aux actes ayant pour effet d'interrompre, d'entraver ou de gêner l'acheminement des secours humanitaires envoyés par la communauté internationale aux citoyens de Bosnie-Herzégovine ;
— à toute utilisation de la force — directe ou indirecte, manifeste ou occulte — contre la Bosnie-Herzégovine, et à toutes les menaces d'utilisation de la force contre la Bosnie-Herzégovine ;
— à toutes les violations de la souveraineté, de l'intégrité territoriale ou de l'indépendance politique de la Bosnie-Herzégovine, y compris toute intervention, directe ou indirecte, dans les affaires intérieures de la Bosnie-Herzégovine ;
— à tout appui de quelque nature qu'il soit — y compris l'entraînement et la fourniture d'armes, de munitions, de fonds, de matériels, d'assistance, d'instruction ou toute autre forme de soutien — à toute nation, groupe, organisation, mouvement ou individu se livrant ou se disposant à se livrer à des actions militaires ou paramilitaires en Bosnie-Herzégovine ou contre celle-ci ;
r) que la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, en son propre nom et en tant que parens patriae de ses citoyens, des réparations pour les dommages subis par les personnes et les biens ainsi que par l'économie et l'environnement de la Bosnie à raison des violations susvisées du droit international, dont le montant sera déterminé par la Cour. La Bosnie-Herzégovine se réserve le droit de présenter à la Cour une évaluation précise des dommages causés par la Yougoslavie (Serbie et Monténégro). »
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
dans le mémoire :
« Sur la base des éléments de preuve et des arguments juridiques exposés dans le présent mémoire, la Bosnie-Herzégovine prie la Cour de dire et juger :
1. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), directement ou par le truchement de ses auxiliaires, a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en détruisant partiellement, et en tentant de détruire totalement, des groupes nationaux, ethniques ou religieux, notamment mais non exclusivement sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine, en particulier la population musulmane, en se livrant aux actes suivants :
— meurtre de membres du groupe ;
— atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; — soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence visant à entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
— imposition de mesures aux fins d'entraver les naissances au sein du groupe;
2. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en se rendant coupable d'entente en vue de commettre le génocide, de complicité dans le génocide, de tentative de génocide et d'incitation à commettre le génocide ;
3. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en aidant et encourageant des individus et des groupes se livrant à des actes de génocide ;
4. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en manquant à son obligation de prévenir et de punir les actes de génocide ;
5. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) doit immédiatement mettre fin aux actes susmentionnés et prendre des mesures immédiates et efficaces pour s'acquitter pleinement de ses obligations aux termes de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
6. Que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) doit effacer les conséquences de ses actes internationalement illicites et rétablir la situation qui existait avant que les violations de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ne fussent commises;
7. Que, sa responsabilité internationale étant engagée à raison des violations susmentionnées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière est fondée à recevoir, en son propre nom et en tant que parens patriae de ses citoyens, pleine réparation pour les dommages et les pertes causés, réparation dont le montant sera déterminé par la Cour lors d'une phase ultérieure de la procédure en l'instance.
La République de Bosnie-Herzégovine se réserve le droit de compléter ou de modifier ses conclusions dans le cadre d'autres pièces de procédure.
La République de Bosnie-Herzégovine appelle également respectueusement l'attention de la Cour sur le fait qu'elle n'a pas réitéré, à ce stade, plusieurs des demandes qu'elle avait formulées dans sa requête, partant du postulat formel que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) a accepté la compétence de la Cour en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Si le défendeur devait revenir sur son acceptation de la compétence de la Cour en application de ladite convention — ce qu'en tout état de cause il n'est pas autorisé à faire — le Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine se réserve le droit d'invoquer toutes les autres bases de compétence existantes, ou certaines d'entre elles, et de formuler de nouveau toutes les conclusions et demandes qu'il a déjà présentées, ou certaines d'entre elles. »
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
dans le contre-mémoire1 :
« La République fédérative de Yougoslavie prie la Cour internationale de Justice de dire et juger :
1. Attendu qu'aucune des obligations créées par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide n'a été violée à l'encontre de Musulmans ou de Croates,
— puisque les actes allégués par le demandeur soit n'ont nullement été commis, soit n'ont pas eu l'ampleur et la forme alléguées par le demandeur, ou
— puisque, si certains de ces actes ont été commis, ils l'ont été en l'absence de toute intention de commettre un génocide, et/ou
— puisque ces actes n'étaient pas spécifiquement dirigés contre les membres d'un groupe ethnique ou religieux, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas été commis contre des individus pour la seule raison qu'ils appartenaient à un groupe ethnique ou religieux donné, en conséquence, ces actes ne sauraient être qualifiés d'actes de génocide ou d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, et/ou
2. Attendu que les actes allégués par le demandeur dans ses pièces ne peuvent pas être attribués à la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu'ils n'ont pas été commis par les organes de la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu'ils n'ont pas été commis sur le territoire de la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu'ils n'ont pas été commis sur ordre ou sous le contrôle des organes de la République fédérative de Yougoslavie,
— puisqu'il n'existe aucun autre motif fondé sur les règles de droit international de les considérer comme des actes de la République fédérative de Yougoslavie,
que la Cour rejette en conséquence toutes les demandes du demandeur et que
3. La Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide commis contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine et d'autres violations des obligations établies par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide
— parce qu'elle a incité à la perpétration d'actes de génocide dans la « Déclaration islamique » et, en particulier, dans le passage suivant : « Il ne peut y avoir de paix ou de coexistence entre la « foi islamique» et les institutions sociales et politiques « non islamiques»,
— parce qu'elle a incité à la perpétration d'actes de génocide dans la revue Novi Vox destinée à la jeunesse musulmane et, en particulier, dans les paroles d'un «chant patriotique »:
« Chère maman, je m'en vais planter des saules,
Auxquels nous pendrons les Serbes.
Chère maman, je m'en vais aiguiser les couteaux,
Bientôt les fosses seront pleines à nouveau. »
— parce qu'elle a incité à la perpétration d'actes de génocide dans le journal Zmaj od Bosne et, en particulier, dans la phrase suivante tirée d'un article qui y a été publié: « chaque Musulman doit désigner un Serbe et faire serment de le tuer »;
— parce que des appels publics à l'exécution de Serbes ont été diffusés sur Radio-Hajat, ce qui constitue une incitation à commettre des actes de génocide ;
— parce que les forces armées de la Bosnie-Herzégovine, de même que des autres organes de la Bosnie-Herzégovine, ont commis des actes de génocide et d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide à l'encontre de Serbes en Bosnie-Herzégovine, actes qui ont été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire ;
— parce que la Bosnie-Herzégovine n'a pas empêché la perpétration, sur son territoire, d'actes de génocide et d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide à l'encontre de Serbes, actes qui ont été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire ;
4. La Bosnie-Herzégovine a l'obligation de punir les personnes responsables des actes de génocide et d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
5. La Bosnie-Herzégovine est tenue de prendre les mesures nécessaires pour que de tels actes ne se reproduisent pas à l'avenir.
6. La Bosnie-Herzégovine est tenue de supprimer toutes les conséquences de la violation des obligations créées par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et de verser une juste indemnité. »
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
dans la réplique :
« C'est pourquoi le demandeur persiste dans les demandes qu'il a présentées à la Cour le 14 avril 1994, et reprend ses conclusions dans leur intégralité. La Bosnie-Herzégovine prie la Cour internationale de Justice de dire et juger :
1. Que la République fédérale de Yougoslavie, directement ou par le truchement de ses auxiliaires, a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en détruisant partiellement, et en tentant de détruire totalement, des groupes nationaux, ethniques ou religieux, notamment mais non exclusivement sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, en particulier la population musulmane, en se livrant aux actes suivants :
— meurtre de membres du groupe ;
— atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence visant à entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
— imposition de mesures aux fins d'entraver les naissances au sein du groupe;
2. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en se rendant coupable d'entente en vue de commettre le génocide, de complicité dans le génocide, de tentative de génocide et d'incitation à commettre le génocide ;
3. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en aidant et encourageant des individus et des groupes se livrant à des actes de génocide ;
4. Que la République fédérale de Yougoslavie a violé et continue de violer la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en manquant à son obligation de prévenir et de punir les actes de génocide;
5. Que la République fédérale de Yougoslavie doit immédiatement mettre fin aux actes susmentionnés et prendre des mesures immédiates et efficaces pour s'acquitter pleinement de ses obligations aux termes de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ;
6. Que la République fédérale de Yougoslavie doit effacer les conséquences de ses actes internationalement illicites et rétablir la situation qui prévalait avant que les violations de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ne fussent commises ;
7. Que, sa responsabilité internationale étant engagée à raison des violations susmentionnées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la République fédérale de Yougoslavie est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière est fondée à recevoir, de son propre droit et comme parens patriae de ses citoyens, pleine réparation pour les dommages et les pertes causés, réparation dont le montant sera déterminé par la Cour lors d'une phase ultérieure de la procédure en l'instance.
La Bosnie-Herzégovine se réserve le droit de compléter ou de modifier ses conclusions dans le cadre d'autres pièces de procédure.
8. Pour les mêmes motifs, les conclusions de la République fédérale de Yougoslavie relatives aux conclusions de la Bosnie-Herzégovine doivent être rejetées.
9. S'agissant des demandes reconventionnelles du défendeur, le demandeur parvient à la conclusion suivante. La thèse selon laquelle des actes de génocide auraient été commis contre des Serbes en Bosnie-Herzégovine est dénuée de fondement, tant en fait qu'en droit. La thèse selon laquelle de tels actes, à les supposer établis, auraient été commis sous la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine ou que de tels actes, à les supposer établis, seraient attribuables à la Bosnie-Herzégovine, est dénuée de fondement, tant en fait qu'en droit. De même, la thèse selon laquelle la Bosnie-Herzégovine aurait violé l'une ou plusieurs des obligations lui incombant en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide est dénuée de fondement, tant en fait qu'en droit. Au contraire, la Bosnie-Herzégovine a constamment fait tout son possible pour s'acquitter des obligations contractées en vertu de la convention et elle continuera de le faire.
10. Pour ces raisons, la Bosnie-Herzégovine demande à la Cour internationale de Justice de rejeter les demandes reconventionnelles soumises par le demandeur dans son contre-mémoire du 23 juillet 1997. »
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
dans la duplique2 :
« La République fédérale de Yougoslavie prie la Cour internationale de Justice de dire et juger :
1. Attendu qu'aucune des obligations créées par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide n'a été violée à l'encontre de Musulmans ou de Croates
— puisque les actes allégués par le demandeur soit n'ont nullement été commis, soit n'ont pas eu l'ampleur et la forme alléguées par le demandeur, ou
— puisque, si certains de ces actes ont été commis, ils l'ont été en l'absence de toute intention de commettre un génocide, et/ou
— puisque ces actes n'étaient pas spécifiquement dirigés contre les membres d'un groupe ethnique ou religieux, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas été commis contre des individus pour la seule raison qu'ils appartenaient à un groupe ethnique ou religieux donné,
en conséquence, ces actes ne sauraient être qualifiés d'actes de génocide ou d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, et/ou
2. Attendu que les actes allégués par le demandeur dans ses pièces ne peuvent pas être attribués à la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu'ils n'ont pas été commis par les organes de la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu'ils n'ont pas été commis sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu'ils n'ont pas été commis sur ordre ou sous le contrôle des organes de la République fédérale de Yougoslavie,
— puisqu'il n'existe aucun autre motif fondé sur les règles du droit international de les considérer comme des actes de la République fédérale de Yougoslavie,
que la Cour rejette en conséquence toutes les demandes du demandeur et que
3. La Bosnie-Herzégovine est responsable des actes de génocide commis contre les Serbes en Bosnie-Herzégovine et d'autres violations des obligations établies par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide
— parce qu'elle a incité à la perpétration d'actes de génocide dans la « Déclaration islamique » et, en particulier, dans le passage suivant : «il ne peut y avoir de paix ou de coexistence entre la «foi islamique» et les institutions sociales et politiques «non islamiques»» ;
— parce qu'elle a incité à la perpétration d'actes de génocide dans la revue Novi Vox destinée à la jeunesse musulmane et, en particulier, dans les paroles d'un «chant patriotique »:
« Chère maman, je m'en vais planter des saules,
Auxquels nous pendrons les Serbes.
Chère maman, je m'en vais aiguiser les couteaux,
Bientôt les fosses seront pleines à nouveau »;
— parce qu'elle a incité à la perpétration d'actes de génocide dans le journal Zmaj od Bosne et, en particulier, dans la phrase suivante tirée d'un article qui y a été publié: « chaque Musulman doit désigner un Serbe et faire serment de le tuer »;
— parce que des appels publics à l'exécution de Serbes ont été diffusés sur Radio-Hajat, ce qui constitue une incitation à commettre des actes de génocide ;
— parce que les forces armées de la Bosnie-Herzégovine, de même que des autres organes de la Bosnie-Herzégovine, ont commis des actes de génocide et d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (énumérés à l'article III) à l'encontre de Serbes en Bosnie-Herzégovine, actes qui ont été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire ;
— parce que la Bosnie-Herzégovine n'a pas empêché la perpétration, sur son territoire, d'actes de génocide et d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (énumérés à l'article III) à l'encontre de Serbes, actes qui ont été exposés dans le chapitre VII du contre-mémoire.
4. La Bosnie-Herzégovine a l'obligation de punir les personnes responsables des actes de génocide et d'autres actes prohibés par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
5. La Bosnie-Herzégovine est tenue de prendre les mesures nécessaires pour que de tels actes ne se reproduisent pas à l'avenir.
6. La Bosnie-Herzégovine est tenue de supprimer toutes les conséquences de la violation des obligations créées par la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et de verser une juste indemnité. »
Au nom du Gouvernement de la Bosnie-Herzégovine,
à l'audience du 24 avril 2006 :
« La Bosnie-Herzégovine prie la Cour internationale de Justice de dire et juger:
1. Que la Serbie-et-Monténégro, par le truchement de ses organes ou d'entités sous son contrôle, a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en détruisant en partie et de façon intentionnelle le groupe national, ethnique ou religieux non serbe, notamment mais non exclusivement, sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine, en particulier la population musulmane, par les actes suivants :
— meurtre de membres du groupe ;
— atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
— soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
— mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
— transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ;
2. A titre subsidiaire :
i) que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en se rendant coupable de complicité dans le génocide tel que défini au paragraphe 1 ci-dessus ; et/ou
ii) que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en apportant aide et soutien à des individus, des groupes et des entités commettant des actes de génocide tels que définis au paragraphe 1 ci-dessus ;
3. Que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en se rendant coupable d'entente en vue de commettre le génocide et d'incitation à commettre le génocide tel que défini au paragraphe 1 ci-dessus ;
4. Que la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en manquant à son obligation de prévenir le génocide ;
5. Que la Serbie-et-Monténégro a violé et continue de violer les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en manquant et en continuant à manquer à son obligation de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés par la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et en manquant et en continuant à manquer à son obligation de transférer au Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie les personnes accusées de génocide ou d'autres actes prohibés par la convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal ;
6. Que les violations du droit international exposées dans les conclusions 1 à 5 constituent des actes illicites attribuables à la Serbie-et-Monténégro qui engagent sa responsabilité internationale et, en conséquence,
a) que la Serbie-et-Monténégro doit immédiatement prendre des mesures efficaces pour s'acquitter pleinement de l'obligation qui lui incombe, en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, de punir les actes de génocide ou autres actes prohibés par la convention, de transférer au Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie les personnes accusées de génocide ou d'autres actes prohibés par la convention et de coopérer pleinement avec ledit Tribunal ;
b) que la Serbie-et-Monténégro doit réparer les conséquences de ses actes internationalement illicites et que, par suite de la responsabilité internationale encourue à raison des violations susmentionnées de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, est tenue de payer à la Bosnie-Herzégovine, et cette dernière est fondée à recevoir, en son nom propre et comme parens patriae, pleine réparation pour le préjudice et les pertes causés. Que, en particulier, la réparation doit couvrir tout préjudice financièrement évaluable correspondant:
i) au préjudice causé à des personnes physiques par les actes énumérés à l'article III de la convention, y compris le préjudice moral subi par les victimes, leurs héritiers ou leurs ayants droit survivants et les personnes dont elles ont la charge ;
ii) au préjudice matériel causé aux biens de personnes physiques ou morales, publiques ou privées, par les actes énumérés à l'article III de la convention ;
iii) au préjudice matériel subi par la Bosnie-Herzégovine à raison des dépenses raisonnablement encourues pour réparer ou atténuer le préjudice découlant des actes énumérés à l'article III de la convention;
c) que la nature, la forme et le montant de la réparation seront déterminés par la Cour, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d'accord à ce sujet dans l'année suivant le prononcé de l'arrêt de la Cour, et que celle-ci réserve à cet effet la suite de la procédure ;
d) que la Serbie-et-Monténégro est tenue de fournir des garanties et assurances spécifiques de non-répétition des faits illicites qui lui sont reprochés, les formes de ces garanties et assurances devant être déterminées par la Cour ;
7. Qu'en ne respectant pas les ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la Cour le 8 avril 1993 et le 13 septembre 1993, la Serbie-et-Monténégro a violé les obligations internationales qui sont les siennes et est tenue de verser à la Bosnie-Herzégovine, à raison de cette dernière violation, une indemnisation symbolique dont le montant sera déterminé par la Cour. »
Au nom du Gouvernement de la Serbie-et-Monténégro,
à l'audience du 9 mai 2006 :
«La Serbie-et-Monténégro prie la Cour de dire et juger :
— que la Cour n'a pas compétence car, au moment pertinent, l'Etat défendeur n'avait pas accès à la Cour ; ou alternativement
— que la Cour n'a pas compétence car l'Etat défendeur n'est jamais demeuré ni devenu lié par l'article IX de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide et parce qu'il n'existe aucun autre fondement à la compétence de la Cour.
Si la Cour détermine qu'elle a compétence, la Serbie-et-Monténégro prie la Cour de dire et juger :
— que les demandes contenues dans les paragraphes 1 à 6 des conclusions de la Bosnie-Herzégovine concernant les violations alléguées des obligations incombant à l'Etat en application de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide sont rejetées comme non fondées en droit et en fait ;
— en tout état de cause, que les actes et/ou les omissions dont le défendeur aurait été responsable ne sont pas imputables au défendeur. Une telle imputation aurait nécessairement impliqué la violation du droit applicable dans cette procédure ;
— sans préjudice des demandes susvisées, que la réparation accordée à l'Etat demandeur dans cette procédure, en application d'une interprétation appropriée de la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, se limite à un jugement déclaratoire ;
— ensuite, et sans préjudice des demandes susvisées, qu'aucune question relative à la responsabilité juridique concernant les violations prétendues des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la Cour les 8 avril 1993 et 13 septembre 1993 n'entre dans la compétence de la Cour, qui ne peut accorder de remèdes appropriés à l'Etat demandeur dans le contexte de la procédure contentieuse, et qu'en conséquence la demande contenue dans le paragraphe 7 des conclusions de la Bosnie-Herzégovine doit être rejetée. »
« [C]ette acceptation ne saurait avoir d'effet sur les règles applicables à la responsabilité de l'Etat. Celles-ci ne peuvent évidemment pas être modifiées de manière bilatérale ou rétroactive. A l'époque où le génocide a été commis et à celle où la présente instance a été introduite, la Serbie et le Monténégro constituaient un seul et même Etat. Par conséquent, la Bosnie-Herzégovine estime que la Serbie et le Monténégro sont, conjointement et séparément, responsables du comportement illicite qui est à l'origine de la présente instance. »
« La question de la succession à la communauté étatique de Serbie-et-Monténégro au regard du droit international est régie par l'article 60 de la charte constitutionnelle, en vertu duquel le successeur juridique à la communauté étatique de Serbie-et-Monténégro est la République de Serbie, qui, en tant qu'Etat souverain, est l'Etat continuateur s'agissant de toutes les obligations internationales et l'Etat successeur au sein des organisations internationales. »
Le procureur général a conclu en indiquant: « Pour les motifs qui précèdent, la République du Monténégro ne peut donc pas avoir la qualité de défendeur » dans le cadre du différend porté devant la Cour.
«…
1. La République fédérale de Yougoslavie, assurant la continuité de l'Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera strictement tous les engagements que la République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l'échelon international.
Restant liée par toutes ses obligations vis-à-vis des organisations et institutions internationales auxquelles elle appartient... » (Nations Unies, doc. A/46/915, annexe II.)
« L'Assemblée de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, à la session qu'elle a tenue le 27 avril 1992, a promulgué la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie. Aux termes de la Constitution, et compte tenu de la continuité de la personnalité de la Yougoslavie et des décisions légitimes qu'ont prises la Serbie et le Monténégro de continuer à vivre ensemble en Yougoslavie, la République fédérative socialiste de Yougoslavie devient la République fédérale de Yougoslavie, composée de la République de Serbie et de la République du Monténégro.
Dans le strict respect de la continuité de la personnalité internationale de la Yougoslavie, la République fédérale de Yougoslavie continuera à exercer tous les droits conférés à la République fédérative socialiste de Yougoslavie et à s'acquitter de toutes les obligations assumées par cette dernière dans les relations internationales, y compris en ce qui concerne son appartenance à toutes les organisations internationales et sa participation à tous les traités internationaux que la Yougoslavie a ratifiés ou auxquels elle a adhéré. » (Nations Unies, doc. A/46/915, annexe I.)
« Le Conseil de sécurité,
Réaffirmant sa résolution 713 (1991) du 25 septembre 1991 et toutes les résolutions consécutives pertinentes,
Considérant que l'Etat antérieurement connu comme la République fédérative socialiste de Yougoslavie a cessé d'exister,
Rappelant en particulier sa résolution 757 qui note que « l'affirmation de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), selon laquelle elle assure automatiquement la continuité de l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie comme Membre de l'Organisation des Nations Unies n'a pas été généralement acceptée »,
1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peut pas assurer automatiquement la continuité de la qualité de Membre de l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie aux Nations Unies et par conséquent recommande à l'Assemblée générale de décider que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d'adhésion aux Nations Unies et qu'elle ne participera pas aux travaux de l'Assemblée générale ;
2. Décide de reconsidérer la question avant la fin de la partie principale de la quarante-septième session de l'Assemblée générale.»
La résolution fut adoptée par 12 voix contre zéro, avec 3 abstentions.
« L'Assemblée générale,
Ayant reçu la recommandation du Conseil de sécurité, en date du 19 septembre 1992, selon laquelle la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d'admission à l'Organisation des Nations Unies et ne participera pas aux travaux de l'Assemblée générale,
1. Considère que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peut pas assumer automatiquement la [continuité de la] qualité de Membre de l'Organisation des Nations Unies à la place de l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie et, par conséquent, décide que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d'admission à l'Organisation et qu'elle ne participera pas aux travaux de l'Assemblée générale ;
2. Prend acte de l'intention du Conseil de sécurité de reconsidérer la question avant la fin de la partie principale de la quarante-septième session de l'Assemblée générale. »
La résolution fut adoptée par 127 voix contre 6, avec 26 abstentions.
« Si l'Assemblée générale a déclaré sans équivoque que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne pouvait pas assurer automatiquement la continuité de la qualité de Membre de l'ancienne République fédérative socialiste de Yougoslavie à l'Organisation des Nations Unies et que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) devrait présenter une demande d'admission à l'Organisation, l'unique conséquence pratique de cette résolution est que la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne participera pas aux travaux de l'Assemblée générale. Il est donc clair que les représentants de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peuvent plus participer aux travaux de l'Assemblée générale et de ses organes subsidiaires, ni aux conférences et réunions organisées par celle-ci.
D'un autre côté, la résolution ne met pas fin à l'appartenance de la Yougoslavie à l'Organisation et ne la suspend pas. En conséquence, le siège et la plaque portant le nom de la Yougoslavie subsistent, mais dans les organes de l'Assemblée les représentants de la République fédérale de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ne peuvent occuper la place réservée à la « Yougoslavie». La mission de la Yougoslavie auprès du Siège de l'Organisation des Nations Unies, ainsi que les bureaux occupés par celle-ci, peuvent poursuivre leurs activités, ils peuvent recevoir et distribuer des documents. Au Siège, le Secrétariat continuera de hisser le drapeau de l'ancienne Yougoslavie, car c'est le dernier drapeau que le Secrétariat ait connu. La résolution n'enlève pas à la Yougoslavie le droit de participer aux travaux des organes autres que ceux de l'Assemblée. L'admission à l'Organisation des Nations Unies d'une nouvelle Yougoslavie, en vertu de l'article 4 de la Charte, mettra fin à la situation créée par la résolution 47/1. » (Nations Unies, doc. A/47/485 ; les italiques sont dans l'original.)
«Après l'évolution démocratique fondamentale qui s'est produite en République fédérale de Yougoslavie, j'ai l'honneur, en ma qualité de président, de demander l'admission de la République fédérale de Yougoslavie à l'Organisation des Nations Unies, comme suite à la résolution 777 (1992) du Conseil de sécurité. » (Nations Unies, doc. A/55/528-S/2000/1043; les italiques sont de la Cour.)
« Il est certes des circonstances dans lesquelles la partie qui s'abstient de soulever une exception d'incompétence pourrait être considérée comme ayant accepté cette compétence (Appel concernant la compétence du Conseil de l'OACI, arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 52, par. 13). Mais hors de cette hypothèse, une partie qui n'use pas de la procédure prévue à l'article 79 perd sans doute le droit d'obtenir la suspension de la procédure sur le fond, mais n'en peut pas moins faire valoir cette exception en même temps que ses arguments au fond. » (Arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 29, par. 24.)
Ce premier argument de la Bosnie-Herzégovine doit donc être compris comme une affirmation selon laquelle le défendeur, par son comportement relativement à l'instance, c'est-à-dire, notamment, faute d'avoir, à un stade antérieur de celle-ci, soulevé la question de l'application de l'article 35 du Statut, au moyen d'une exception préliminaire ou autrement, doit être réputé avoir accepté la compétence de la Cour. Cet argument de la Bosnie-Herzégovine est à mettre ainsi en parallèle avec son argument cité plus haut (paragraphe 85), selon lequel le défendeur serait privé du droit de demander à la Cour d'examiner cette question — tant pour des raisons de bonne foi que par estoppel ou application du principe allegans contraria nemo audietur.
Cette dernière question peut être considérée comme une question préalable à celle de la compétence ratione personae, ou comme un élément constitutif de la compétence ratione personae. Dans un cas comme dans l'autre, à la différence de la plupart des questions de compétence, ce n'est pas du consentement des parties qu'il s'agit ici : comme la Cour l'a observé dans les affaires relatives à la Licéité de l'emploi de la force,
« il y a lieu d'établir une distinction entre une question de compétence liée au consentement d'une partie et celle du droit d'une partie à ester devant la Cour conformément aux prescriptions du Statut, qui n'implique pas un tel consentement. La question qui se pose est celle de savoir si, en droit, au moment où elle a introduit les présentes instances, la Serbie-et-Monténégro était habilitée à saisir la Cour en tant que partie au Statut. Cette question étant indépendante des vues ou des souhaits des Parties, la Cour ne serait pas, quand bien même les Parties partageraient à présent le même point de vue à cet égard, tenue pour autant de considérer ce dernier comme nécessairement exact. Ainsi la Cour se doit-elle d'examiner la question pour tirer ses propres conclusions indépendamment du consentement des parties, ce qui n'est en aucun cas incompatible avec le principe selon lequel la compétence de la Cour est subordonnée à un tel consentement. » (Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 295, par. 36 ; les italiques sont dans l'original.)
« [était] incontestable que l'admission de la RFY à l'Organisation des Nations Unies le 1er novembre 2000 en tant que nouvel Etat Membre constitu[ait] un fait nouveau...
L'admission de la RFY à l'Organisation des Nations Unies en tant que nouveau Membre [levait] les ambiguïtés et jet[ait] un nouvel éclairage sur sa qualité de Membre de l'Organisation des Nations Unies et de partie au Statut et à la convention sur le génocide. » (Demande en revision, C.I.J. Recueil 2003, p. 12, par. 18.)
En substance, la RFY affirmait que son admission à l'Organisation des Nations Unies en 2000 laissait nécessairement entendre qu'elle n'était pas membre de l'Organisation ni donc partie au Statut en 1993, date d'introduction de la présente instance, si bien que la Cour n'aurait pas été compétente pour connaître de l'affaire.
« la RFY affirme que les faits qui existaient au moment du prononcé de l'arrêt de 1996 et sur la découverte desquels se fonde sa demande en revision de l'arrêt en question étaient que « la RFY n'était pas partie au Statut et... ne demeurait pas liée par la convention sur le génocide en assurant la continuité de la personnalité de l'ex-Yougoslavie ». Elle soutient que ces « faits » ont été « révélés » par son admission à l'Organisation des Nations Unies le 1er novembre 2000 ainsi que par [une] lettre du conseiller juridique [de l'Organisation des Nations Unies] en date du 8 décembre 2000.
Aussi bien, la RFY, dans le dernier état de son argumentation, prétend-elle que son admission à l'Organisation des Nations Unies et la lettre du conseiller juridique du 8 décembre 2000 auraient simplement « révélé » deux faits existant dès 1996, mais inconnus à l'époque, à savoir qu'elle n'était pas alors partie au Statut de la Cour et n'était pas liée par la convention sur le génocide. » (C.I.J. Recueil 2003, p. 30, par. 66 et 69.)
« [En avançant cet argument], la RFY ne se prévaut cependant pas de faits existant en 1996. Elle fonde en réalité sa requête en revision sur les conséquences juridiques qu'elle entend tirer de faits postérieurs à l'arrêt dont la revision est demandée. Ces conséquences, à les supposer établies, ne sauraient être regardées comme des faits au sens de l'article 61. L'argumentation de la RFY ne peut par suite être retenue. » (Ibid., p. 30-31, par. 69.)
«considéré les « faits décisifs» allégués par la Serbie-et-Monténégro comme des « faits existant en 1996 » aux fins de l'article 61. Elle n'a donc pas eu à se prononcer sur la question de savoir si des « conséquences juridiques » pouvaient bien être inférées des faits postérieurs ; en d'autres termes, la Cour n'a pas été appelée à dire s'il était exact que la Serbie-et-Monténégro n'était pas partie au Statut ou à la convention sur le génocide en 1996. » (Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 313, par. 87.)
« Il découle de ce qui précède qu'il n'a pas été établi que la requête de la RFY reposerait sur la découverte « d'un fait » qui, « avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la Partie qui demande la revision ». La Cour en conclut que l'une des conditions de recevabilité d'une demande en revision prescrites au paragraphe 1 de l'article 61 du Statut n'est pas satisfaite. » (C.I.J. Recueil 2003, p. 31, par. 72.)
Dans ses décisions rendues en 2004 dans les affaires relatives à la Licéité de l'emploi de la force, la Cour est revenue sur cette conclusion :
« La Cour a donc clairement exprimé sa position, à savoir qu'une modification rétroactive de la situation, constituant un fait nouveau, ne pouvait avoir eu lieu en 2000, et que les conditions énoncées à l'article 61 n'étaient donc pas satisfaites. Cela n'emportait, toutefois, aucune conclusion de la Cour, dans la procédure en revision, quant à ce qu'était la situation en réalité. » (Exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 314, par. 89.)
« [L']ex-République fédérative socialiste de Yougoslavie... a signé la convention sur le génocide le 11 décembre 1948 et a déposé son instrument de ratification, sans réserves, le 29 août 1950. Lors de la proclamation de la République fédérative de Yougoslavie, le 27 avril 1992, une déclaration formelle a été adoptée en son nom, aux termes de laquelle :
« La République fédérative de Yougoslavie, assurant la continuité de l'Etat et de la personnalité juridique et politique internationale de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, respectera strictement tous les engagements que la République fédérative socialiste de Yougoslavie a pris à l'échelon international.»
L'intention ainsi exprimée par la Yougoslavie de demeurer liée par les traités internationaux auxquels était partie l'ex-Yougoslavie a été confirmée dans une note officielle du 27 avril 1992 adressée au Secrétaire général par la mission permanente de la Yougoslavie auprès des Nations Unies. La Cour observe en outre qu'il n'a pas été contesté que la Yougoslavie soit partie à la convention sur le génocide. Ainsi, la Yougoslavie était liée par les dispositions de la convention à la date du dépôt de la requête en la présente affaire, le 20 mars 1993. » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 610, par. 17.)
« [l]a Serbie-et-Monténégro n'a pas spécifiquement affirmé dans sa requête [de 1993, en l'espèce] que la Cour lui était ouverte en vertu du paragraphe 1 de l'article 35 du Statut de la Cour, mais il est devenu par la suite manifeste que le demandeur prétendait être Membre de l'Organisation des Nations Unies, et donc partie au Statut de la Cour en vertu du paragraphe 1 de l'article 93 de la Charte, à la date du dépôt de la requête... [C]ette position a été expressément énoncée dans le mémoire déposé par la Serbie-et-Monténégro le 4 janvier 2000. » (Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 299, par. 47.)
La question de savoir si la RFY était un Etat continuateur ou un Etat successeur de la RFSY a été évoquée dans le mémoire de la Bosnie-Herzégovine. Le point de vue exprimé par la Bosnie-Herzégovine était que, bien que la RFY ne fût pas membre de l'Organisation des Nations Unies, elle était néanmoins partie au Statut en tant qu'Etat successeur de la RFSY qui s'était expressément engagé à respecter les engagements internationaux contractés par cette dernière. Il est également essentiel, lorsqu'on examine le texte de l'arrêt de 1996, de prendre note du contexte dans lequel celui-ci a été rendu, en particulier en ce qui concerne l'état des relations qui existaient alors entre le défendeur et l'Organisation des Nations Unies, qui a été rappelé plus haut aux paragraphes 88 à 99.
« l'importance de cette évolution survenue en 2000 tient au fait qu'elle a clarifié la situation juridique, jusque-là indéterminée, quant au statut de la République fédérale de Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. C'est en ce sens que la situation qui se présente aujourd'hui à la Cour concernant la Serbie-et-Monténégro est manifestement différente de celle devant laquelle elle se trouvait en 1999. Si la Cour avait alors eu à se prononcer définitivement sur le statut du demandeur à l'égard de l'Organisation des Nations Unies, cette tâche aurait été compliquée par les incertitudes entourant la situation juridique, s'agissant de ce statut. Cependant, la Cour se trouvant aujourd'hui à même d'apprécier l'ensemble de la situation juridique, et compte tenu des conséquences juridiques du nouvel état de fait existant depuis le 1er novembre 2000, la Cour est amenée à conclure que la Serbie-et-Monténégro n'était pas membre de l'Organisation des Nations Unies, ni en cette qualité partie au Statut de la Cour internationale de Justice, au moment où elle a déposé sa requête introduisant la présente instance devant la Cour, le 29 avril 1999. » (Licéité de l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 310-311, par. 79.)
Comme la Cour l'a reconnu ici, s'il lui a paru clair en 2004 que le défendeur n'était pas membre de l'Organisation des Nations Unies à l'époque pertinente, la situation n'était absolument pas aussi claire en 1999 — et encore moins en 1996. Les incohérences apparues dans les positions exprimées par les divers organes des Nations Unies ressortent nettement des passages cités ci-dessus aux paragraphes 91 à 96.
« le caractère fondamental du droit d'ester en tant que préalable à l'exercice par la Cour de sa fonction judiciaire signifie que des conclusions positives à ce sujet ne sauraient être considérées comme finales et irréversibles avant que l'arrêt définitif soit rendu en l'affaire, car, dans le cas contraire, la Cour risquerait de rendre une décision finale envers une partie à l'égard de laquelle elle ne peut pas exercer sa fonction judiciaire. Autrement dit, le droit d'ester est si fondamental que, jusqu'à l'arrêt définitif, il l'emporte sur le principe de l'autorité de la chose jugée. Ainsi, même si l'arrêt de 1996 avait formulé une conclusion relative au droit d'ester, quod non, cette conclusion n'empêcherait pas la Cour de pouvoir réexaminer cette question jusqu'à la fin de la procédure. »
Un argument similaire avancé par le défendeur est fondé sur le principe selon lequel la compétence de la Cour découlerait d'un traité, à savoir le Statut de la Cour ; le défendeur doute que le Statut ait pu conférer à l'arrêt de 1996 un quelconque effet puisque, selon lui, il n'y était pas partie. Le conseil du défendeur a déclaré :
« Nous savons aujourd'hui que lorsque, en 1996, la décision relative aux exceptions préliminaires a été rendue, le défendeur n'était pas partie au Statut. Aucune base de compétence n'existait de la sorte à l'époque ; le paragraphe 6 de l'article 36 et les articles 59 et 60 ne représentaient pas une disposition conventionnelle contraignante fournissant une éventuelle base à partir de laquelle se prononcer sur la compétence avec effet de chose jugée. »
« Les Parties contractantes,
Considérant que l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies, par sa résolution 96 (I) en date du 11 décembre 1946, a déclaré que le génocide est un crime du droit des gens, en contradiction avec l'esprit et les fins des Nations Unies et que le monde civilisé condamne,
Reconnaissant qu'à toutes les périodes de l'histoire le génocide a infligé de grandes pertes à l'humanité,
Convaincues que pour libérer l'humanité d'un fléau aussi odieux la coopération internationale est nécessaire,
Conviennent de ce qui suit:... »
« Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. »
L'article III dispose :
«Seront punis les actes suivants :
a) le génocide ;
b) l'entente en vue de commettre le génocide ;
c) l'incitation directe et publique à commettre le génocide ;
d) la tentative de génocide ;
e) la complicité dans le génocide. »
« [l]es personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III seront traduites devant les tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction ».
L'article VII prévoit l'extradition.
« [t]oute Partie contractante peut saisir les organes compétents de l'Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la Charte des Nations Unies, les mesures qu'ils jugent appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III ».
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d'une partie au différend. »
Les dix articles restants sont des clauses finales qui traitent de questions telles que la participation à la Convention et l'entrée en vigueur de celle-ci.
« La Cour en vient maintenant à la seconde proposition de la Yougoslavie [qu'elle a avancée à l'appui de l'une de ses exceptions préliminaires], relative au type de responsabilité d'Etat qui serait visée à l'article IX de la convention. D'après la Yougoslavie, seule serait couverte la responsabilité découlant du manquement d'un Etat à ses obligations de prévention et de répression telles qu'envisagées aux articles V, VI et VII ; en revanche, la responsabilité d'un Etat à raison d'un acte de génocide perpétré par l'Etat lui-même serait exclue du champ d'application de la convention.
La Cour observera qu'en visant «la responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III », l'article IX n'exclut aucune forme de responsabilité d'Etat.
La responsabilité d'un Etat pour le fait de ses organes n'est pas davantage exclue par l'article IV de la convention, qui envisage la commission d'un acte de génocide par des «gouvernants» ou des «fonctionnaires».
Au vu de ce qui précède, la Cour estime devoir rejeter la cinquième exception préliminaire de la Yougoslavie. Elle fera d'ailleurs observer qu'il ressort à suffisance des termes mêmes de cette exception que les Parties non seulement s'opposent sur les faits de l'espèce, sur leur imputabilité et sur l'applicabilité à ceux-ci des dispositions de la convention sur le génocide, mais, en outre, sont en désaccord quant au sens et à la portée juridique de plusieurs de ces dispositions, dont l'article IX. Pour la Cour, il ne saurait en conséquence faire de doute qu'il existe entre elles un différend relatif à « l'interprétation, l'application ou l'exécution de la... convention, y compris... la responsabilité d'un Etat en matière de génocide... », selon la formule utilisée par cette dernière disposition (voir Applicabilité de l'obligation d'arbitrage en vertu de la section 21 de l'accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l'Organisation des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1988, p. 27-32). » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616-617, par. 32-33 ; les italiques ne figurent pas dans l'arrêt de 1996.)
Le demandeur s'appuie en particulier sur les phrases du paragraphe 32 qui apparaissent en italiques dans la citation ci-dessus. Le défendeur soutient que
« l'opinion ainsi exprimée se caractérise par sa brièveté et est subordonnée au rejet de l'exception préliminaire fondée sur l'existence éventuelle d'un différend relatif à l'interprétation de la convention sur le génocide. L'interprétation adoptée de cette manière provisoire par la Cour n'est étayée par aucun renvoi aux importants travaux relatifs à la convention.
Dans ces conditions, il n'y a aucune raison de principe ni considération de bon sens qui indique que la question de l'interprétation n'est désormais plus ouverte. »
Tout en affirmant que la Cour a tranché la question et s'est exprimée avec force sur ce sujet en 1996, le demandeur dit aussi que la présente phase de la procédure
« donnera une nouvelle fois à la Cour l'occasion de trancher cette question importante, non seulement à l'attention des Parties, mais dans l'intérêt des générations futures, qui ne doivent pas avoir à craindre que les Etats jouissent d'une immunité de responsabilité pour leurs actes de génocide ».
« la convention sur le génocide n'engage pas la responsabilité des Etats à raison d'actes de génocide en tant que tels. Les obligations imposées par la convention concernent en effet « la prévention et la répression du crime de génocide » lorsque ce crime est commis par des individus : les articles V et VI [qui traitent de l'application de la convention et de l'adoption des mesures législatives nécessaires] sont... très clairs sur ce point. »
Il affirme que la Cour n'a donc pas compétence ratione materiae en vertu de l'article IX, avant d'ajouter :
« Ces dispositions [les articles premier, V, VI et IX] n'engagent pas la responsabilité d'une partie contractante en tant que telle à raison d'actes de génocide, mais [seulement] sa responsabilité pour ne pas avoir prévenu ou puni les actes de génocide commis par des individus sur son territoire ou... relevant d'elle. »
S'agissant de ce manquement, le seul remède serait, d'après le défendeur, un jugement déclaratoire.
« pour qu'un Etat soit responsable en vertu de la convention sur le génocide, il faut d'abord que les faits soient établis. Or, le génocide étant un crime, il ne peut être établi que conformément aux règles du droit pénal, qui requièrent d'abord une responsabilité individuelle. La responsabilité de l'Etat ne peut être engagée que lorsque l'existence du génocide a été établie au-delà de tout doute raisonnable. Ensuite, il faut encore que la personne qui a commis le génocide puisse engager la responsabilité de l'Etat. »
(Cet argument aborde ensuite la question de la violation de l'obligation de prévenir et de punir, laquelle sera examinée plus loin dans le présent arrêt.)
« Les origines de la convention révèlent l'intention des Nations Unies de condamner et de réprimer le génocide comme « un crime de droit des gens » impliquant le refus du droit à l'existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l'humanité, et qui est contraire à la fois à la loi morale et à l'esprit et aux fins des Nations Unies (résolution 96 (I) de l'Assemblée générale, 11 décembre 1946). Cette conception entraîne une première conséquence : les principes qui sont à la base de la convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les Etats même en dehors de tout lien conventionnel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire « pour libérer l'humanité d'un fléau aussi odieux » (préambule de la convention)...
Les fins d'une telle convention doivent également être retenues. La convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère, puisqu'elle vise d'une part à sauvegarder l'existence même de certains groupes
humains, d'autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires. » (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)
Dans la suite de cet avis, la Cour renvoie aux « principes de morale et d'humanité qui sont à [l]a base [de cette convention] » (ibid., p. 24). La Cour a déjà eu l'occasion de rappeler en la présente affaire la résolution 96 (I) (C.I.J. Recueil 1993, p. 23 ; voir également p. 348 et 440) et son dictum de 1951 (C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616), de même qu'elle a réaffirmé ses dicta de 1951 et de 1996 au paragraphe 64 de son arrêt du 3 février 2006 en l'affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête: 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), lorsqu'elle a ajouté que la norme interdisant le génocide constituait assurément une norme impérative du droit international (jus cogens).
« Les Hautes Parties contractantes,
Convaincues que la collaboration internationale est nécessaire pour assurer la prévention et la répression du génocide ;
Conviennent de prévenir et de réprimer ce crime comme il est prévu ci-dessous.»
Le premier article devait disposer : «Le génocide est un crime du droit des gens, qu'il ait été commis en temps de paix ou en temps de guerre. » (Rapport du comité spécial du génocide, 5 avril au 10 mai 1948, Nations Unies, Procès-verbaux officiels du Conseil économique et social, septième session, supplément no 6, doc. E/794, p. 2, 18.)
La Belgique considéra qu'il fallait donner à l'engagement de prévenir et de réprimer davantage d'efficacité en le faisant figurer dans le corps même de la Convention plutôt que dans le préambule et proposa à la Sixième Commission de l'Assemblée générale un article premier libellé en ces termes : « Les Hautes Parties contractantes s'engagent à prévenir et à réprimer le crime de génocide » (Nations Unies, doc. A/C.6/217). Les Pays-Bas proposèrent alors un nouveau texte d'article premier combinant le projet du comité spécial et la proposition belge, avec quelques modifications : « Les Hautes Parties contractantes affirment à nouveau que le génocide est un crime du droit des gens qu'elles s'engagent à prévenir et à réprimer, conformément aux dispositions des articles suivants. » (Nations Unies, doc. A/C.6/220 ; Nations Unies, Documents officiels de l'Assemblée générale, troisième session, première partie, Sixième Commission, comptes rendus analytiques de la 68e séance, p. 45.) Le représentant danois estima que l'article premier devait être rédigé de manière à le rendre plus efficace et proposa de supprimer la dernière phrase — « conformément aux dispositions des articles suivants » (ibid., p. 47). Le représentant des Pays-Bas approuva cette proposition (ibid., p. 49-50). Après le rejet, par 36 voix contre 8 avec 5 abstentions, de la proposition de l'URSS tendant à supprimer l'article premier et celui, par 40 voix contre 8, de sa proposition de transférer dans le préambule les différents points contenus dans cet article, et après l'adoption, par 30 voix contre 7 avec 6 abstentions, de la proposition d'insérer le membre de phrase « qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre », le texte amendé de l'article premier fut adopté par 37 voix contre 3 avec 2 abstentions (ibid., p. 51 et 53).
« Dans le cas de crimes de droit international commis par des agents de l'Etat, il arrivera souvent que ce soit l'Etat lui-même qui soit responsable pour avoir commis les faits en cause ou pour ne pas les avoir empêchés ou réprimés. Dans certains cas, notamment celui de l'agression, l'Etat sera par définition impliqué. Mais même dans ces cas, la question de la responsabilité individuelle est en principe à distinguer de celle de la responsabilité des Etats. L'Etat n'est pas exonéré de sa propre responsabilité pour le comportement internationalement illicite par le fait qu'il a poursuivi et puni les agents publics qui en sont les auteurs. » (Rapport de la CDI, 2001, A/56/10, Commentaire de la CDI sur le projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite, Commentaires sur l'article 58, par. 3.)
La Commission cite le paragraphe 4 de l'article 25 du Statut de Rome et conclut comme suit :
« L'article 58... précis[e] que les articles ne traitent pas de la question de la responsabilité individuelle en droit international de toute personne agissant au nom d'un Etat. L'expression « responsabilité individuelle » est revêtue d'une signification convenue à la lumière du Statut de Rome et d'autres instruments ; elle désigne la responsabilité de personnes individuelles, y compris des agents de l'Etat, d'après certaines règles de droit international s'appliquant à des comportements tels que la commission d'un génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. »
« L'article IX prévoit que seront soumis à la Cour internationale de Justice, entre autres, les différends relatifs à la responsabilité d'un Etat en matière de génocide ou de l'un des actes énumérés à l'article III, tandis que d'après l'amendement commun, il ne s'agirait pas de différends portant sur la responsabilité de l'Etat mais résultant d'une accusation aux termes de laquelle l'acte criminel a été commis sur le territoire d'une des Parties contractantes. » (Nations Unies, Documents officiels de l'Assemblée générale, première partie, troisième session, comptes rendus analytiques de la 131e séance, p. 690.)
A ce moment-là des délibérations de la Sixième Commission, il était clair que seuls les individus pouvaient être tenus pour pénalement responsables aux termes du projet de convention sur le génocide. Le président considérait manifestement que l'article IX tel qu'il venait d'être modifié prévoyait la responsabilité de l'Etat pour génocide.
« a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; et
e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe » —
comprennent eux-mêmes des éléments moraux. Le « meurtre» est nécessairement intentionnel, tout comme l'« atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ». Dans les litt. c) et d) de l'article II, ces éléments moraux ressortent expressément des mots « intentionnelle» et «visant», et implicitement aussi des termes «soumission » et « mesures». De même, le transfert forcé suppose des actes intentionnels, voulus. Ces actes, selon les termes de la CDI, sont par leur nature même des actes conscients, intentionnels ou délibérés (Commentaire relatif à l'article 17 du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité de 1996, rapport de la CDI 1996, Annuaire de la Commission du droit international, 1996, vol. II, deuxième partie, p. 47, par. 5).
« [L']élément moral requis pour la persécution est plus strict que pour les crimes contre l'humanité habituels, tout en demeurant en deçà de celui requis pour le génocide. Dans ce contexte, la chambre de première instance souhaite insister sur le fait que la persécution, en tant que crime contre l'humanité, est une infraction qui relève du même genus que le génocide. Il s'agit, dans les deux cas, de crimes commis contre des personnes qui appartiennent à un groupe déterminé et qui sont visées en raison même de cette appartenance. Ce qui compte dans les deux cas, c'est l'intention discriminatoire : pour attaquer des personnes à cause de leurs caractéristiques ethniques, raciales ou religieuses (ainsi que, dans le cas de la persécution, à cause de leurs opinions politiques). Alors que dans le cas de la persécution, l'intention discriminatoire peut revêtir diverses formes inhumaines et s'exprimer par le biais d'une multitude d'actes, dont l'assassinat, l'intention requise pour le génocide doit s'accompagner de celle de détruire, en tout ou en partie, le groupe auquel les victimes appartiennent. S'agissant de l'élément moral, on peut donc dire que le génocide est une forme de persécution extrême, sa forme la plus inhumaine. En d'autres termes, quand la persécution atteint sa forme extrême consistant en des actes intentionnels et délibérés destinés à détruire un groupe en tout ou en partie, on peut estimer qu'elle constitue un génocide. » (IT-95-16-T, jugement du 14 janvier 2000, par. 636.)
«Premièrement, le groupe visé n'est pas suffisamment défini comme tel, car selon l'allégation du demandeur ce groupe serait des non-Serbes, donc un ensemble de toutes les personnes vivant en Bosnie-Herzégovine à l'exception des Serbes, mais plus particulièrement la population musulmane qui ne représente qu'une partie de cette population non serbe. Deuxièmement, l'intention de détruire aurait visé une partie de la population non serbe, mais le demandeur ne spécifie pas quelle partie du groupe aurait été visée. »
En sus de ces questions de la définition négative du groupe et de ses limites géographiques (ou de leur absence), les Parties ont également débattu du choix entre l'approche subjective et l'approche objective de la définition. Elles conviennent pour l'essentiel que la jurisprudence internationale admet une approche mixte, à la fois subjective et objective. Quoi qu'il en soit, la question ne présente pas d'importance en ce qui concerne les faits de l'espèce et la Cour ne l'examinera pas plus avant.
«Le nombre de personnes visées doit être considéré dans l'absolu mais aussi par rapport à la taille du groupe dans son ensemble. Il peut être utile de tenir compte non seulement de l'importance numérique de la fraction du groupe visée, mais aussi de sa place au sein du groupe tout entier. Si une portion donnée du groupe est représentative de l'ensemble du groupe, ou essentielle à sa survie, on peut en conclure qu'elle est substantielle au sens de l'article 4 du Statut [qui est calqué sur l'article II de la Convention]. » (IT-98-33-A, arrêt du 19 avril 2004, par. 12, note de bas de page omise.)
Pour établir s'il est satisfait à la condition relative au «groupe», le critère du caractère substantiel ne suffit pas toujours, bien qu'il soit un point de départ essentiel. Il s'ensuit, de l'avis de la Cour, que l'approche qualitative n'est pas suffisante. La chambre d'appel dans l'affaire Krstic a exprimé la même idée.
« la Serbie-et-Monténégro ne devrait pas être autorisée à nous répondre lorsque nous citons les documents expurgés si elle ne communique pas en même temps au demandeur et à la Cour le texte complet et non expurgé de tous les rapports sténographiques et de tous les comptes rendus du CSD. Sinon, la Serbie-et-Monténégro aurait un avantage considérable sur la Bosnie-Herzégovine en ce qui concerne ces documents sur lesquels, apparemment, et certainement aux yeux du défendeur, toute cette affaire peut se jouer. Nous demandons expressément à la Cour de donner au défendeur les instructions correspondantes. » (Les italiques sont dans l'original.)
« La Cour traitera avec prudence les éléments de preuve spécialement établis aux fins de l'affaire ainsi que ceux provenant d'une source unique. Elle leur préférera des informations fournies à l'époque des événements par des personnes ayant eu de ceux-ci une connaissance directe. Elle prêtera une attention toute particulière aux éléments de preuve dignes de foi attestant de faits ou de comportements défavorables à l'Etat que représente celui dont émanent lesdits éléments (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64). La Cour accordera également du poids à des éléments de preuve dont l'exactitude n'a pas, même avant le présent différend, été contestée par des sources impartiales. La Cour relève par ailleurs qu'une attention particulière mérite d'être prêtée aux éléments de preuve obtenus par l'audition d'individus directement concernés et soumis à un contre-interrogatoire par des juges rompus à l'examen et à l'appréciation de grandes quantités d'informations factuelles, parfois de nature technique. Elle tiendra donc compte comme il convient du rapport de la commission Porter, qui a suivi cette méthodologie. Elle relève encore que la crédibilité de ce rapport, qui a été reconnue par les deux Parties, n'a, depuis sa publication, jamais été contestée. » (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 35, par. 61. Voir également les paragraphes 78-79, 114 et 237-242.)
« [N]ous ne considérons pas que tous les matériaux du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie revêtent la même pertinence et aient la même valeur probante. Nous nous appuyons premièrement sur les arrêts et jugements du Tribunal, vu qu'uniquement les jugements peuvent être considérés comme établissant de manière crédible les faits concernant les crimes perpétrés. »
Il a poursuivi en faisant observer que, sauf en ce qui concernait Srebrenica, le Tribunal n'avait à ce jour conclu au génocide dans aucune des situations invoquées par le demandeur. Il a également attiré l'attention sur les critiques déjà formulées par le conseil du défendeur à l'égard du jugement par lequel le général Krstic avait été reconnu coupable de complicité («aiding and abetting») de génocide à Srebrenica.
1) décisions, prises par le procureur, d'inclure ou non certains chefs dans un acte d'accusation;
2) décisions, prises par un juge après examen de l'acte d'accusation, de confirmer celui-ci et d'émettre ou non un mandat d'arrêt;
3) en cas d'inexécution de ce mandat d'arrêt, décision prise par une chambre de première instance (composée de trois juges), de délivrer un mandat d'arrêt international, sous réserve que la chambre ait été convaincue qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'accusé a commis les crimes ou l'un des crimes qui lui sont reprochés;
4) décisions, prises par une chambre de première instance, concernant la demande d'acquittement déposée par un accusé à l'issue de la présentation des moyens de l'accusation;
5) jugements rendus par une chambre de première instance à l'issue d'un procès;
6) jugements portant condamnation rendus par une chambre de première instance à la suite d'un plaidoyer de culpabilité.
Certaines décisions de la chambre d'appel ont aussi été portées à l'attention de la Cour.
« Le présent rapport a été établi grâce aux archives des organismes des Nations Unies ainsi qu'aux entretiens avec des personnes qui, à des titres divers, ont participé aux événements en cause ou en avaient une connaissance approfondie. Pour pouvoir faire mieux comprendre ce qui s'est passé, j'ai décidé, à titre exceptionnel, de divulguer des informations figurant dans les dossiers confidentiels de l'Organisation des Nations Unies. Par ailleurs, je tiens à remercier les États Membres, les organisations et les personnes qui ont communiqué des informations pour l'établissement du texte. On trouvera à l'annexe 1 une liste des personnes avec lesquelles des entretiens ont eu lieu. Bien que cette liste soit assez longue, des considérations de temps et d'argent, entre autres, ne nous ont pas permis de nous entretenir avec de nombreuses autres personnes qui auraient été en mesure d'éclaircir d'importants aspects de la question. Dans la plupart des cas, les entretiens ont été menés sous le couvert de l'anonymat afin d'encourager la plus grande franchise possible. J'ai également fait droit à la demande des personnes qui ont communiqué des informations à condition de ne pas être identifiées. » (Nations Unies, doc. A/54/549, par. 8.)
« A ce jour, l'ONU n'a pas encore rendu publics tous les détails de l'offensive de Srebrenica qui s'est déroulée du 6 au 11 juillet 1995. Le compte rendu qui suit a été reconstitué essentiellement à partir des rapports de l'époque établis par le bataillon néerlandais et les observateurs militaires des Nations Unies. Ces rapports ont été complétés par des informations contenues dans le rapport de fin de mission du bataillon néerlandais présenté par les Pays-Bas, daté d'octobre 1995, ainsi que par des renseignements de sources bosniennes, serbes de Bosnie et internationales. Il fallait examiner de manière indépendante les données contenues dans les diverses sources secondaires publiées au cours des quatre dernières années et corroborer les données du rapport de fin de mission des Pays-Bas. Pour ce faire, des entretiens ont été organisés au cours de la rédaction du présent rapport avec plusieurs des acteurs qui se trouvaient à Srebrenica à l'époque ou qui participaient à la prise des décisions aux échelons supérieurs de la hiérarchie de l'ONU. » (A/54/549, chap. VII, p. 61.)
La note introductive du chapitre suivant, « Conséquences de la chute de Srebrenica: période du 12 au 20 juillet 1995 », présente les sources de la manière suivante :
« Dans la section suivante, on essaie de décrire, dans un récit cohérent, comment des milliers d'hommes et de jeunes garçons ont été sommairement exécutés et enterrés dans des charniers dans l'espace de quelques jours, tandis que la communauté internationale tentait de négocier un droit d'accès. On y indique que des éléments de preuve ont été progressivement découverts sur les atrocités commises, mais trop tardivement pour empêcher la tragédie qui se déroulait. En 1995, les détails de cette tragédie ont été relatés au coup par coup par des personnes qui avaient survécu aux exécutions massives et qui commençaient à faire le récit des horreurs dont elles avaient été témoins ; des photos prises par satellite ont corroboré ultérieurement ces récits.
Le premier document officiel de l'Organisation des Nations Unies qui évoquait la possibilité d'exécutions massives était le rapport du rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme en date du 22 août 1995 (E/CN.4/1996/9). Il a été suivi des rapports datés du 30 août (S/1995/755) et du 27 novembre 1995 (S/1995/988), que le Secrétaire général a soumis au Conseil de sécurité en application de la résolution 1010 (1995). Ces rapports contenaient des renseignements recueillis auprès d'organisations gouvernementales ou non gouvernementales et reprenaient des informations publiées dans la presse internationale et dans la presse locale. Cependant, à la fin de 1995, le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie n'avait pas encore obtenu l'autorisation d'accéder à la zone pour corroborer les allégations faisant état d'exécutions massives avec des preuves médico-légales.
C'est en janvier 1996 que le Tribunal a été autorisé pour la première fois à se rendre sur les lieux des crimes. Une description détaillée de ses constatations a été publiée en juillet 1996 lors des dépositions faites conformément à l'article 60 du règlement de procédure du Tribunal, dans l'action engagée contre Ratko Mladic et Radovan Karadzic. Depuis cette date et jusqu'à ce jour, le Tribunal a pu mener des enquêtes plus poussées dans les zones où les exécutions auraient eu lieu et sur les sites primaires et secondaires où des charniers auraient été repérés. Sur la base des données scientifiques recueillies lors de ces enquêtes, le Tribunal a pu corroborer de nombreux témoignages fournis par les survivants des massacres. Le 30 octobre 1998, il a inculpé Radislav Krstic, commandant du corps Drina de l'armée des Serbes de Bosnie, pour son rôle présumé dans ces massacres. L'acte d'accusation donne un résumé succinct des informations obtenues à ce jour sur les lieux où les exécutions massives ont été commises et les dates auxquelles elles ont eu lieu.
Les sources d'information susmentionnées, conjuguées à certains renseignements complémentaires à caractère confidentiel qui ont été recueillis lors de l'établissement du présent rapport, constituent la base du compte rendu présenté ci-dessous. Les sources ont été délibérément occultées lorsque leur divulgation risque d'avoir des conséquences fâcheuses pour la poursuite des travaux du Tribunal. » (A/54/549, chap. VIII, p. 78.)
«La chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que toutes les personnes figurant sur la liste C jointe à l'acte d'accusation, à l'exception de trois d'entre elles, ont été tuées au KP Dom. Elle est convaincue que ces personnes ont été prises dans cet enchaînement d'événements qu'a connu le KP Dom pendant les mois de juin et juillet 1992 et que leur disparition depuis lors ne peut raisonnablement s'expliquer que par leur décès, suite aux actes ou omissions commis au KP Dom, avec l'intention voulue [pour la qualification de meurtre]. » (IT-97-25-T, jugement du 15 mars 2002, par. 330.)
« les mauvais traitements infligés étaient si violents que de nombreux prisonniers sont morts. Un homme a indiqué que pendant son séjour, de la mi-juillet à la mi-août, treize prisonniers avaient été battus à mort. Un autre prisonnier est décédé d'une gangrène non soignée. Cinq autres sont peut-être morts de faim. Vingt prisonniers seraient morts avant le mois de septembre. » (Vol. IV, annexe VIII, p. 63.)
Le département d'Etat des Etats-Unis d'Amérique a également mentionné, dans le Dispatch du 19 avril 1993, que des meurtres avaient été commis au camp de Batkovic. Selon un témoin, plusieurs hommes sont morts du fait des mauvaises conditions de vie dans ce camp et des coups qu'ils y avaient reçus (Dispatch, 19 avril 1993, vol. 4, no 30, p. 538).
«L'attaque de Kozarac a duré trois jours et a poussé de nombreux villageois à fuir dans la forêt alors que les soldats tiraient « sur tout ce qui bougeait». Des survivants ont calculé qu'au moins deux mille villageois avaient été tués durant cette période. Les défenses des villageois sont tombées le 26 mai...
Les Serbes donnèrent alors aux villageois dix minutes pour se rendre au stade municipal de football. De nombreuses personnes cependant furent tuées à leur domicile avant d'avoir la possibilité de partir. Un témoin a rapporté que plusieurs milliers de personnes voulurent se rendre en portant des drapeaux blancs, mais que trois chars serbes ouvrirent le feu sur elles, en tuant un grand nombre. »
Le défendeur affirme que le nombre des morts est exagéré, qu'« il y a eu des combats acharnés à Kozarac les 25 et 26 mai et [qu']il faut naturellement en conclure qu'il y avait des combattants musulmans au nombre des victimes ».
« A la suite d'un incident au cours duquel une poignée à peine de soldats serbes furent tués dans des circonstances indéterminées, le village d'Hambarine reçut un ultimatum le sommant de livrer un policier qui vivait à l'endroit où s'étaient produits les tirs. Le policier n'ayant pas été livré, le 23 mai 1992, Hambarine fut pendant plusieurs heures la cible de bombardements d'artillerie.
Les tirs venaient de l'aérodrome d'Urije situé juste à l'extérieur de la ville de Prijedor. Lorsque les bombardements cessèrent, le village fut pris d'assaut par l'infanterie, y compris par des unités paramilitaires, qui fouillèrent chaque maison à la recherche des habitants. En 1991, Hambarine comptait deux mille quatre cent quatre-vingt-dix-neuf habitants. »
Le rapporteur spécial indique, dans son rapport du 17 novembre 1992, que
[e]ntre le 23 et le 25 mai, le village musulman d'Hambarine, situé à 5 kilomètres au sud de Prijedor, a reçu un ultimatum : toutes les armes devaient être livrées à 11 heures au plus tard. Puis, au prétexte qu'on avait tiré sur une patrouille serbe, on a commencé à bombarder le village au mortier et des tanks sont apparus, faisant feu sur les maisons. Les villageois se sont enfuis à Prijedor. Selon les témoins, il y a eu de nombreuses victimes, probablement jusqu'à mille ». (Rapport périodique du 17 novembre 1992, p. 8, par. 17 c).)
Le défendeur, citant l'acte d'accusation dans l'affaire Stakic, affirme que «onze victimes seulement ont été identifiées» et qu'il est par conséquent impossible que le nombre total des victimes d'Hambarine ait « atteint mille personnes ».
«La population, estimée à quinze mille personnes, fut la cible de nombreuses exécutions sommaires, le nombre des victimes s'élevant peut-être à cinq mille, selon certains témoins.» (Rapport de la commission d'experts, vol. IV, point 4.)
« [c]ertains prisonniers estiment que, en moyenne, dix à quinze corps pouvaient être exposés sur l'herbe chaque matin, quand les premiers prisonniers allaient chercher leur ration quotidienne de nourriture. Mais d'autres cadavres ont aussi été vus à d'autres endroits et à d'autres moments. Certains prisonniers sont morts de leurs blessures ou d'autres causes dans les pièces où ils étaient détenus. La vision constante de la mort et de la souffrance de codétenus faisait qu'il était impossible pour quiconque d'oublier un certain temps sa situation. Compte tenu de la durée pendant laquelle Logor Omarska a été utilisé, du nombre de prisonniers détenus en plein air et des allégations selon lesquelles des cadavres étaient exposés là-bas presque chaque matin. »
Les experts concluent dans leur rapport que « toutes les informations disponibles... semblent indiquer qu'[Omarska] était avant tout un camp de la mort» (vol. I, annexe V, p. 80). Le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies a également reçu des rapports du Canada, de l'Autriche et des Etats-Unis contenant des déclarations de témoins sur les meurtres commis à Omarska.
«[v]ers la fin juillet 1992, quarante-quatre personnes [avaient] été emmenées en autocar du camp d'Omarska. On leur a[vait] dit qu'elles seraient échangées [vers] Bosanska Krupa. On ne les a plus jamais revues. Les cadavres de cinquante-six personnes ont été exhumés à Jama Lisac. Ces personnes [avaient], pour la plupart, été tuées par balle. » (IT-97-24-T, chambre de première instance, jugement du 31 juillet 2003, par. 208 et 210.)
Au moins cent vingt personnes détenues à Omarska ont été tuées après avoir été emmenées en autocar.
« Les cadavres de certaines de ces personnes emmenées en autocar ont, par la suite, été retrouvés à Hrastova Glavica et identifiés. De nombreux corps, cent vingt-six, ont été retrouvés dans ce secteur, à environ 30 kilomètres de Prijedor. Pour cent vingt et un d'entre eux, les experts en médecine légale ont conclu à une mort par balle.» (Ibid., par. 212.)
«C'est au début que la situation avait été la pire à Trnopolje, avec le plus grand nombre de meurtres, de viols, et d'autres formes de mauvais traitements et de torture...
Les personnes tuées dans le camp étaient généralement emportées peu après par des détenus auxquels les Serbes avaient donné l'ordre d'enterrer les cadavres...
Bien que Logor Trnopolje n'ait pas été un camp de la mort comme Logor Omarska ou Logor Keraterm, le qualifier de « camp de concentration » n'en est pas moins justifié étant donné les conditions qui y régnaient. » (Ibid., vol. I, annexe V, p. 88-90.)
«le camp de Trnopolje a été le théâtre de nombreux meurtres. Un certain nombre de détenus sont morts à la suite des coups que leur ont infligés les gardiens. D'autres ont été abattus par des gardiens. La chambre de première instance [a] également [conclu] qu'au moins 20 détenus ont été emmenés et tués en dehors du camp. » (IT-99-36-T, jugement du 1er septembre 2004, par. 450.)
« En septembre 1995, des charniers ont été découverts près de Krasulje, au nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine. Le gouvernement a exhumé cinq cent quarante corps de personnes probablement détenues dans le camp de concentration de Manjaca en 1992. En janvier 1996, un charnier renfermant vingt-sept corps de Musulmans de Bosnie a été découvert près de Sanski Most; les victimes auraient été tuées en juillet 1992, lors de leur transfert de Sanski Most au camp de concentration de Manjaca (près de Banja Luka).» (Nations Unies, doc. E/CN.4/1996/36 du 4 mars 1996, par. 52.)
« les corps des détenus morts ou mourants étaient souvent emportés à la décharge du camp ou derrière les hangars des prisonniers. D'autres détenus devaient déplacer les cadavres. Quelquefois, les prisonniers étaient tués pendant qu'ils portaient les corps à la décharge. Les morts étaient aussi emportés et jetés à proximité du commissariat de police serbe situé sur la route de Majevicka Brigada, à Brcko.» (Ibid.)
Ces conclusions sont corroborées par la preuve de l'existence d'un charnier découvert près du site (rapport de la commission d'experts, vol. IV, annexe VIII, p. 101, et Dispatch du département d'Etat des Etats-Unis).
« En résumé, la chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu'au vu de tous les faits relatés dans ce chapitre du jugement que les forces serbes de Bosnie ont tué au moins mille six cent soixante-neuf Musulmans de Bosnie et Croates de Bosnie, tous des non-combattants. » (IT-99-36-T, jugement du 1er septembre 2004, par. 465.)
Dans des résolutions contemporaines des faits, le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale ont condamné les meurtres de civils commis dans le cadre du nettoyage ethnique ou se sont déclarés profondément préoccupés par les informations faisant état de massacres (résolution 819 (1993) du Conseil de sécurité, sixième et septième alinéas du préambule, résolution 48/153 (1993) de l'Assemblée générale, par. 5 et 6 ; résolution 49/196 (1994) de l'Assemblée générale, par. 6).
« Les événements survenus en Bosnie-Herzégovine en juillet 1995 lors de la prise par les Serbes de Bosnie de l'enclave de Srebrenica, déclarée zone de sécurité par l'Organisation des Nations Unies (l'«ONU»), sont bien connus dans le monde entier. En dépit d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU selon laquelle l'enclave devait être «à l'abri de toute attaque armée et de tout autre acte d'hostilité », des unités de l'Armée des Serbes de Bosnie (la « VRS») ont donné l'assaut et pris la ville. En quelques jours, environ 25 000 Musulmans de Bosnie — pour la plupart des femmes, enfants et personnes âgées résidant dans ce secteur — ont été expulsés et, dans une atmosphère de terreur, embarqués par les Serbes de Bosnie à bord d'autocars bondés qui ont traversé les lignes de confrontation pour rejoindre le territoire contrôlé par les Musulmans de Bosnie. Les hommes musulmans de Srebrenica en âge de porter les armes ont connu un sort différent. Des milliers d'entre eux, qui tentaient de fuir le secteur, ont été capturés, détenus dans des conditions inhumaines puis exécutés. Plus de 7000 personnes n'ont jamais été revues. » (IT-98-33-T, jugement du 2 août 2001, par. 1, notes de bas de page omises.)
Le défendeur a contesté le nombre de morts, mais non la teneur de cet exposé. Il met en revanche en doute l'existence d'une intention spécifique (dolus specialis) ainsi que la possibilité de lui attribuer les actes dont le demandeur tire grief. Il appelle également l'attention sur les attaques menées par l'armée de Bosnie depuis Srebrenica et sur le fait que l'enclave n'a jamais été démilitarisée. Le défendeur affirme que l'action militaire engagée par les Serbes de Bosnie l'a été en représailles et dans le cadre d'une guerre à visée territoriale.
«Nous devons continuer à armer, entraîner, former et préparer l'armée de la Republika Srpska à l'exécution de cette mission cruciale qui consiste à expulser les Musulmans de l'enclave de Srebrenica. Il n'y aura pour l'enclave de Srebrenica aucun repli, nous devons avancer. Nous devons rendre la vie de nos ennemis intenable et leur présence dans l'enclave impossible de sorte que, comprenant qu'ils ne peuvent pas survivre ici, ils s'en aillent en masse, aussi vite que possible. »
Dans l'affaire Blagojevic, la chambre de première instance a mentionné des témoignages indiquant que quelques « membres de la brigade de Bratunac en 1994 ont déclaré que, pour eux, il ne s'agissait pas d'un ordre. Le témoignage d'autres personnes et certains documents montrent qu'il s'agissait en fait de la mise en œuvre d'une stratégie. » (IT-02-60-T, chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, par. 104, notes de bas de page omises.) D'après le demandeur, l'«objectif final» décrit ici consistait à créer une «Podrinje entièrement serbe», conformément au dessein d'établir une région serbe sur 50 kilomètres à l'ouest de la rivière Drina qui avait été formé lors d'une réunion tenue en avril ou mai 1991 par l'élite politique et dirigeante de la Yougoslavie. La Cour fait observer que, comme les objectifs stratégiques de 1992, l'objectif énoncé dans le rapport n'envisage pas la destruction des Musulmans de Srebrenica, mais leur départ. La chambre n'a accordé aucun poids particulier au rapport.
« La mission de séparer les enclaves de Srebrenica et de Zepa a été confiée au corps de la Drina. Suite à cette directive, le général Ratko Mladic a, le 31 mars 1995, communiqué une directive relative à de nouvelles opérations, la directive no 7/1, laquelle précisait la mission du corps de la Drina.» (IT-02-60-T, p. 38-39, par. 106.)
« « l'offensive de l'armée des Serbes de Bosnie se poursuivra jusqu'à ce qu'elle parvienne à ses fins. Devant la quasi-absence de réaction des Nations Unies, elle pourrait même multiplier ses objectifs et elle est désormais en mesure d'envahir l'enclave si elle le souhaite ». Les documents obtenus par la suite de sources serbes semblent corroborer cette évaluation. Il ressort de ces documents que, au départ, les objectifs de l'attaque des Serbes contre Srebrenica étaient limités. Ce n'est qu'après avoir progressé avec une facilité inattendue que les Serbes ont décidé de prendre la totalité de l'enclave. De hauts responsables serbes, civils et militaires, de la zone de Srebrenica ont abondé dans le même sens, ajoutant, lors de discussions avec un haut fonctionnaire de l'Organisation des Nations Unies, qu'ils avaient décidé d'aller jusqu'à Srebrenica lorsqu'ils avaient établi que la FORPRONU n'était ni désireuse ni capable de les arrêter. » (Nations Unies, doc. A/54/549, par. 264.)
Dans le même sens, la chambre, dans l'affaire Blagojevic, indique que:
« Au fur et à mesure que se déroulait l'opération, son objectif militaire était modifié, passant de «réduire l'enclave à la zone urbaine » [l'objectif indiqué par le corps de la Drina dans un ordre du 2 juillet] à la prise de la ville de Srebrenica et de l'enclave tout entière. La chambre de première instance n'a connaissance d'aucune preuve directe concernant le moment exact où l'objectif militaire poursuivi a été modifié. Les preuves démontrent effectivement que le président Karadzic fut « informé [le 9 juillet] du succès des opérations de combat menées aux environs de Srebrenica... qui [allaient] leur permettre d'occuper la ville même de Srebrenica». Selon Miroslav Deronjic, le président du conseil d'administration de la municipalité de Bratunac, le président Karadzic lui aurait dit, le 9 juillet, que deux choix se présentaient concernant l'opération, l'un d'eux étant la prise de la ville de Srebrenica dans son intégralité. Plus tard dans la journée, le président Karadzic «approuva la poursuite des opérations en vue de la prise de Srebrenica». Au matin du 11 juillet, la modification de l'objectif de l'opération «Krivaja 95» était parvenue aux unités sur le terrain et, dans l'après-midi, l'ordre de pénétrer dans Srebrenica avait atteint les brigades IKM [postes de commandement avancé] de Bratunac à Pribicevac ainsi que le colonel Blagojevic. Le 11 juillet, Miroslav Deronjic rendit visite à la brigade IKM de Bratunac à Pribicevac. Il s'entretint brièvement avec le colonel Blagojevic au sujet de l'opération Srebrenica. Selon Miroslav Deronjic, la VRS venait de recevoir l'ordre de pénétrer dans la ville de Srebrenica. » (IT-02-60-T, chambre de première instance, jugement du 17 janvier 2005, p. 47-48, par. 130.)