Le soussigné, désigné comme Arbitre par le Gouvernement de la République Française et le Gouvernement de la République de Pologne en vertu de la Convention entre ces deux Etats concernant le règlement des questions relatives aux biens, droits et intérêts, signée à Paris le 6 février 1922;
Vu les pièces du procès, notamment la Requête déposée par le Gouvernement de la République Française, et les conclusions déposées au nom du Gouvernement de la République de Pologne;
Ouï, à l’audience du 7 septembre 1929, S. E. Monsieur Ch. Alphand, Ministre plénipotentiaire, dans ses plaidories et conclusions pour le Gouvernement Français, Monsieur le Professeur A. de La Pradelle dans ses plaidoiries pour la Compagnie d’Electricité de Varsovie, M. J. Barthélemy, Membre de l’Institut de France, dans ses plaidoiries et conclusions pour le Gouvernement de la République de Pologne;
En Fait:
Attendu que le 6 février 1922 une Convention a été conclue entre le Gouvernement de la République Française et celui de la République de Pologne ayant pour but de régler les questions relatives aux biens, droits et intérêts des ressortissants desdits Etats;
Attendu qu’aux termes de l’art. 16 de cette Convention les contestations relatives à son interprétation seront soumises à un arbitre, désigné à la suite d’un accord entre les Hautes Parties Contractantes;
Attendu que le soussigné a été désigné comme Arbitre en vertu dudit art. 16;
Attendu que, conformément au Règlement de Procédure, arrêté par le soussigné, la Compagnie d’Electricité de Varsovie a adressé le 28 octobre 1927 au soussigné une requête, tendant à ce qu’il soit dit et jugé:
1° que la Compagnie d’Electricité de Varsovie est fondée à réclamer le bénéfice de la Convention franco-polonaise du 6 février 1922 et notamment à invoquer les dispositions visant les changements dans les conditions du commerce ;
2° qu’en vertu tant de l’acte de concession que de ladite Convention franco-polonaise, la Compagnie est en droit de percevoir sur les usagers
de l’électricité des taxes qui soient, dans la monnaie polonaise du moment, la contre-valeur des tarifs exprimés dans la monnaie-or d’avant guerre, lesquels tarifs avaient été fixés de manière à former la contrepartie des obligations imposées au concessionnaire;
3° que la Ville, ayant privé la Compagnie de l’exercice du droit défini au paragraphe 2 ci-dessus, lui doit une indemnité compensatrice du préjudice résultant de l’application de tarifs réduits, indemnité dont le montant sera fixé par l’arbitre, compte tenu de ce que la Compagnie déclare renoncer à demander compensation du préjudice subi de ce chef antérieurement au 1er janvier 1927;
4° quelle doit être la durée de la prolongation de concession à accorder à la Compagnie par application de la Convention franco-polonaise, durée pour laquelle la Compagnie avait, dans sa proposition d’accord amiable en date du 26 octobre 1926, indiqué vingt années;
5° comment, en raison de la privation de jouissance subie par la Compagnie, et de la prolongation de concession visée au n° 4 ci-dessus, doivent être ajustées les dispositions de l’art. 48 du contrat de concession, rédigées dans l’hypothèse d’une concession de trente-cinq années consécutives et fixant les conditions d’exercice par la Ville du droit de racheter l’entreprise;
Attendu qu’une copie de cette Requête ayant été envoyée au Magistrat de la Ville de Varsovie, celui-ci retourna ledit document à la Compagnie d’Electricité de Varsovie, en faisant connaître au Représentant de cette Compagnie que la Commune de Varsovie n’avait pas consenti à ce que les questions, contenues dans la Requête, fussent soumises à un arbitrage quelconque et qu’aucun compromis n’avait été signé à cet effet;
Attendu que le Gouvernement français, saisi par la Compagnie d’Electricité de Varsovie de la Requête adressée par elle au soussigné, ainsi que du renvoi d’une copie de cette pièce par la Ville de Varsovie pour le motif sus-indiqué, a essayé de régler le différend par voie diplomatique;
Attendu qu’à cette fin S. E. M. l’Ambassadeur de France à Varsovie fut chargé d’appeler l’attention du Gouvernement polonais sur l’attitude prise par la Ville de Varsovie dans le présent différend, attitude qui à l’avis du Gouvernement français n’était pas en conformité avec le texte et la portée de la Convention de 1922;
Attendu qu’à la suite de la démarche faite par S. E. M. l’Ambassadeur de France auprès du Gouvernement polonais, ce dernier informa ledit Ambassadeur par note verbale du 31 juillet 1928 qu’il ne pouvait se rallier à l’opinion, exprimée par le Gouvernement français sur l’étendue de la compétence de l’arbitre, désigné en vertu de l’art. 16 de la Convention de 1922, article qui ne saurait entrer en ligne de compte qu’en cas de divergence de vues entre les Gouvernements polonais et français au sujet de l'interprétation d’une disposition quelconque de la Convention;
Attendu que les démarches diplomatiques n’ayant eu aucun résultat, le Gouvernement français, prenant fait et cause pour ladite Compagnie, a adressé au soussigné une requête exposant entre autres:
a) que l’arbitre, désigné par les parties, a la faculté de trancher lui-même les questions touchant à sa compétence;
b) que l’arbitrage, prévu par la Convention franco-polonaise de 1922, n’est pas seulement accessible aux deux Etats mais également aux particuliers;
c) que l’arbitre, désigné en vertu de l’article 16 de ladite Convention a le droit et le devoir de connaître de tous les différends concernant l’interprétation et l’application de cette Convention;
Et concluant
Sur la compétence:
1) A ce que l’arbitre se déclare valablement saisi des questions à lui posées dans la Requête;
2) A ce qu’il soit dit et jugé que les différends soulevés par l’interprétation et l’application de la Convention du 6 février 1922 peuvent être déférés à l’arbitre directement par les parties tant en vertu de l’art. 16 qu’en vertu des autres articles (art. 5 et 11) de ladite Convention;
3) A ce qu’il soit dit et jugé qu’en conséquence la Ville de Varsovie ne saurait plus longtemps se dérober à la discussion devant l’arbitre dans les formes de droit de la Requête, présentée contre elle par la Compagnie d’Electricité de Varsovie, et qu’au cas contraire non seulement il appartiendrait à l’arbitre de statuer suivant la procédure par défaut, mais, pour donner plein effet à la Convention et sanction à la clause compromissoire qu’elle renferme, de se prononcer sur la responsabilité pécuniaire éventuelle du Gouvernement polonais qui a pris fait et cause pour la Ville;
Au fond:
et sous réserve du cas où il paraîtrait préférable à l’arbitre d’attendre que la Ville de Varsovie soit devant lui pour traiter dans l’ensemble toutes questions de fond, à ce qu’il soit dès maintenant dit et jugé entre les deux Gouvernements et par suite entre leurs ressortissants qu’en établissant son budget dans les termes contraires à l’art. 5 de la Convention franco-polonaise, la Ville de Varsovie a contrevenu à la lettre expresse du Traité et qu’en approuvant plus longtemps son attitude le Gouvernement polonais engagerait, suivant les règles du droit des gens, sa propre responsabilité;
Attendu que le Gouvernement de la République de Pologne a adressé au soussigné un Mémoire exposant que ledit Gouvernement n’a jamais entendu constituer un arbitre permanent, désigné à l’avance pour statuer sur toutes les difficultés que viendrait à soulever l’application de ladite Convention; notamment qu’il n’a jamais considéré que l’arbitre, désigné dans les conditions, dans les termes et dans les limites de l’art. 16, ait mission de statuer en vertu des alinéas 4 et 5 de l’art. 5, qui prévoient qu’à défaut d’accord amiable, pour chaque espèce relative à l’application de la Convention, un arbitre spécial sera désigné, ce qui permettra de le choisir à raison de sa compétence technique spéciale, eu égard à la nature de l’affaire;
Et concluant
A ce qu’il soit dit et jugé:
a) que l’arbitre désigné pour statuer sur les contestations relatives à l’interprétation de la Convention du 6 février 1922, dans les termes, limites et conditions de l’art. 16, n’est pas investi de la mission générale et permanente de statuer sur les différends relatifs à l’application de ladite Convention;
b) que la réclamation de la Compagnie d’Electricité de Varsovie ne soulève pas une contestation relative à l’interprétation de la Convention, mais qu’elle tend à l’application de cette Convention;
et à ce qu’en conséquence l’arbitre statuant immédiatement, in limine litis et préalablement au fond, se déclare incompétent;
En Droit :
Attendu qu’il appert du Mémoire présenté par le Gouvernement polonais, que celui-ci ne conteste plus qu’un arbitre choisi par les parties ait
la faculté de statuer lui-même sur les questions relatives à sa compétence, ni que l’arbitrage, prévu par la Convention du 6 février 1922, soit accessible aux particuliers ;
Attendu qu’en conséquence, la seule question qui reste à trancher dans le présent litige entre le Gouvernement français et le Gouvernement polonais est celle de savoir si l’arbitre, visé aux art. 5 et 11 de la Convention susmentionnée, est le même que celui désigné par les Hautes Parties Contractantes, en vertu de l’art. 16 de ladite Convention;
Attendu que le Gouvernement polonais, contestant l’identité de l’arbitre prévu aux trois articles susmentionnés, s’est tout d’abord appuyé sur les négociations relatives à la mise en œuvre de la Convention, ainsi que sur une lettre en date du 22 mai 1925, adressée au soussigné par S. E. le Ministre de Pologne à La Haye, négociations et lettre qui indiqueraient que le soussigné n’a été désigné par les deux Gouvernements que pour juger les questions relatives à l’interprétation de la Convention [art. 16) et que les différends visés aux art. 5 et 11 sont exclus de sa compétence;
Attendu que la nature et l’étendue de la mission conférée au soussigné, sont déterminées par la Convention même, et qu’elles ne sauraient résulter ni d’une correspondance entre l’une des Parties et l’Arbitre, ni des négociations entre les Parties, négociations qui n’ont pas trouvé leur expression dans le texte de la Convention;
Attendu qu’en ce qui concerne ledit texte, le Gouvernement polonais a allégué que, si l’arbitre des articles 5 et 11 de la Convention était le même que celui de l’art. 16, il aurait fallu dire aux articles 5 et 11 : « l’affaire sera soumise à l’arbitre désigné en vertu de l’art. 16 ci-dessous », ou bien qu’au heu de l’art. 16 dans sa présente rédaction on aurait pu stipuler que « toutes les contestations, relatives à la présente Convention, seront soumises à un arbitre général et permanent, désigné par les Hautes Parties Contractantes »;
Attendu que le texte des articles 5 et 11 de la Convention, articles qui ne se réfèrent pas expressément, quant à l’arbitrage, à la disposition de l’article 16, ne suffit pas pour admettre que l’arbitre visé auxdits articles est un autre que celui désigné en vertu de l’article 16;
Attendu que pour répondre à la question soulevée par le Gouvernement polonais, il faut se rendre compte du caractère et de la portée de la Convention du 6 février 1922;
Attendu que ladite Convention a pour but de régler les questions, nées de la guerre et relatives aux biens, droits et intérêts des particuliers;
Attendu qu’une partie de ces questions se rapporte aux mesures exceptionnelles de guerre prises par les autorités allemandes et autrichiennes à l’égard des biens appartenant à des ressortissants français se trouvant sur les territoires allemand ou autrichien, ainsi que sur le territoire russe occupé par les troupes austro-allemandes, territoires qui font actuellement partie de la République de Pologne, ainsi qu’aux mesures prises pendant la guerre par les autorités françaises à l’égard des biens se trouvant sur le territoire français et appartenant à des ressortissants allemands ou autrichiens, devenus plus tard ressortissants polonais;
Attendu qu’une autre partie de la Convention règle les questions relatives aux contrats conclus entre les personnes actuellement soumises à la juridiction polonaise et les personnes soumises à la juridiction française en tant que le commerce entre elles a été interdit par les lois, décrets ou règlements d’un Etat dont l’une des parties était ressortissante durant la guerre;
Attendu qu’enfin l’art. 16, dernier article de la Convention, a établi la juridiction à laquelle seront soumises les contestations relatives à son interprétation ;
Attendu qu’une comparaison de la présente Convention avec la Partie X du Traité de Versailles fait ressortir que la Convention franco-polonaise a en grande partie non seulement adopté les mêmes principes que ceux consacrés par ledit Traité de Paix, mais que sur plusieurs points elle s’est servie d’une terminologie identique à celle employée par ce Traité;
Attendu que, notamment en ce qui concerne les contrats conclus avant l’interdiction du commerce mentionnée ci-dessus, on est frappé par la presque identité entre les textes des dispositions principales y relatives;
Attendu que dès lors la Convention du 6 février 1922 peut être considérée, quant à la présente matière, comme une reproduction partielle de la Partie X du Traité de Versailles, Traité auquel la République Française autant que la République de Pologne sont parties, sauf les modifications nécessitées par le fait que la Convention de 1922 n’a pas le caractère d’un Traité de Paix, conclu entre Etats ex-ennemis;
Attendu que dans ces conditions il faut admettre que la disposition de l’art. 16 de la Convention, établissant une juridiction arbitrale pour les contestations relatives à son interprétation, correspond à l’art. 304 du Traité de Versailles, instituant l’arbitrage pour la solution de litiges se rapportant à l’application de la Partie X dudit Traité;
Attendu qu’il résulte de l’analogie entre ces deux dispositions que la juridiction établie par l’art. 16 de la Convention franco-polonaise s’étend à toutes les contestations relatives à l’application de la Convention et soumises à l’arbitrage, notamment celles concernant les articles 5 et 11 ;
Attendu qu’à cette interprétation de l’art. 16 on ne saurait opposer le fait que les art. 5 et 11 font spécialement mention d’un arbitre à désigner pour régler les différends que l’application de ces articles pourrait faire naître;
Attendu que sur ce point encore, il y a analogie entre la Convention franco-polonaise et le Traité de Versailles, modèle de cette Convention;
Attendu qu’en effet la Partie X dudit Traité de Paix contient dans plusieurs articles, notamment dans l’art. 299 concernant les contrats, des clauses spéciales d’arbitrage, alors que la juridiction arbitrale y prévue est la même que celle établie par la disposition générale de l’art. 304 du Traité;
Attendu que, ni l’art. 5 ni l’art. 11 de la Convention franco-polonaise n’indiquant que l’arbitre y prévu est un autre que celui visé à l’art. 16, rien ne s’oppose à admettre que — conformément à l’art.' 299 précité du Traité de Versailles — les signataires de la Convention du 6 février 1922 ont dans les art. 5 et 11 anticipé sur la disposition générale de l’art. 16 et que, partant, l’arbitre visé auxdits articles 5 et 11 est le même que celui prévu à l’art. 16;
Attendu qu’en troisième lieu le Gouvernement polonais a fait valoir que l’arbitre de l’art. 16 n’a le droit que de statuer sur des différends concernant l’interprétation de la Convention, alors que dans les cas visés aux art. 5 et 11, il s’agirait de l’application de ces articles;
Attendu qu’à l’appui de cette thèse le Gouvernement polonais a exposé que les contestations relatives à l’interprétation de la Convention doivent être soumises à un arbitre-juriste, et que celles qui se rapportent à l’application des art. 5 et 11 (fixation de la prolongation de concessions, attribution d’une indemnité) doivent être tranchées par un arbitre-expert ;
Attendu que le Gouvernement polonais n’a pas contesté et que dans sa Note verbale du 31 juillet 1928 il a même expressément reconnu que l’arbitre de l’article 16 est compétent en ce qui concerne l’interprétation d’une disposition quelconque de la Convention;
Attendu qu’il en suit que, même dans le système du Gouvernement polonais, l’arbitre de l’article 16 a le droit de statuer sur les questions relatives à l’interprétation des articles 5 et 11 ;
Attendu que dès lors des différends se rapportant auxdits articles 5 et 11 devraient d’après la thèse du Gouvernement polonais être tranchés par deux arbitres, savoir l’arbitre-juriste de l’art. 16 ayant compétence pour interpréter les dispositions desdits articles, et l’arbitre-expert, ayant pour tâche de fixer la prolongation d’une concession ou le montant d’une indemnité;
Attendu qu’il est inadmissible que les Hautes Parties Contractantes aient eu l’intention de créer ce dualisme de juridiction, dualisme qui ne manquerait pas de causer des interruptions et des arrêts de la procédure toutes les fois que, soit dans l’instance engagée devant l’arbitre-juriste de l’art. 16 il se présenterait une question technique, soit dans un litige pendant devant l’arbitre-expert prévu aux art. 5 et 11, une question d’interprétation serait soulevée par une des parties;
Attendu que le Gouvernement polonais a encore allégué que statuer sur la durée de la prolongation d’une concession ou sur une indemnité à allouer n’est dans aucune langue statuer sur une contestation relative à l’interprétation d’une Convention ;
Attendu cependant que l’arbitre qui dans les cas d’un différend sur la prolongation d’une concession (art. 5) ou sur l’attribution d’une indemnité (art. 5 et 11) sera appelé à statuer sur ces différends, devra interpréter les dispositions de la Convention y relatives, afin de pouvoir décider si, aux termes de ces dispositions, une prolongation de la concession ou une indemnité pourront être accordées et quelle prolongation ou quelle indemnité devront être considérées comme équitables et correspondant à l’intention des signataires de la Convention;
Attendu qu’en conséquence les contestations prévues aux art. 5 et 11 rentrent bien dans la catégorie de celles visées par l’art. 16 sous l’expression « contestation relative à l’interprétation de la présente Convention »;
Attendu que le Gouvernement polonais a invoqué le caractère exceptionnel de l’arbitrage, en alléguant qu’une assignation devant l’arbitre ne peut avoir lieu qu’en vertu d’un texte clair, formel et précis, texte qui — d’après l’opinion dudit Gouvernement — fait complètement défaut dans l’espèce;
Attendu toutefois qu’en ce qui concerne la matière, régie par la présente Convention, l’art. 16 dont le texte est clair, formel et précis, prescrit l’arbitrage non pas exceptionnellement pour quelques cas spéciaux, mais comme juridiction générale pour toutes les contestations concernant l’interprétation du Traité;
Attendu qu’en outre le Gouvernement polonais a fait valoir que, par opposition aux questions juridiques à trancher par l’arbitre de l’art. 16, les contestations techniques des art. 5 et 11 doivent être soumises à des techniciens, et résolues sur place;
Attendu qu’à cet argument on peut répondre que l’arbitre juridique a la faculté, toutes les fois qu’il se trouvera en face d’une question technique, de consulter des experts, à nommer par les parties ou — à défaut d’un accord
entre celles-ci — à désigner par l’arbitre même, procédure qui est généralement suivie par les Tribunaux de droit commun;
Attendu qu’en dernier lieu le Gouvernement polonais a fait observer que la distinction entre la contestation d’interprétation et la contestation de fait est une règle générale et certaine; qu’il est des cas innombrables où le jugement du fait est séparé du jugement du droit; que, par exemple, il y a en Angleterre un jury pour le fait et un juge pour le droit, distinction qu’on retrouve en France pour la Cour d’Assises;
Attendu cependant que cette distinction entre le jury et le juge diffère essentiellement du système, résultant de la thèse soutenue par le Gouvernement polonais;
Attendu qu’en effet dans les procédures devant un jury anglais ou en Cour d’Assises c’est toujours le juge qui dirige le procès, c’est lui qui formule les questions de fait auxquelles le jury devra répondre, c’est enfin lui et lui seul qui aura à appliquer les règles de droit;
Attendu que dans ces conditions les complications sus-visées, résultant de l’interprétation des art. 5 et 11 par le Gouvernement polonais, ne peuvent se produire dans les procès devant le jury, l’unité dans ces procès étant sauvegardée ;
Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que l’arbitre des art. 5 et 11 de la Convention est le même que celui de l’art. 16, et qu’en conséquence le soussigné est compétent pour connaître de la demande portée devant lui par la Compagnie d’Electricité de Varsovie;
Attendu quant au fond que le Gouvernement français a, sous la réserve indiquée ci-dessus, conclu à ce qu’il soit dès maintenant dit et jugé, entre les deux Gouvernements et par suite entre leurs ressortissants que la Ville de Varsovie, en établissant son budget dans des termes ouvertement contraires à l’art. 5 de la Convention franco-polonaise, a contrevenu à la lettre expresse du Traité et qu’en approuvant plus longtemps son attitude, le Gouvernement polonais engagerait, suivant les règles du droit des gens, sa propre responsabilité;
Attendu que la présente instance bien qu’elle vise le procès, intenté par la Compagnie d’Electricité de Varsovie, à la Ville de Varsovie, est engagée entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Pologne, et que la Ville de Varsovie n’y est pas directement partie ;
Attendu que dans ces conditions aucune décision sur le fond ne peut être donnée dans le présent litige;
Attendu que dans le procès intenté par la Compagnie d’Electricité de Varsovie le délai d’un mois, prescrit par le Règlement de Procédure pour la présentation de la réponse écrite, est depuis longtemps expiré;
Attendu cependant que le soussigné, eu égard aux circonstances exceptionnelles créées par la présente instance, estime qu’il doit user de la faculté, accordée par ledit Règlement, en prolongeant le délai susmentionné;
Par ces motifs
Vu les articles 5, 11 et 16 de la Convention franco-polonaise du 6 février 1922, les articles 297, 299 et 304 du Traité de Versailles;
Dit que l’arbitre visé aux articles 5 et 11 de ladite Convention est le même que celui désigné en vertu de l’article 16;
Dit que les différends nés de la Convention du 6 février 1922 peuvent être déférés à l’arbitre directement par les parties;
En conséquence se déclare compétent pour statuer sur la demande intentée par la Compagnie d’Electricité de Varsovie à la Ville de Varsovie;
Ordonne auxdites parties de continuer le procès;
Fixe à la Ville de Varsovie un délai de deux mois à compter de la date à laquelle la présente sentence lui aura été notifiée soit par le Gouvernement de la République française, soit par la Compagnie d’Electricité de Varsovie, pour présenter sa réponse écrite sur le fond;
Réserve la décision sur les frais jusqu’à ce que la sentence soit rendue dans le procès entre la Compagnie d’Electricité de Varsovie et la Ville de Varsovie.
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