Le soussigné, désigné comme arbitre par le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Pologne en vertu de la Convention entre ces deux Etats concernant le règlement des questions relatives aux biens, droits et intérêts, signée à Paris le 6 février 1922;
Vu les pièces du procès, notamment la requête, déposée par la Compagnie d’Electricité de Varsovie, dénommée ci-après: « la Compagnie » avec les annexes ;
Oui à l’audience du 7 décembre 1935 Monsieur le Professeur A. de La Pradelle dans sa plaidoirie pour la Compagnie;
En Fait :
Attendu que la Compagnie a dans sa requête sus-visée demandé au soussigné de fixer, en application des sentences rendues par lui:
1) une indemnité complémentaire à ajouter à celle de Rbls-or 4,871,006,87 du fait des réductions de tarifs imposées à la Compagnie pendant la période s’étendant du 7 septembre 1932 au 31 décembre 1933;
2) le montant couru au 31 décembre 1934 de l’indemnité due par la Ville de Varsovie, dénommée ci-après « la Ville », à la Compagnie du fait que les tarifs compensatoires prévus par la sentence du 20 juin 1933 n’ont pas été appliqués pendant l’année 1934,
sans préjudice de tous les droits résultant de la sentence arbitrale que la Compagnie peut exercer;
Attendu qu’à l’audience du 7 décembre 1935 la Ville, bien que dûment convoquée, n’a pas comparu;
Attendu qu’à ladite audience la Compagnie a précisé sa créance liquide et exigible contre la Ville, qui se décompose ainsi qu’il suit:
1) Indemnité pour l’application de tarifs insuffisants de 1927 à 1933 inclus:
Principal........................ Rbs-or 4,871,006,87
Intérêts moratoires à 5 % pour 1934........ » » 243,550
2) Indemnité complémentaire pour les abaissements
de tarifs du 7 septembre 1932 au 31 décembre
1933......................... » » 613,761
3) Indemnité pour non-application pendant l’année
1934 des tarifs fixés par la sentence du 20 juin 1933 » » 2,675,000
Total au 31 décembre 1934........... Rbs-or 8,403,317,87
le tout sous réserve de tous autres droits tels qu’ils résultent tant de ladite sentence du 20 juin 1933 que de tous actes postérieurs;
Attendu qu’à l’appui de sa demande la Compagnie a fait valoir:
a) que par la sentence susmentionnée il lui a été accordé une compensation réparatrice se décomposant ainsi:
1° une indemnité de Rbs-or 4,871,006,87 à payer le 1er janvier 1934;
2° une prolongation de concession de 20 années dont 13 années restaient à courir le 1er janvier 1934, avec application d’un tarif relevé jusqu’à nouvel ordre de 35 % ;
b) que, non seulement au 31 décembre 1934 aucune de ces réparations n’avait encore reçu le moindre commencement d’exécution, mais qu’au contraire à l’élévation des tarifs, prévue par ladite sentence pour faire rendre à la prolongation de concession l’effet compensateur par elle cherché, s’est trouvé substitué à deux reprises un abaissement systématique demandé par la Ville et par elle obtenu avec l’appui du Gouvernement polonais par une procédure interne en contradiction avec la procédure internationale;
c) que, maître de sa compétence dans les limites de la Convention de 1922, le juge international doit la maintenir d’autant plus que tout, dans l’espèce, démontre une volonté bien arrêtée de ruiner les effets de cette compétence, cependant contradictoirement discutée entre les deux Gouvernements polonais et français et régulièrement affirmée dans une sentence du 30 novembre 1929, suivie d’acquiescement par le Gouvernement polonais, enjoignant par Décret du 13 décembre 1930 à toutes parties polonaises de se conformer au Règlement de procédure et de se soumettre à la compétence de l’Arbitre en tout ce qui concerne l’interprétation et l’application de la Convention du 6 février 1922;
d) qu’après avoir, en dépit du décret polonais du 13 décembre 1930, contenant cette injonction, manifesté par d’insolites réserves sa volonté de résistance à l’égard de toute sentence favorable à la Compagnie, la Ville n’a cessé de développer sa résistance par le recours à des procédures internes, destinées à faire échec à l’effet régulier de l’instance internationale; mais que, par cet ensemble de procédures, contre lesquelles la Compagnie n’a cessé, devant toutes autorités et par tous moyens de droit, de faire toutes réserves, une série d’atteintes ont été commises à l’encontre de la chose jugée internationale telle qu’elle résulte de la décision intergouvemementale du 30 novembre 1929 et des deux décisions entre parties du 24 novembre 1932 et du 20 juin 1933;
e) qu’il appartient au juge international au regard duquel tout acte interne, loi ou jugement, n’est qu’un simple fait, de constater cette atteinte qui est patente, et d’en corriger les effets pour faire respecter les conséquences de la sentence;
ʃ) que l’absence de la partie défenderesse, la Ville se plaçant sur la base de la procédure interne pour faire échec à la procédure internationale, ne saurait entraver le développement de cette dernière procédure; que, par rapport à l'instance internationale, les décisions internes, dont voudrait exciper la Ville, n’ont aucune valeur; que dès l’origine de l’instance la position de la Ville a été celle d’une résistance ouverte à l’accomplissement du devoir de respect de la compétence de l’arbitre, à elle prescrite en exécution de la décision intergouvemementale du 30 novembre 1929 par le décret gouvernemental du 13 décembre 1930;
En Droit :
Attendu que le 6 février 1922 une convention a été conclue entre le Gouvernement de la République française et celui de la République de Pologne, ayant pour but de régler les questions relatives aux biens, droits et intérêts des ressortissants desdits Etats;
Attendu qu’aux termes de l’article 16 de cette Convention les contestations relatives à son interprétation seront soumises à un arbitre, désigné à la suite d’un accord entre les Hautes Parties Contractantes;
Attendu que le soussigné a été désigné comme arbitre en vertu dudit article 16 ;
Attendu que, conformément au Règlement de Procédure, arrêté par le soussigné, la Compagnie d’Electricité de Varsovie a adressé le 28 octobre 1927 au soussigné une requête, tendant à ce qu’il soit jugé:
1° que la Compagnie est fondée à réclamer le bénéfice de la Convention franco-polonaise du 6 février 1922 et notamment à invoquer les dispositions visant les changements dans les conditions du commerce;
2° qu’en vertu tant de l’acte de concession que de ladite convention franco-polonaise, la Compagnie est en droit de percevoir sur les usagers de l’électricité des taxes qui soient, dans la monnaie polonaise du moment, la contre-valeur des tarifs exprimés dans la monnaie-or d’avant guerre, lesquels tarifs avaient été fixés de manière à former la contrepartie des obligations imposées au concessionnaire ;
3° que la Ville, ayant privé la Compagnie de l’exercice du droit défini au paragraphe 2 ci-dessus, lui doit une indemnité compensatrice du préjudice résultant de l’application de tarifs réduits, indemnité dont le montant sera fixé par l’arbitre compte tenu de ce que la Compagnie déclare renoncer à demander compensation du préjudice subi de ce chef antérieurement au Ier janvier 1927;
4° quelle doit être la durée de la prolongation de concession à accorder à la Compagnie par application de la Convention franco-polonaise, durée pour laquelle la Compagnie avait, dans sa proposition d’accord amiable en date du 26 octobre 1926, indiqué 20 années;
5° comment, en raison de la privation de jouissance subie par la Compagnie, et de la prolongation de concession, visée par le paragraphe 4° ci-dessus, doivent être ajustées les dispositions de l’article 48 du contrat de concession, rédigées dans l’hypothèse d’une concession de 35 années consécutives et fixant les conditions d’exercice par la Ville du droit de racheter l’entreprise;
Attendu qu’une copie de cette requête ayant été envoyée au Magistrat de la Ville de Varsovie, celui-ci retourna ledit document à la Compagnie, en faisant connaître au représentant de cette Compagnie que la Commune de Varsovie n’avait pas consenti à ce que les questions, contenues dans la requête, fussent soumises à un arbitrage quelconque et qu’aucun compromis n’avait été signé à cet effet;
Attendu que le Gouvernement français, saisi par la Compagnie de la requête, adressée par elle au soussigné, ainsi que du renvoi d’une copie de cette pièce par la Ville pour le motif sus-indiqué, a essayé de régler le différend par voie diplomatique;
Attendu que les démarches diplomatiques n’ayant eu aucun résultat, le Gouvernement français, prenant fait et cause pour la Compagnie, a adressé au soussigné une requête, exposant entre autres:
a) que l’arbitre désigné par les parties a la faculté de trancher lui-même les questions touchant à sa compétence;
b) que l’arbitrage, prévu par la Convention franco-polonaise de 1922, n’est pas seulement accessible aux deux Etats, mais également aux particuliers;
c) que l’arbitre, désigné en vertu de l’article 16 de ladite Convention, a le droit et le devoir de connaître de tous les différends concernant l’interprétation et l’application de cette convention;
et concluant,
Sur la compétence:
1) à ce que l’arbitre se déclare valablement saisi des questions à lui posées dans la requête;
2) à ce qu’il soit dit et jugé que les différends soulevés par l’interprétation et l’application de la Convention du 6 février 1922 peuvent être déférés à l’arbitre directement par les parties tant en vertu de l’article 16 qu’en vertu des autres articles (articles 5 et 11) de ladite Convention;
3) à ce qu’il soit dit et jugé qu’en conséquence la Ville ne saurait plus longtemps se dérober à la discussion devant l’arbitre dans les formes de droit de la requête, présentée contre elle par la Compagnie, et qu’au cas contraire non seulement il appartiendrait à l’arbitre de statuer suivant la procédure par défaut, mais, pour donner plein effet à la Convention et sanction à la clause compromissoire qu’elle renferme, de se prononcer sur la responsabilité pécuniaire éventuelle du Gouvernement polonais qui a pris fait et cause pour la Ville;
Au fond :
et sous réserve du cas où il paraîtrait préférable à l’arbitre d’attendre que la Ville soit devant lui pour traiter dans l’ensemble toutes questions de fond, à ce qu’il soit dès maintenant dit et jugé entre les deux Gouvernements et par suite entre leurs ressortissants qu’en établissant son budget dans les termes contraires à l’article 5 de la Convention franco-polonaise, la Ville a contrevenu à la lettre expresse du Traité et qu’en approuvant plus longtemps son attitude le Gouvernement polonais engagerait, suivant les règles du Droit des Gens, sa propre responsabilité;
Attendu que le Gouvernement de la République de Pologne a adressé au soussigné un mémoire exposant que ledit Gouvernement n’a jamais entendu constituer un arbitre permanent, désigné à l’avance pour statuer sur toutes les difficultés que viendrait à soulever l’application de ladite convention; notamment qu’il n’a jamais considéré que l’arbitre, désigné dans les conditions, dans les termes et dans les limites de l’article 16, ait mission de statuer en vertu des alinéas 4 et 5 de l’article 5, qui prévoient que pour chaque espèce relative à l’application de la convention un arbitre spécial sera désigné à défaut d’accord amiable, ce qui permettra de le choisir en raison de sa compétence technique spéciale, eu égard à la nature de l’affaire;
et concluant
à ce qu’il soit dit et jugé:
a) que l’arbitre désigné pour statuer sur les contestations relatives à l’interprétation de la Convention du 6 février 1922 dans les termes, limites et conditions de l’article 16, n’est pas investi de la mission générale et permanente de statuer sur les différends relatifs à l’application de ladite convention;
b) que la réclamation de la Compagnie ne soulève pas une contestation relative à l’interprétation de la Convention, mais qu’elle tend à l’application de cette Convention;
et à ce qu’en conséquence l’arbitre statuant immédiatement, in limine litis et préalablement au fond, se déclare incompétent;
Attendu que le soussigné, par sa sentence rendue dans ladite instance le 30 novembre 1929 s’est déclaré compétent pour statuer sur la demande.
intentée par la Compagnie à la Ville, ordonnant aux parties de continuer le procès;
Attendu qu’à la suite de cette sentence le Gouvernement polonais a le 29 décembre 1930 fait publier le règlement de procédure, arrêté par le soussigné, publication par laquelle ce Gouvernement a reconnu la validité dudit règlement;
Attendu que conformément au dispositif de ladite sentence la Compagnie a poursuivi l’instance engagée devant le soussigné par la requête mentionnée ci-dessus ;
Attendu que dans cette requête la Compagnie a exposé:
qu’elle est bénéficiaire d’une concession octroyée le 11 janvier 1902 par la Municipalité de la Ville de Varsovie, concession modifiée le 21 juin 1909 et dont la durée, fixée à 35 ans, doit normalement expirer le 11 janvier 1937 ;
que par ladite concession la Ville a accordé à la Compagnie le droit de poser des conduites électriques dans le but de distribuer l’énergie électrique pour l’éclairage, la distribution de force et autres buts industriels, dans les rues et sur les places de la Ville faisant partie de la propriété de celle-ci et étant d’usage public;
que pendant la période du 7 août 1915 jusqu’au 11 novembre 1918, c’est-à-dire durant toute l’occupation allemande de Varsovie, l’entreprise de la Compagnie a été saisie et exploitée par les autorités allemandes, et qu’après l’armistice du 11 novembre 1918, l’entreprise a passé aux mains du Gouvernement polonais qui l’a placée et l’a maintenue jusqu’au 13 novembre 1924 sous le régime dit « de l’administration forcée » ;
que depuis la guerre de nombreux et profonds changements dans les conditions du commerce se sont produits, et que la situation monétaire en Pologne a complètement rompu l’équilibre économique du contrat de 1902. la valeur du zloty ayant fléchi dès la fin de juillet 1925, et ladite unité monétaire ayant été stabilisée par ordonnance du Président de la République polonaise du 13 octobre 1927 à une valeur de 0,58139 franc-or;
que par sa lettre du 27 octobre 1926, la Compagnie a signalé à la Ville la situation exposée ci-dessus, et que, s’appuyant sur la Convention franco-polonaise susmentionnée, elle a réclamé le rétablissement de l’équilibre initial du contrat de concession en demandant une prolongation de la concession et un relèvement de tarifs à percevoir sur les usagers de l’électricité, démarche de la Compagnie qui est restée sans résultat;
Attendu qu’en réponse à la requête de la Compagnie, la Ville, en invoquant la législation polonaise en vigueur, a, outre sa défense au fond, présenté plusieurs exceptions et moyens de non-recevabilité;
Attendu que la Ville a en premier lieu prétendu:
a) qu’elle est incapable de compromettre;
b) que la constitution de la République de Pologne contient les règles de l’organisation judiciaire et précise la compétence et le fonctionnement des tribunaux, cette compétence et les règles de procédure devant être déterminées par la loi;
c) que la Constitution polonaise prescrit que toute propriété individuelle des citoyens constitue une des bases les plus importantes de l’ordre juridique, et qu’aucune suppression ni limitation de propriété individuelle n’est admise sauf dans les cas prévus par la loi;
d) que la Convention franco-polonaise du 6 février 1922 n’a donné lieu à aucun changement dans les relations d’ordre privé entre les parties, puisque l’on ne peut s’engager que pour soi et en son nom;
Attendu que par la sentence arbitrale du 24 novembre 1932 lesdits moyens ont été déclarés mal fondés;
Attendu que dans la même instance, la Ville a signalé des irrégularités de procédure, en prétendant:
a) que les pièces du procès lui ont été envoyées directement par la Compagnie, sans avoir été notifiées par l’intermédiaire d’un officier ministériel ;
b) que le règlement de procédure, établi par l’arbitre, n’est pas valable, l’arbitre n’étant pas qualifié pour arrêter un tel règlement;
c) que la procédure entre le Gouvernement français et le Gouvernement polonais a eu pour résultat de restreindre les droits de défense de la Ville, puisque c’est seulement le fond qui doit faire l’objet de sa réponse;
Attendu que par la sentence arbitrale du 24 novembre 1932 ces exceptions ont été rejetées;
Attendu que la Ville a encore proposé trois autres fins de non-recevoir dont aucune n’a pu être retenue;
Attendu que par la sentence du 24 novembre 1932 le soussigné a:
1) jugé que la Compagnie a droit à la prolongation de la concession;
2) ordonné une expertise concernant la durée de cette prolongation ainsi que concernant le règlement des tarifs et la fixation de l’indemnité, réclamée à partir du 1er janvier 1927;
Attendu que le soussigné a nommé comme expert M. Warner Lulofs, Directeur des Travaux d’Electricité de la Municipalité d’Amsterdam;
Attendu que M. l’Expert a dans son rapport daté du 19 juin 1933 émis l’avis :
a) qu’une prolongation de la concession doit être accordée jusqu’au 31 décembre 1956;
b) qu’il faut augmenter de 35% le tarif de la concession;
c) que l’indemnité due par la Ville à la Compagnie au 31 décembre 1933 doit être fixée à Rbs-or 4,871,006,87;
Attendu que par sentence du soussigné du 20 juin 1933 il a été dit et jugé:
a) que la concession est prolongée jusqu’au 31 décembre 1956:
b) qu’à partir du 1er janvier 1934, les tarifs fixés par ladite concession doivent être augmentés de 35%;
c) que la Ville doit payer à la Compagnie une indemnité en francs suisses équivalente au jour du paiement à la valeur de Rbs-or 4,871,006,87 avec les intérêts composés à 5 % à compter du 31 décembre 1933 pour le cas où à cette date ledit montant n’aurait pas été intégralement payé;
Attendu que dans la présente instance la Compagnie a exposé, ce qui n’a pas été contesté par la Ville:
1) que jusqu’à présent les dispositions de la sentence arbitrale du 20 juin 1933 n’ont pas reçu d’exécution de la part de la Ville;
2) qu’à peine terminés les débats devant le soussigné, la Ville a entamé une procédure interne de réduction des tarifs;
3) qu’à cette fin elle s’est adressée le 22 mars 1932 au Ministre des Travaux publics en demandant l’autorisation de provoquer la formation d’une Commission d’Arbitres, prévue par la loi polonaise du 15 juillet 1920 concernant la modification des prix de fourniture de l’énergie électrique;
4) que nonobstant les protestations de la Compagnie qui invoqua notamment la litispendance devant l’arbitre, désigné en vertu de la Convention franco-polonaise de 1922, le Ministre polonais du Commerce et de l’Industrie se déclara fondé à nommer ladite Commission d’Arbitres, et désigna le 23 août 1932 les membres de cette Commission;
5) que par décision du 21 octobre 1932 la Commission réduisit de 24,35% les tarifs en vigueur, et qu’à partir du 15 avril 1933 une nouvelle réduction de 9,95% fut imposée à la Compagnie;
6) que la Compagnie eut recours devant le Tribunal Administratif Suprême de la Pologne en lui demandant d’annuler les décisions susmentionnées du Ministre du Commerce et de l’Industrie afin de faire tomber la procédure entamée par la Ville et, par là même, les décisions de la Commission d’Arbitres;
7) que ledit recours a été rejeté par le Tribunal Administratif Suprême par un arrêt définitif;
8) que la Compagnie a été obligée, malgré des protestations réitérées, fondées notamment sur le droit international et le respect dû aux sentences arbitrales, d’appliquer dès le mois de janvier 1933 les tarifs réduits par la décision de la Commission d’Arbitres du 21 octobre 1932;
Attendu que la Compagnie a fait valoir que la discordance entre les tarifs dont l’application était prévue dans la sentence arbitrale du 20 juin 1933 et les taxes que la Compagnie a été contrainte de percevoir réellement, justifie sa demande complémentaire d’indemnités;
Attendu que la Convention franco-polonaise du 6 février 1922 constitue
— ainsi qu’il a été constaté dans la sentence arbitrale du 24 novembre 1932
— un traité conclu entre deux Puissances dans le but de régler les questions relatives aux biens, droits et intérêts de leurs ressortissants;
Attendu que d’après la même sentence la Convention fait, par sa ratification, partie de la législation française ainsi que de la législation polonaise;
Attendu que les articles 5 et 11 de la Convention règlent la matière des concessions accordées à des ressortissants français avant le 1er août 1914 sur le territoire qui actuellement constitue la Pologne;
Attendu qu’il a été jugé par la sentence du 24 novembre 1932, citée ci-dessus, que la concession litigieuse n’a pas seulement le caractère d’un acte de droit public, mais qu’elle contient nombre de dispositions qui rentrent dans le domaine du droit privé, de sorte que rien ne s’oppose à y appliquer les dispositions de l’article 11 de la Convention traitant de cette dernière catégorie de contrats;
Attendu qu’aux termes du n° 2 e des Dispositions Générales de l’Annexe à l’article 11 de la Convention, la concession litigieuse étant un contrat passé entre une société (la Compagnie) et une municipalité (la Ville) a été exceptée de l’annulation prévue audit article 11 ;
Attendu que l’alinéa 2 de l’article 11 accorde une indemnité à celle des parties pour laquelle l’exécution du contrat maintenu entraîne, par suite du changement dans les conditions du commerce, un préjudice considérable;
Attendu que d’après l’article 11 l’indemnité doit être attribuée par l’arbitre international;
Attendu que cette indemnité peut, entre autres, consister en un relèvement des tarifs fixés par la concession, pris comme la réalisation la plus simple d’une compensation pécuniaire qui sans ce relèvement serait directement exigible;
Attendu qu’il en résulte que la Convention franco-polonaise de 1922 établissant l’arbitrage international en ce qui concerne les concessions octroyées aux ressortissants français, a dérogé sur ce point à la loi polonaise du 15 juillet 1920 instituant des commissions d’arbitres nationaux pour statuer sur les demandes d’augmentation des prix de vente en vigueur;
Attendu qu’un traité régulièrement conclu est source du droit objectif dans les Etats contractants, ayant force obligatoire tant dans chacun desdits
Etats que sur le terrain international, même dans les cas où les règles dudit traité seraient en contradiction avec des lois nationales antérieures ou postérieures à sa conclusion;
Attendu qu’en conséquence la Commission d’Arbitres Nationaux désignée en 1932 par le Ministre du Commerce et de l’Industrie polonais, ne fut pas compétente pour connaître de la demande de la Ville, de sorte que la procédure engagée par la Ville devant cette Commission, ainsi que la décision de la Commission, ordonnant une réduction des tarifs de la Compagnie, et le jugement du Tribunal Administratif Suprême doivent être considérés comme nuls et non avenus ;
Attendu que dans ces conditions la Ville en forçant la Compagnie à percevoir les prix de l’énergie électrique selon des tarifs réduits a agi contrairement aux dispositions de la Convention franco-polonaise de 1922, notamment à celles de l’article 11 de ladite Convention;
Attendu que la durée de la prolongation de la concession ainsi que l’indemnite due à la Compagnie au 31 décembre 1933, visées au dispositif de la sentence arbitrale du 20 juin 1933, ont été fixées compte tenu du rapport d’expertise émis par l’Expert nommé ci-dessus;
Attendu que la fixation de la prolongation de la concession et le calcul de l’indemnité contenus dans ledit rapport ont été basés sur l’hypothèse où les tarifs établis par la concession ne subiraient pas de changement jusqu’au 1er janvier 1934;
Attendu que cette hypothèse n’est pas conforme à la réalité, puisque la Ville, ainsi qu’il a été relaté ci-dessus, a imposé à la Compagnie des réductions de prix au-dessous des tarifs de la concession;
Attendu que la Compagnie a sur la base du rapport d’expertise calculé comme suit l’indemnité complémentaire due en raison de la réduction illégale des tarifs:
Pour l’année 1932, le compte de profits et de pertes de la Compagnie indique un bénéfice de Zl. 2,978,923.66, comprenant une somme de ZI. 837,234,60 qui représente les coupons et les primes de remboursement du cautionnement.
En conséquence le bénéfice d’exploitation pendant ladite année s’élève à Zl. 2,978,923,66 — Zl. 837,243,60 soit Zl. 2,141,680,06, ou, valorisés en Rbs-or, d’après la méthode suivie dans le rapport d’expertise, à Rbs-or 458,505.
Pour l'année 1933, le compte de profits et de pertes de la Compagnie indique une perte de Zl. 55,232,22, qui doit être augmentée de Zl. 751,409,85, représentant les coupons et primes susvisés, encaissés en 1933.
La perte d’exploitation, subie en 1933 à la suite de la réduction des tarifs, s’élève ainsi à Zl. 55,232,22 + Zl. 751,409,85 = Zlotys 806,642,07 soit valorisés en Rbs-or d’après la méthode suivie par le rapport d’expertise, à Rbs-or 172,191.
Le rapport d’expertise a prévu:
pour l’année 1932 un bénéfice de Rbs-or............ 450,000
Le bénéfice réel a été de...................... 458,505
Différence................... 8,505, ou,
augmenté des intérêts à 5% Rbs-or 8,930.
Le même rapport a prévu pour l’année 1933 un bénéfice de........................ Rbs-or 450,000
L’exploitation de l’année 1933 a laissé une perte de 172,691
Différence............... Rbs-or 622,691
La différence entre les chiffres adoptés par le rapport d’expertise pour les années 1932 et 1933 s’élève en conséquence à Rbs-or 622,691 —Rbs-or 8,505 soit Rbs-or 613,761.
Cette somme de Rbs-or 613,761 constitue une indemnité complémentaire à ajouter au montant de Rbs-or 4,871,006,87, accordé par la sentence du 20 juin 1933 pour l’application de tarifs insuffisants de 1927 à 1933 inclus.
Attendu que le soussigné, après examen des pièces fournies par la Compagnie, entre autres des copies de comptes de profits et de pertes pour les années 1932 et 1933, certifiées conformes par deux administrateurs, et compte tenu de ses explications orales, estime que la demande d’une indemnité complémentaire de Rbs-or 613,761 pour la période 1932-1933 est pleinement fondée ;
Attendu que la Compagnie a en outre fait valoir que la Ville a refusé d’appliquer l’augmentation des tarifs que la sentence arbitrale du 20 juin 1933 a ordonnée pour la période commençant le 1er janvier 1934;
Attendu que les tarifs, fixés par la sentence du 20 juin 1933, n’ayant pas été appliqués au 1er janvier 1934, la Compagnie a été privée, pour l’exercice 1934, de l’indemnité compensatrice qu’elle aurait trouvée dans la jouissance de sa concession aux conditions prévues dans ladite sentence;
Attendu qu’en conséquence la Compagnie est en droit de réclamer à la Ville l’indemnité pécuniaire correspondante, indemnité déterminée suivant les principes posés par la sentence du 20 juin 1933;
Attendu que la Compagnie a demandé de ce chef une indemnité de Rbs-or 2,675,000 composée:
a) Rbs-or 2,500,000, représentant le bénéfice que d’après le rapport d’expertise la Compagnie aurait pu faire pendant l’année 1934, si la Ville ne s'était pas opposée à l’augmentation des tarifs ordonnée par la sentence du 20 juin 1933, et
b) Rbs-or 175,000 représentant la perte causée par la réduction des tarifs imposée par la Ville également durant l’année 1934;
Attendu que la dernière somme a dû être évaluée par comparaison avec l’exercice précédent, puisque la Compagnie n’a pu établir les résultats définitifs de son entreprise de Varsovie en 1934 par suite de la mise sous séquestre de son exploitation survenue le 20 décembre 1934;
Attendu en ce qui concerne la somme de Rbs-or 2,500,000 que le rapport d’expertise a, par des motifs que le soussigné fait siens, admis la possibilité pour la Compagnie de faire sous l’empire de la sentence arbitrale (donc par application des tarifs augmentés) un bénéfice annuel de Rbs-or 2,500,000;
Attendu que dans ces conditions la demande de cette somme comme perte de bénéfice pour l’année 1934 est entièrement justifiée ;
Attendu quant au montant de Rbs-or 175,000 que le soussigné, tenant compte des éléments fournis par le rapport d’expertise ainsi que de la deuxième réduction des tarifs en avril 1933, estime que la somme de Rbs-or 175,000, réclamée pour perte probable de l’exploitation durant l’année 1934 n’est aucunement exagérée;
Attendu que la Ville n’ayant pas payé l’indemnité de Rbs-or 4,871,006,87 due en vertu de la sentence arbitrale du 20 juin 1933, il y a lieu d’allouer la demande en paiement d’intérêts à 5% pour l’année 1934 soit Rbs-or 243,550;
Attendu qu’en conséquence la Ville doit à la Compagnie — outre les sommes contenues dans le dispositif de la sentence arbitrale du 20 juin 1933 — les montants de Rbs-or 243,550 + Rbs-or613,761 + Rbs-or2,675,000, soit au total Rbs-or 3,532,311.
FRANCE/POLOGNE (cie D’ÉLECTRICITÉ DE VARSOVIE) 1699
Par ces motifs,
Vu les articles 5, 11 et 16 de la Convention franco-polonaise du 6 février 1912,
Ordonne à la Ville de Varsovie de payer à la Compagnie d’Electricité de Varsovie outre les montants figurant au dispositif de la sentence arbitrale du 20 juin 1933, une somme en francs suisses équivalant au jour du paiement à la valeur de roubles-or 3,532,311 avec les intérêts composés à 5% l’an à partir du 1er janvier 1935 jusqu’au jour du paiement;
Met les frais du procès à la charge de la Ville de Varsovie.
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