Pour El Salvador: S. Exc. M™ Maria Eugenia Brizuela de Âvila,
M. Maurice Mendelson,
M. Antonio Remiro Brotôns,
M. Gabriel Mauricio Gutiérrez Castro.
Pour le Honduras: S. Exc. M. Carlos López Contreras,
M. Pierre-Marie Dupuy.
M. Richard Meese,
M. Carlos Jiménez Piernas,
M. Luis ignacio Sanchez Rodriguez,
M, Philippe Sands.
«Pour tous les motifs ci-dessus, la République d’El Salvador prie la Cour:
a) de constituer une chambre appelée à connaître de la demande en révision de l’arrêt en tenant compte des dispositions arrêtées d’un commun accord par El Salvador et le Honduras dans le compromis du 24 mai 1986;
b) de déclarer recevable la demande de la République d'El Salvador au motif qu’il existe des faits nouveaux ayant les caractères qui, aux termes de l’article 61 du Statut de la Cour, donnent ouverture à la révision de l’arrêt ; et
c) de procéder, une fois la demande déclarée recevable, à la révision de l’arrêt du 11 septembre 1992 aux fins de déterminer dans un nouvel arrêt la ligne frontière dans le sixième secteur en litige de la frontière terrestre entre El Salvador et le Honduras dont le tracé sera le suivant :
«A partir de Pancienné embouchure de la rivière Goascorán dans le bras de mer connu sous le nom d’Estero La Cutù, dont les coordonnées sont 13° 22'00" de latitude nord et 87° 41/25" de longitude ouest, la frontière suit l’ancien cours de la rivière Goascorán sur une distance de 17 300 mètres jusqu’au lieu-dit Rompiciôn de los Amates, dont les coordonnées sont 13° 26' 29" de latitude nord et 87° 43'25" de longitude ouest, et qui est l’endroit ou la rivière Goascorán a changé de cours. ». »
Au nom du Gouvernement de la République d’El Salvador,
« La République d’El Salvador prie respectueusement la Chambre, rejetant toutes revendications et conclusions contraires :
1. de dire et juger que la demande de la République d’El Salvador est recevable au motif qu'il existe des faits nouveaux qui, par leur nature, donnent ouverture à la révision de l’arrêt aux termes de l’article 61 du Statut delà Cour ; et
2. de procéder, une fois la demande déclarée recevable, à la révision de l’arrêt du 11 septembre 1992 aux fins de déterminer dans un nouvel arrêt la ligne frontière dans le sixième secteur en litige de la frontière terrestre entre El Salvador et le Honduras dont le tracé sera le suivant :
«A partir de l’ancienne embouchure de la rivière Goascorán à l’entrée du bras connu sous le nom d’Estero La Cutù, dont les coordonnées sont 13° 22'00" de latitude nord et 87° 4L 25" de longitude ouest, la frontière suit l’ancien lit de la rivière Goascorán sur une distance de 17 300 mètres en amont jusqu’au lieu-dit Rompiciôn de Los Amates, dont les coordonnées sont 13° 26'29" de latitude nord et 87°43'25" de longitude ouest, et qui est l’endroit où la rivière Goascorán a changé de cours. ». »
Au nom du Gouvernement de la République du Honduras,
« Au vu des faits et arguments exposés ci-dessus, le Gouvernement de la République du Honduras prie la Chambre de déclarer irrecevable la demande en révision présentée le 10 septembre 2002 par El Salvador.»
« 1. La révision de l’arrêt ne peut être éventuellement demandée à la Cour qu’en raison de la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision, sans qu’il y ait, de sa part, faute à l’ignorer.
2. La procédure de révision s’ouvre par un arrêt de la Cour constatant expressément l’existence du fait nouveau, lui reconnaissant les caractères qui donnent ouverture à la révision, et déclarant de ce chef la demande recevable.
3. La Cour peut subordonner l’ouverture de la procédure en révision à l’exécution préalable de l’arrêt.
4. La demande en révision devra être formée au plus tard dans le délai de six mois après la découverte du fait nouveau.
5. Aucune demande de révision ne pourra être formée après l’expiration d’un délai de dix ans à dater de l’arrêt.»
Le Statut et le Règlement de la Cour organisent ainsi une «procédure en deux temps». Dans un premier temps, la procédure relative à la demande en révision d’un arrêt de la Cour doit être «limité[e] à la question de sa recevabilité» (Demande en révision et en interprétation de l'arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/ Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 197, par. 8 et 10; Demande en révision, de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à /'Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 11, par. 15).
a) la demande doit être fondée sur la «découverte» d’un «fait»;
b) le fait dont la découverte est invoquée doit être « de nature à exercer une influence décisive » ;
c) ce fait doit, avant le prononcé de l’arrêt, avoir été inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision ;
d) il ne doit pas y avoir eu «faute» à ignorer le fait en question; et
e) la demande en révision doit avoir été «formée au plus tard dans le délai de six mois après la découverte du fait nouveau» et avant l’expiration d’un délai de dix ans à dater de l’arrêt.
« [l]e Honduras a reconnu implicitement la recevabilité de la requête d’El Salvador lorsque, par lettre datée du 29 octobre 2002, il a fait connaître au président de la Cour sa volonté de demander à celle-ci, conformément au paragraphe 3 de l’article 61 du Statut, de subordonner la recevabilité de la demande en révision à l’exécution préalable de l’arrêt de 1992».
Selon El Salvador, «le pas en arrière effectué par le Honduras dans sa lettre du 24 juillet 2003», par laquelle il décidait de ne pas demander l’exécution préalable de l’arrêt, «ne diminue en rien, voire confirme la reconnaissance de la recevabilité » de la requête. La Chambre est par suite invitée à « dire et juger eu conséquence ».
En outre, le paragraphe 3 de l’article 61 du Statut et le paragraphe 5 de l’article 99 du Règlement donnent à la Cour la possibilité de subordonner à tout moment l’ouverture de la procédure en révision à l’exécution préalable de l’arrêt dont la révision est sollicitée; dès lors et même si le Honduras avait présenté à la Cour une demande d’exécution préalable sans attendre la décision de la Chambre sur la recevabilité de la requête d’El Salvador, cette demande n’aurait nullement impliqué la reconnaissance de la recevabilité de ladite requête.
Enfin, la Chambre observera qu’en tout état de cause, et quelle que puisse être l’attitude des parties en ce qui concerne la recevabilité d’une demande en révision, il appartient à la Cour, dès lors qu’elle est saisie d’une telle demande, de vérifier si les conditions de recevabilité fixées par l’article 61 du Statut sont remplies. La voie de la révision ne saurait être ouverte du seul consentement des parties; elle l’est uniquement lorsque les conditions de l’article 61 sont réunies.
El Salvador reconnaissait, devant la Chambre saisie de l’affaire originelle, que la rivière Goascorán avait été adoptée comme limite provinciale à l’époque de la colonisation espagnole. Il exposait cependant que,
«à partir d’un certain moment, [le Goascorán] a[vait] brusquement changé de cours pour couler à l’endroit où se situe son cours actuel. A partir de là, l’argument de droit d’El Salvador [était] que, lorsqu’une frontière est constituée par le cours d’une rivière et que le cours de celle-ci quitte soudainement l’ancien lit pour un autre, ce phénomène d’« avulsion » ne modifie pas le tracé de la frontière, qui continue de suivre l’ancien cours. » (Par. 308).
Telle aurait été la règle tant en droit colonial espagnol qu’en droit international. Ainsi, selon El Salvador, la frontière entre les deux Etats devait être fixée non sur le cours actuel de la rivière débouchant dans la baie de La Union, mais sur l’« ancien cours, abandonné ensuite par la rivière», probablement au cours du XVIIe siècle, et débouchant dans l’Estero La Cutú (par. 306 et 311).
La Chambre a poursuivi en jugeant «qu’il faut rejeter toute affirmation d’El Salvador selon laquelle la frontière suit un ancien cours que la rivière aurait quitté à un moment quelconque avant 1821. Il s’agit là d’une prétention nouvelle et incompatible avec l’historique du différend.» (Par. 312.) Dans cette perspective, la Chambre a notamment relevé qu’à plusieurs reprises, en particulier lors des négociations de Saco entre les deux Etats en 1880, El Salvador avait adopté un comportement excluant toute «revendication... selon laquelle la frontière de 1821 n’était pas le cours suivi en 1821 par la rivière, mais un cours plus ancien, conservé comme limite provinciale par une disposition du droit colonial » (par, 312).
La Chambre a ensuite examiné « les éléments de preuve qui lui [avaient] été soumis au sujet du cours suivi par le Goascorán en 1821» (par. 313). Elle a notamment étudié une «carte marine (qualifiée de «Carta Esférica») du golfe de Fonseca, établie par le commandant et les navigateurs du brick ou brigantin El Activo, qui en 1794, sur instructions du vice-roi du Mexique, a[vait] entrepris l’étude hydrographique du golfe» (par. 314). Elle a noté que sur cette carte l’embouchure du Goascorán était «tout à fait incompatible avec l’ancien cours de la rivière dont parle El Salvador, et à vrai dire avec tout autre cours que le cours actuel» (par. 314). La Chambre a conclu que, «au vu du compte rendu de l’expédition de 1794 et de la «Carta Esférica», on ne [pouvait] guère douter qu’en 1821 le Goascorán coulait déjà là où se trouve son cours actuel» (par. 316).
Enfin, après avoir examiné divers autres arguments d’El Salvador qu’il n’y a pas lieu de rapporter ici, «la Chambre a conclu que la frontière suit le cours actuel du Goascorán» (par. 319) et a précisé le tracé de celle-ci dans l'embouchure du fleuve (par. 320-322).
A l’appui de cette allégation, El Salvador soumet à la Chambre un rapport en date du 5 août 2002 intitulé Géologic, Hydrologie and Historié Aspects of the Goascorán Delta — A Basis for Boundary Détermination, Il produit également une étude qu’il a entreprise en 2002 « afin de retrouver des vestiges du lit initial de la rivière Goascorán et recueillir des renseignements supplémentaires sur le comportement hydrographique de la rivière ». Il se réfère enfin à divers ouvrages, et tout particulièrement à la Geografia de Honduras d’Ulises Meza Câlix, publiée en 1916, et à la Monografîa del Depariamento de Valle, rédigée sous la direction de Bernardo Galindo y Galindo et publiée en 1934.
El Salvador soutient en outre que les éléments de preuve qu’il avance aujourd’hui permettent d’établir l’existence d’un ancien lit du Goascorán débouchant dans l’Estero La Cutú, ainsi que l’avulsion de la rivière au milieu du XVIIIe siècle, ou à tout le moins de regarder une telle avulsion comme plausible. Il s’agirait là encore de «faits nouveaux» au sens de l’article 61.
Il expose notamment que les études scientifiques et techniques qu’il produit n’avaient pu être réalisées auparavant, compte tenu tant de l’état des sciences et des techniques en 1992 que de la situation politique prévalant à l’époque dans le sixième secteur de la frontière, et de manière plus générale au Salvador et dans la région. Quant aux publications mentionnées ci-dessus (voir paragraphe 26), El Salvador avance qu’il n’a pu avoir « accès aux documents qui se trouvent dans les archives nationales du Honduras et, malgré tous les efforts qu’[il] a déployés à cette fin, [il] n’a pas pu les trouver dans les archives d’autres Etats auxquelles [il] a eu accès ».
Le Honduras ajoute qu’El Salvador n’a pas démontré l’existence d’un fait nouveau qu’il aurait découvert depuis 1992 «attestant que la rivière Goascorán aurait auparavant suivi un lit ancien débouchant dans l’Estero La Cutú ou qu’un processus d’« avulsion» aurait eu lieu, ou qu’il se serait produit à telle ou telle date». En réalité, El Salvador solliciterait «une interprétation nouvelle de faits connus antérieurement» et inviterait la Chambre à opérer une «véritable ré formation» de l’arrêt de 1992.
Cette frontière devait, selon la Chambre, être déterminée « par application du principe généralement accepté en Amérique espagnole de l'uti possidetis juris, en vertu duquel les frontières devaient correspondre aux limites administratives coloniales» (par. 28). La Chambre n’en a pas moins relevé que «la situation résultant de l’uti possidetis juris [pouvait] être modifiée par une décision d’un juge et par un traité». Elle en a déduit que «la question se pos[ait] alors de savoir si elle [pouvait] être modifiée d’autres manières, par exemple par un acquiescement ou une reconnaissance». Elle a conclu que
«[i]l n’y a semble-t-il aucune raison, en principe, pour que ces facteurs n’entrent pas en jeu, lorsqu’il y a assez de preuves pour établir que les parties ont en fait clairement accepté une variante, ou tout au moins une interprétation, de la situation résultant de l’uti possidetis juris» (par. 67).
Appliquant ces principes au premier secteur de la frontière terrestre, la Chambre a estimé que dans ce secteur «[l]a situation était susceptible d’être modifiée par acquiescement au cours de la longue période qui s’[était] écoulée» depuis le début du XIXe siècle. Elle a ajouté que, quelles qu’aient pu être les limites administratives coloniales, «la conduite du Honduras, de 1881 à 1972, [pouvait] être considérée comme équivalant à un acquiescement» à une partie de la frontière revendiquée dans ce secteur par El Salvador (par. 80).
«qu’au cours de la période coloniale une rivière appelée Goascorán constituait la limite entre deux divisions administratives de la capitainerie générale du Guatemala : la province de San Miguel et l’Alcaldia Mayor de Minas de Tegucigalpa» (par. 307).
Les Parties s’accordaient pour dire qu’en 1821 El Salvador avait succédé au territoire de la province de San Miguel. En revanche, elles s’opposaient sur la question de savoir si l’Alcaldia Mayor de Tegucigalpa était passée ou non an Honduras. La Chambre a sur ce point tranché en faveur de ce dernier (ibid.).
La Chambre a ensuite procédé à l’examen de « [l]a prétention d’El Salvador selon laquelle la frontière de l’uti possidetis juris [était] constituée par un lit antérieur du Goascorán». A cet égard, elle a relevé ce qui suit:
«[cette prétention] est subordonnée, du point de vue des faits, à l’affirmation suivante: anciennement, le Goascorán coulait à cet endroit et, à partir d’un certain moment, il a brusquement changé de cours pour couler à l’endroit où se situe son cours actuel. A partir de là, l'argument de droit d’El Salvador est que, lorsqu’une frontière est constituée par le cours d’une rivière et que le cours de celle-ci quitte soudainement l’ancien lit pour un autre, ce phénomène d’«avulsion» ne modifie pas le tracé de la frontière, qui continue de suivre l’ancien cours.» (Par. 308.)
La Chambre a ajouté qu’elle
«n’a[vait] pas été informée de l’existence de documents établissant un changement aussi brusque du cours de la rivière, mais [que] s’il était démontré à la Chambre que le cours du fleuve était auparavant aussi radicalement différent de ce qu’il [était] actuellement, on pourrait alors raisonnablement en déduire qu’il y a eu avulsion» (ibid.).
Poursuivant l’examen de l'argumentation d’El Salvador, la Chambre a cependant noté que
«[i]l n’exist[ait] aucun élément scientifique prouvant que le cours antérieur du Goascorán était tel qu’il débouchait dans l’Estero La Cutù... et non dans l’un quelconque des autres bras de mer avoisinants de la côte, par exemple l’Estero El Coyol» (par. 309).
Passant à l’examen en droit de la thèse d’El Salvador sur l’avulsion du Goascorán, la Chambre a relevé qu’El Salvador «laissait] entendre qu’en fait le changement s’[était] produit au XVIIe siècle» (par. 311). Elle a conclu que, « [d]ans ces conditions, ce que le droit international peut avoir à dire au sujet de la question du déplacement des cours d’eau qui constituent des frontières n’a plus d’intérêt: le problème se pose principalement du point de vue du droit colonial espagnol» (par. 311).
Au terme de cet examen de l'argumentation d’El Salvador sur l’avulsion du Goascorán, la Chambre n’a pris parti ni sur l’existence d’un cours antérieur du Goascorán pouvant déboucher dans l’Estero La Cutú, ni sur l’avulsion éventuelle de cette rivière, ni à fortiori sur la date d’une telle avulsion ou ses conséquences juridiques. Elle s’est bornée à tracer le cadre dans lequel elle aurait pu éventuellement prendre parti sur ces divers points.
Puis la Chambre a relevé que «(l]'affirmation précise selon laquelle la frontière devait suivre un cours abandonné par le Goascorán a été faite pour la première fois au cours des négociations d’Antigua en 1972» (par. 312). Elle a également cité un extrait du procès-verbal des négociations qui avaient eu lieu entre les deux Etats à Saco en 1880, selon lequel les deux délégués avaient convenu «de reconnaître» la rivière Goascorán «comme étant la frontière entre les deux Républiques, à partir de son embouchure, dans le golfe de Fonseca, baie de la Union, en amont, en direction nord-est...» (ibid.). La Chambre a observé qu’interpréter dans le texte «les mots «rivière Goascorán» comme désignant une limite coloniale espagnole qui, en 1821, suivait un cours de la rivière abandonné depuis longtemps par celle-ci serait hors de question» (ibid.). Elle a ajouté que des considérations analogues étaient applicables aux conditions dans lesquelles avaient eu lieu en 1884 d’autres négociations (par. 317).
Ayant abouti sur ces bases à la conclusion que la frontière en 1821 suivait le cours du Goascorán à cette date, la Chambre est passée à l’examen des éléments de preuve qui lui avaient été soumis au sujet de ce cours (par. 313 et suiv.), éléments qui seront examinés ultérieurement (voir paragraphe 50 ci-après).
En définitive, il importe peu qu’il y ait eu ou non avulsion du Goascorân. Même si cette avulsion était aujourd’hui prouvée et même si l’on devait en tirer les conséquences de droit qu’en tire El Salvador, de telles constatations ne permettraient pas de remettre en cause la décision prise par la Chambre en 1992 sur une tout autre base. Les faits avancés à cet égard par El Salvador sont sans «influence décisive» sur l’arrêt dont il sollicite la révision. Au vu de l’arrêt de 1992, la Chambre ne peut que le constater, indépendamment des positions prises sur ce point par les Parties au cours de la présente procédure.
El Salvador expose qu’en 1992 la Chambre ne disposait que des copies de ces documents provenant de Madrid et produites par le Honduras. C’est sur la base de ces copies que la Chambre aurait décidé du «point dans lequel le Goascorán débouchait dans le golfe» et du tracé de la frontière.
Or, selon El Salvador, les documents découverts à Chicago diffèrent sur plusieurs points importants de ceux de Madrid. Il soutient que:
«[l]’existence de plusieurs versions de la «Carta Esférica» et du compte rendu de l’expédition d’El Activo dans le golfe de Fonseca, les différences entre ces versions ainsi que les anachronismes qui leur sont communs portent atteinte à la valeur probante que la Chambre a accordée aux documents produits par le Honduras et qui joue un rôle central dans l’arrêt [de 1992]».
Cette valeur serait en outre d’autant plus problématique que les documents de Madrid n’ont bénéficié d’aucune reconnaissance officielle et que leur caractère d’originaux n’est nullement attesté. El Salvador soutient qu’il existe dès lors «un second fait nouveau dont il faudra examiner les incidences sur l’arrêt, une fois la demande en révision déclarée recevable».
El Salvador souligne qu’en l’occurrence ce fait préexistait à l’arrêt de 1992 mais n’était pas «connu au moment du prononcé de l’arrêt». Ce serait donc bien un «fait nouveau» au sens de l’article 61. Il serait décisif car cette découverte mettrait en évidence «l’inconsistance des documents du Musée naval de Madrid» dont la Chambre a tiré des «conséquences» géographiques «si importantes».
«paraissait] correspondre de très près à la topographie indiquée sur les cartes modernes. Elle place l’«Estero Cutú» au même endroit que les cartes modernes, et elle indique l’embouchure d’une rivière marquée «Ro Goascorán», à l’endroit où, de nos jours, la rivière Goascorán se jette dans le golfe. Etant donné que la carte marine est une carte du golfe, sans doute établie aux fins de la navigation, elle n’indique aucun repère situé à l’intérieur des terres, si ce n’est les «... volcans et pics les plus connus...» («... volcanes y cerros mas conocidos...»), visibles pour les marins; en conséquence, le cours de la rivière en amont de son embouchure n’y est pas du tout représenté. Néanmoins, l’emplacement de l’embouchure est tout à fait incompatible avec l’ancien cours de la rivière dont parle El Salvador, et à vrai dire avec tout autre cours que le cours actuel. En deux endroits, la carte marine indique à la fois l’ancienne et la nouvelle embouchure d’un cours d’eau (par exemple, «Barra vieja del Rio Nacaume» et «Nuevo Rio de Nacaume»); étant donné qu’aucune embouchure ancienne n’est indiquée pour le Goascorán, il y a lieu de penser qu’en 1796 celui-ci se déversait depuis déjà fort longtemps à l’endroit du golfe qui est indiqué sur la carte marine.» (Par. 314.)
Puis la Chambre a analysé le compte rendu de l’expédition et relevé que celui-ci place, lui aussi, «l’embouchure de la rivière Goascorán là où elle se trouve de nos jours» (ibid.).
La Chambre en a conclu «qu’au vu du compte rendu de l’expédition de 1794 et de la «Carta Esférica», on ne peut guère douter qu’en 1821 le Goascorán coulait déjà là où se trouve son cours actuel» (par. 316).
«même s’ils ne constituent pas des faits nouveaux, d’autres éléments et d’autres preuves existent qui n’ont pas été pris en considération au cours de l’instance et qui sont utiles, voire essentiels, soit pour compléter et confirmer les faits nouveaux, soit pour permettre de mieux les comprendre».
Il se réfère à la grande éruption du volcan Cosigüina et à l’apparition des Farallones del Cosigüina, aux négociations de Saco entre 1880 et 1884 et aux caractéristiques du cours inférieur de la rivière Goascorán.
«la découverte d’un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l’arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision, sans qu’il y ait, de sa part, faute à l’ignorer».
La Chambre ne saurait, partant, déclarer recevable une demande en révision sur la base de faits dont il n’est pas allégué par El Salvador lui-même qu’ils constitueraient des faits nouveaux au sens de l’article 61.
La Chambre,
Par quatre voix contre une,
Dit que la requête déposée par la République d’El Salvador en vertu de l’article 61 du Statut de la Cour et tendant à la révision de l’arrêt rendu le 11 septembre 1992 par la Chambre de la Cour chargée de connaître de l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador) Honduras; Nicaragua (intervenant)) est irrecevable.
pour: M. Guillaume, président de la Chambre ; MM. Rezek, Buergenthal, juges; M. Torres Bernárdez, juge ad hoc;
contre: M. Paolillo, juge ad hoc.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le dix-huit décembre deux mille trois, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République d’El Salvador et au Gouvernement de la République du Honduras.
Accédez à la source d'information la plus complète et la plus fiable en arbitrage
DEMANDEZ UN ESSAI GRATUITDéjà enregistré ?