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Arrêt de la Cour d'Appel de Paris

[1].
- contradictoire

- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie Hirigoyen, présidente, et par M. Sébastien Sabathé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Faits, procédure et prétentions des parties

[2].
A la suite de l’expropriation de la société pétrolière russe Ioukos, les sociétés Hulley Enterprises Limited, Veteran Petroleum Limited, sociétés de droit chypriote, et la société Yukos Universal Limited, constituée conformément au droit de l'île de Man, anciens actionnaires majoritaires, ont engagé des procédures d’arbitrage à l’encontre de la Fédération de Russie, sous l’égide de la cour permanente d'arbitrage de La Haye.
[3].
Aux termes de trois sentences arbitrales finales prononcées le 18 juillet 2014, faisant suite à trois sentences partielles en date du 30 novembre 2009, la Fédération de Russie a été condamnée à indemniser ces trois sociétés à hauteur de la somme globale en principal de 50 020 867 798 dollars américains, majorée des frais d'arbitrage et de représentation.
[4].
La société Hulley Enterprises Limited (la société Hulley) a obtenu pour sa part une indemnisation à hauteur de 39 971 834 360 de dollars en principal, outre 3 388 197 euros à titre de remboursement des frais d'arbitrage et 47 946 190 dollars pour indemnisation de ses frais de représentation et d'assistance juridique.
[5].
Les anciens actionnaires maj oritaires de la société Ioukos ont entrepris l’exécution forcée des sentences arbitrales dans plusieurs pays dont la France.
[6].
Les six sentences arbitrales ont été revêtues de l'exequatur par ordonnances du président du tribunal de grande instance de Paris du 1er décembre 2014. La Fédération de Russie en a relevé appel. La demande d'arrêt de l'exécution forcée des sentences arbitrales exequaturées formée dans le cadre de cette instance a été rejetée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 17 décembre 2015.
[7].
Sur le fondement de la sentence arbitrale du 18 juillet 2014, rendue exécutoire par l'ordonnance d'exequatur du 1er décembre 2014, par acte du 30 juin 2015, la société Hulley a pratiqué entre les mains de la société Arianespace une saisie-attribution de créances pour garantie du paiement de la condamnation en principal majorée des intérêts et frais, au préjudice de "la fédération de Russie, y compris ses subdivisions politiques, territoriales, ministérielles ou administratives et organes du pourvoir exécutif, ses agences et ses entités et/oustructure de gestion d'actifs, et ce quelle que soit leur dénomination antérieure ou actuelle, dont notamment:... Roscosmos ".
[8].
Le procès-verbal de saisie-attribution a été dénoncé à la Fédération de Russie, en sa qualité de débiteur saisi, par acte remis au parquet du tribunal de grande instance d'Evry le 7 juillet 2015 selon les règles de signification par voie diplomatique.
[9].
La saisie a rendu indisponibles des créances sur Arianespace de Roscosmos agence fédérale spatiale russe au titre de deux contrats de fabrication et de livraison de lanceurs Soyouz, pour un montant de l'ordre de 300 millions d’euros.
[10].
Elle a été contestée par Arianespace et Roscosmos agence fédérale spatiale russe qui ont assigné la société Hulley, par actes des 9 et 21 juillet 2015, aux fins de mainlevée.
[11].
Par jugement du 19 janvier 2016, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d’Evry a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution.
[12].
La société Hulley a relevé appel du jugement selon déclaration du 19 j anvier 2016 puis a saisi le premier président de cette cour aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement dont appel.
[13].
Par ordonnance du 5 octobre 2016, l'exécution provisoire a été suspendue de sorte que les fonds appréhendés sont toujours indisponibles.
[14].
Après la mesure d’exécution, sa contestation et le jugement dont appel, par jugement du 20 avril 2016 et sous le bénéfice de l’exécution provisoire, le tribunal de district de la Haye a annulé les sentences arbitrales, considérant que le tribunal arbitral s’était déclaré à tort compétent. Cette décision a été frappée d’appel devant une juridiction néerlandaise.
[15].
Sont intervenus à la présente instance d’appel :

- Roscosmos corporation d’Etat, aux droits de Roscosmos agence fédérale spatiale russe par conclusions du 22 mars 2017,

- la Fédération de Russie, par conclusions du 27 juillet 2016,

- le Centre national d’études spatiales (CNES), par conclusions du 27 février 2017,

- l'Etat français, représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, par conclusions du 30 décembre 2016.

[16].
Dans le dernier état de la procédure, par conclusions récapitulatives du 11 avril 2017, la société Hulley demande à la cour, vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, les articles L. 111-5 et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, V et VII de la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958, le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage, les articles 3, 544 et 2285 du code civil, L.111-1, L.112-1 et suivants et R. 211-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, 455, 458, 684, 700 et 1520 et suivants du code de procédure civile, de la recevoir en son appel et, en conséquence, in limine litis, de se déclarer incompétente pour connaître des demandes tendant à remettre en cause le titre exécutoire de la société Hulley dans son principe ou la validité des droits qu'il constate, et/ou à défaut de pouvoir de la cour, de déclarer irrecevables ces demandes et, en conséquence, de les rejeter, de rejeter les exceptions de nullité soulevées par Roscosmos agence spatiale fédérale russe, Roscosmos corporation d'Etat et Arianespace et sur le fond, à titre principal, d'annuler la décision entreprise, en ce qu'elle a été rendue en violation des obligations de motivation et d'impartialité, et statuant à nouveau, de déclarer valide la saisie-attribution pratiquée à l'encontre de la Fédération de Russie entre les mains de Arianespace, selon le procès-verbal dressé par Maître Micallef, huissier de justice, le 30 juin 2015, en ce qu'elle porte sur des biens qui sont la propriété de la Fédération de Russie et de rejeter l’ensemble des contestations formées à tort par les demandeurs initiaux, à titre subsidiaire, à supposer que la cour se déclare compétente et/ou ayant le pouvoir pour statuer sur les demandes tendant à remettre en cause le titre exécutoire de la société Hulley, de juger que la décision d'annulation de la sentence finale par le tribunal de première instance de La Haye n'emporte aucun effet sur le droit de la société Hulley de pratiquer en France des mesures d'exécution sur le fondement de la sentence finale exequaturée le 1er décembre 2014 par le président du tribunal de grande instance de Paris, de juger que le titre sur la base duquel la saisie litigieuse a été pratiquée est exécutoire, d'infirmer la décision entreprise, en ce qu’elle a, d'une part, jugé irrégulière la saisie-attribution pratiquée par la société Hulley à l'encontre de la Fédération de Russie entre les mains d’Arianespace, selon le procès-verbal dressé le 30 juin 2015 et, d'autre part, jugé que Roscosmos agence spatiale fédérale russe n'est pas une émanation de l'État et, statuant à nouveau, de juger valide la saisie-attribution en ce qu’elle porte sur des biens qui sont la propriété de la Fédération de Russie, et en tout état de cause en ce que Roscosmos agence spatiale fédérale russe est une émanation de la Fédération de Russie, de rejeter l'ensemble des contestations formées à tort par les demandeurs initiaux, à titre plus subsidiaire, de juger que la saisie-attribution pratiquée à sa requête entre les mains d’Arianespace n’a pas excédé ce qui était nécessaire pour obtenir le paiement par la Fédération de Russie des sommes qui lui sont dues en vertu de la sentence finale exequaturée le 1er décembre 2014, de juger que le maintien de la saisie était raisonnable et justifié au regard des circonstances de l'espèce, de juger que les conditions dans lesquelles la société Hulley a procédé entre les mains d’Arianespace à la saisie-attribution de créances du 30 juin 2015 ne sont pas caractéristiques de l'abus de saisie, de rejeter la demande reconventionnelle des parties intimées, en tout état de cause, de condamner Roscosmos agence spatiale fédérale russe, Roscosmos corporation d'Etat et Arianespace à lui payer la somme de 150 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
[17].
Par conclusions récapitulatives du 22 mars 2017, la Fédération de Russie demande à la cour, vu les articles 328 et suivants et 554 du code de procédure civile, L.111-1, L.111-2, L.111-3, L. 211-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, 409, 509, 775, 1504, 1514, 1516, 1520, 1525, 1526 et suivants du code de procédure civile, vu l'article 1506 du code de procédure civile, dans sa version applicable aux sentences arbitrales rendues avant le 1er mai 2011, vu l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, les articles 1154 et 1993 du code civil, de la recevoir en son intervention volontaire à la présente instance initiée par la société Hulley, en conséquence, à titre principal, de reconnaître, en tant que de besoin, à titre incident le jugement rendu le 20 avril 2016 par le tribunal du district de La Haye ayant prononcé l'annulation des sentences arbitrales, de juger recevables et bien-fondées l'ensemble des prétentions de Roscosmos agence spatiale fédérale russe, Roscosmos corporation d'Etat et de la société Arianespace, tirées de l'irrégularité de la saisie-attribution de créances pratiquée par la société Hulley le 30 juin 2015 entre les mains de la société Arianespace, à titre subsidiaire, pour le cas où, par extraordinaire, la cour considérerait que les créances saisies entre les mains de la société Arianespace par l'effet de la saisie-attribution de créances précitée ressortiraient au patrimoine de la Fédération de Russie, de juger irrégulière ladite saisie en ce qu’elle constitue une violation de l'immunité d'exécution dont bénéficie la Fédération de Russie et de confirmer en conséquence le jugement rendu le 19 janvier 2016 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evry en ce qu'il a ordonné la mainlevée de cette saisie, en tout état de cause, de débouter la société Hulley de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner à verser à la Fédération de Russie la somme de 70 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
[18].
Par conclusions du 22 mars 2017, Roscosmos agence spatiale fédérale russe, en cours de liquidation, et la société Roscosmos corporation d'Etat demandent à la cour, vu les articles 31 du code de procédure civile, R. 211-1, L. 112-1, L. 121-2, L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution, de déclarer recevable et bien fondée l'intervention volontaire de la société Roscosmos corporation d'Etat, de recevoir Roscosmos agence spatiale fédérale russe et Roscosmos corporation d'Etat en leurs écritures et demandes et les y jugeant fondées, de confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 30 juin 2015 entre les mains de la société Arianespace par la société Hulley, en ce que cette saisie est entachée d'irrégularité, de l'infirmer en ce qu'il a débouté Roscosmos de sa demande de dommages-intérêts pour saisie abusive, statuant à nouveau, de condamner la société Hulley à payer à Roscosmos agence spatiale fédérale russe et à la société Roscosmos corporation d'Etat un million d’euros à titre de dommages et intérêts au titre du caractère abusif de la saisie-attribution pratiquée, en tout état de cause, de débouter la société Hulley de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à payer à Roscosmos agence spatiale fédérale russe et à la société Roscosmos corporation d'Etat la somme de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
[19].
Par conclusions du 22 mars 2017, la société Arianespace demande à la cour, vu les articles R. 211-1, L. 111-1, L. 111-2, L. 111-3, L. 112-1, L. 121-2, L. 211-1, L. 231-1 du code des procédures civiles d'exécution, 699 et 700 du code de procédure civile, 1382 du code civil, de la dire recevable et bien fondée en ses demandes et son appel incident et, y faisant droit, à titre principal, de die irrégulière et en conséquence nulle la saisie-attribution de créances pratiquée par Hulley le 30 juin 2015, à titre subsidiaire, à supposer que la cour considère par extraordinaire que Roscosmos est le débiteur de la Fédération de Russie, de dire irrégulière la saisie de la créance qui est celle du débiteur du débiteur du débiteur, à titre infiniment subsidiaire, à supposer que la cour considère par extraordinaire que les créances saisies entre les mains d'Arianespace ressortiraient au patrimoine de la Fédérationde Russie, de dire la saisie irrégulière en ce qu'elle constitue une violation de l'immunité d'exécution dont bénéficie la Fédération de Russie et, en tout état de cause, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie, de débouter Hulley de l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions, d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Arianespace de sa demande de dommages-intérêts pour saisie abusive, de juger la saisie abusive, de condamner Hulley à lui payer à ce titre des dommages-intérêts à hauteur de 250 000 euros ainsi que 250 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
[20].
Par conclusions du 27 février 2017, le CNES demande à la cour, vu les articles 66, 325, 328, 330, 554 du code de procédure civile, L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution, de le déclarer recevable en son intervention volontaire au soutien des demandes de la société Arianespace, de débouter la société Hulley de l'ensemble de ses demandes, de déclarer la saisie-attribution pratiquée entre les mains de la société Arianespace irrégulière, de confirmer, en conséquence, le jugement déféré et de condamner la société Hulley à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
[21].
Par conclusions du 30 décembre 2016, l'Etat français représenté par l’agent judiciaire de l'Etat demande à la cour, vu les articles 66, 325, 328, 330, 554 du code de procédure civile, de déclarer recevable son intervention volontaire accessoire aux demandes de la société Arianespace, à titre principal, sur le bien fondé de la mainlevée prononcée le 19 janvier 2016, vu l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution, de rejeter l'ensemble des demandes de la société Hulley, de confirmer en conséquence le jugement déféré, à titre subsidiaire, sur l’irrégularité de la saisie en raison de la qualité d'Arianespace, de dire qu'Arianespace est le débiteur de troisième degré de la Fédération de Russie et de déclarer par conséquent la saisie pratiquée entre ses mains irrégulière.
[22].
Aux termes de son avis du 17 mars 2017, le ministère public s'en rapporte quant à l’intervention de l'État français et du CNES, estime recevables les appels principaux et incidents ainsi que les interventions volontaires de Roscosmos corporation d'État et de la Fédération de Russie, et conclut qu'il n'y a pas lieu à annulation du jugement entrepris mais à sa confirmation en faisant valoir que la saisie-attribution du 30 juin 2015 n’est pas caduque car dénoncée dans le délai de huit jours, cette dénonciation ne pouvant viser que l’Etat russe car Roscosmos est jugé « transparent » par la société saisissante, que le procès-verbal de saisie-attribution du 30 juin 2015 n'est pas irrégulier au regard des exigences de l'article R. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, que la cour statuant avec les attributions du juge de l’exécution n’a pas le pouvoir de se prononcer sur les effets en France du jugement du tribunal de la Haye du 20 avril 2016, que, subsidiairement, ce jugement n'a pas d'effet direct en France et qu'à la date de la saisie-attribution, Roscosmos n'était pas une émanation de la Russie ni n'agissait pour le compte ou au nom de cette dernière et que les créances saisies n'étaient pas la propriété de la Fédération de Russie.

SUR CE

- Sur la demande d’annulation du jugement

[23].
A titre principal, la société Hulley poursuit l’annulation du jugement, rendu sous forme d'un simple dispositif, en violation des obligations de motivation et d'impartialité telles qu'elles résultent de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article L. 111-5 du code de l'organisation judiciaire et de l'article 455 du code de procédure civile. Elle précise que le 19 janvier 2016, un jugement constitué d'une seule feuille non datée et non signée reproduisant uniquement le dispositif, sans motivation, a été mis à disposition des parties et que ce n'est que le 27 janvier 2016 qu'un jugement en bonne et due forme, daté du 19 janvier 2016, a été communiqué.
[24].
Roscosmos agence spatiale fédérale russe et Roscosmos corporation d'Etat s'opposent à cette demande en faisant valoir que le 19 janvier 2016, les parties ont pu prendre connaissance du dispositif, dont une copie leur a été remise, et que le 27 janvier 2016, la minute du jugement du 19 janvier 2016 a été remise aux parties, reprenant le même dispositif, qu’ainsi la société Hulley a pu présenter tous ses arguments devant le premier juge et interjeter appel du jugement et invoquent l’article 458 alinéa 2 du code de procédure civile dont il résulte qu'aucune nullité ne peut être soulevée ou relevée d'office si elle n'a été invoquée au moment du prononcé du jugement par de simples observations dont il est fait mention au registre d'audience.
[25].
Selon l’article 455 alinéa 1er du code de procédure civile, le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions avec l’indication de leur date. Le jugement doit être motivé. Le même article dans son alinéa 2 précise que le jugement énonce la décision sous forme de dispositif.
[26].
Il résulte de l'article 458 du code de procédure civile que ce qui est prescrit à l'article 455 alinéa 1er l'est à peine de nullité.
[27].
Il est constant que le 19 janvier 2016, date annoncée de mise à disposition du jugement au greffe de la juridiction, il a été remis aux avocats des parties un jugement sous la forme d'un simple dispositif.
[28].
C'est ce jugement, transmis avec la déclaration d'appel régularisée le jour même, 19 j anvier 2016, par voie électronique via le RPVA, et non le jugement complété dont les parties ont pris connaissance le 27 janvier 2016, qui a été déféré à la cour.
[29].
Un tel jugement qui contrevient aux règles de rédaction notamment en ce qu'il ne comporte aucune motivation est nul sans que puisse être invoqué l'article 458 alinéa 2 lequel écarte la nullité édictée sous certaines conditions et dans le seul cas d'inobservation des formes prescrites aux articles 451 et 452 du code de procédure civile.
[30].
Il convient, en conséquence, d'annuler le jugement.
[31].
Conformément à l'article 562 du code de procédure civile, lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement, la dévolution s'opère pour le tout.
[32].
La cour est donc tenue de statuer sur l’entier litige ce qu'elle est en mesure de faire dès lors que le premier juge a été valablement saisi et que les parties ont conclu au fond, peu important à cet égard que certaines d'entre elles énoncent leurs prétentions en se référant au jugement annulé.

- Sur les interventions volontaires

[33].
Il résulte des articles 325 et 554 du code de procédure civile que l'intervention volontaire en cause d'appel est subordonnée à la seule existence d'un intérêt pour celui qui la forme et d'un lien suffisant avec les prétentions originaires.

- la société Roscosmos corporation d’Etat

[34].
Des pièces au dossier, il ressort qu'en vertu d'une loi fédérale russe du 13 juillet 2015, les missions de Roscosmos ont été transmises à une corporation d'État sui generis de droit russe et que le 28 décembre 2015, a été signé le décret plaçant l’agence spatiale fédérale Roscosmos en liquidation et créant une corporation d'État du même nom.
[35].
La saisie litigieuse étant antérieure à ce changement de structure de Roscosmos, la société Roscomos, aux droits de l'agence fédérale en cours de liquidation, a intérêt à intervenir.

- la Fédération de Russie

[36].
Désignée par les sentences arbitrales comme débitrice des sommes dont le recouvrement est poursuivi, la Fédération de Russie a manifestement intérêt à intervenir.

- le CNES et l’Etat français

[37].
Le CNES et l’Etat français interviennent accessoirement au soutien des prétentions d'Arianespace en se prévalant de leur qualité, le CNES, d'actionnaire direct, l'Etat, d’actionnaire indirect d'Arianespace, ainsi que du préjudice patrimonial et économique lié à une possible perte de valeur des actions de la société Arianespace en cas de confirmation de la saisie-attribution qui serait de nature à compromettre la livraison des lanceurs Soyouz. Le CNES argue en particulier du risque de perte du lanceur Szoyouz qui remettrait en cause l'exécution de son programme. Tandis que l'Etat souligne son intérêt moral au respect du programme spatial de la société Arianespace notamment vis-à-vis de ses partenaires européens.
[38].
L'intérêt à intervenir est contesté, aux motifs mais non au dispositif de ses écritures, par la société Hulley qui argue de l'absence de preuve du préjudice causé par les saisies au CNES et à l'Etat français, notamment quant à la collaboration entre Arianespace et Roscosmos.
[39].
Il est acquis que jusqu’au 1er janvier 2017, l'Etat français est, indirectement, actionnaire à hauteur de 34.68% de la société Arianespace par l'intermédiaire du CNES, personne morale publique détenant cette participation laquelle a été cédée à compter du 1er janvier 2017, à la société Airbus Safran Launchers, créée par les sociétés Airbus et Safran dont l'Etat est également actionnaire.
[40].
La qualité d'actionnaire direct et indirect des intervenants qui valide leur intérêt à préserver leurs droits patrimoniaux suffit à caractériser l'intérêt à intervenir dans la présente instance ayant pour objet le sort de la saisie-attribution de créances pratiquée entre les mains de la société Arianespace.
[41].
Les interventions volontaires seront toutes déclarées recevables.

- Sur la demande de caducité du titre

[42].
La Fédération de Russie entend à titre principal que soit reconnu, en tant que de besoin, à titre incident, le jugement rendu le 20 avril 2016 par le tribunal de district de la Haye ayant prononcé l'annulation des sentences arbitrales et que soient jugées, en conséquence, recevables et bien fondées l'ensemble des prétentions de Roscosmos agence spatiale fédérale russe, Roscosmos corporation d’Etat et de la société Arianespace, tirées de l'irrégularité des deux saisies-attribution pratiquées entre les mains de la société Arianespace. Elle estime qu'il appartient à la cour de constater que la société Hulley ne dispose d’aucun titre exécutoire l'autorisant à pratiquer le saisie litigieuse, en faisant valoir qu'à la suite de l'annulation des sentences arbitrales par le tribunal de district de la Haye, ces sentences sont caduques, qu’en les admettant toujours dans le droit positif, les solutions résultant des arrêts Hilmarton et Putrabali sont inapplicables dès lors qu'il ne s'agit pas de sentences internationales, qu'en outre et bien que l'annulation des sentences produise un effet automatique, si la reconnaissance du jugement néerlandais était jugée nécessaire, la cour devrait la prononcer de manière incidente. Elle ajoute que non seulement la société Hulley ne dispose pas d’un titre exécutoire de par l'anéantissement des sentences arbitrales mais que les sentences sont dépourvues de caractère exécutoire, l'appel de l'ordonnance d’exequatur bénéficiant d’un effet suspensif du fait de l'application de l'article 1506 ancien du code de procédure civile lequel est applicable aux sentences rendues avant le 1er mai 2011 et s'applique donc aux sentences partielles rendues avant cette date mais aussi aux sentences finales rendues le 18 juillet 2014 qui en sont dépendantes.
[43].
La société Hulley oppose l’incompétence ou le défaut de pouvoir de la cour pour connaître des demandes tendant à remettre en cause le titre exécutoire de la société Hulley dans son principe ou la validité des droits qu'il constate. Elle rappelle que la Fédération de Russie a été déboutée de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire des sentences arbitrales exequaturées suivant ordonnance du conseiller de la mise en état de cette cour du 17 décembre 2015. Elle estime qu'une demande similaire ne saurait être formée devant le juge de l'exécution, souligne que dans ses ordonnances du 5 octobre 2016, le premier président de la cour d’appel a écarté des demandes identiques formulées par la Fédération de Russie et observe que la demande de constat de la caducité du titre sur le fondement duquel la mesure d’exécution a été pratiquée, au motif que la sentence finale du 18 juillet 2014 a été annulée par le tribunal de district de la Haye le 20 avril 2016, relève de l'appréciation de la seule formation de la cour d'appel déjà saisie du recours contre l'ordonnance d'exequatur, à qui il appartient de connaître des griefs relatifs à cette décision et de l'incidence de l'annulation de la sentence finale rendue par un tribunal arbitral étranger sur l'ordonnance ayant accordé l'exequatur.
[44].
Statuant avec les pouvoirs du juge de l’exécution, la cour d’appel doit vérifier le caractère exécutoire du titre qui sert de fondement aux poursuites.
[45].
Les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non susceptible d'un recours suspensif font partie des titres exécutoires énumérés à l'article L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution.
[46].
En l'espèce, la décision du tribunal de district de La Haye du 20 avril 2016 annulant les sentences arbitrales n'empêche pas de poursuivre en France l'exécution des sentences arbitrales et ce, en vertu des principes reconnus de l'autonomie du droit de l'arbitrage international et de l'effet relatif de l'annulation d’une sentence arbitrale internationale, étant souligné que les dispositions des articles 1498, désormais 1514, et suivants du code de procédure civile sont applicables à la fois aux sentences arbitrales internationales et aux sentences arbitrales rendues à l'étranger, quel que soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou international.
[47].
Par ailleurs, l'appréciation des griefs formés contre les sentences arbitrales, y compris ceux tirés de la compétence du tribunal arbitral, relève exclusivement du contentieux de l'exequatur.
[48].
La demande de reconnaissance incidente des effets du jugement du tribunal de district de La Haye le 20 avril 2016, qui excède les pouvoirs du juge de l'exécution, et celle, subséquente, de caducité de la saisie-attribution litigieuse ne peuvent donc qu'être rejetées.
[49].
Quant au caractère exécutoire de la sentence arbitrale, il convient de retenir que selon l'article 1526 du code de procédure civile, le recours en annulation formé contre la sentence et l'appel de l'ordonnance ayant accordé l'exequatur ne sont pas suspensifs, que cette disposition, applicable aux sentences rendues après le 1er mai 2011, vaut pour les sentences finales rendues le 18 juillet 2014 portant condamnation quel que soit leur lien avec des sentence antérieures et que l'exécution provisoire attachée aux sentences arbitrales n'a pas été arrêtée mais seulement aménagée.
[50].
De ces éléments, il suit que la société Hulley dispose d’un titre exécutoire au sens de l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution soit la sentence exequaturée portant condamnation à son profit, exécutoire provisoirement, nonobstant l’appel introduit par la Fédération de Russie contre les ordonnances d'exequatur du 1er décembre 2014.

- Sur la régularité formelle de la saisie-attribution

[51].
Le défaut d'indication dans le procès-verbal de saisie-attribution de l'adresse de la Fédération de Russie ne constitue pas une cause de nullité en ce qu'il n'a causé aucun grief à la Fédération de Russie à qui l’acte a été régulièrement dénoncé par la voie diplomatique dans les formes de l’article 684 du code de procédure civile, l’acte ayant été remis à parquet le 7 juillet 2015, étant souligné que l'acte de saisie désigne la Fédération de Russie comme débitrice en conformité avec le titre servant de fondement aux poursuites.
[52].
Quant au moyen pris du défaut de dénonciation de la saisie-attribution à Roscosmos agence fédérale spatiale russe selon les exigences de l’article R. 211-3 du code des procédures civiles d'exécution, il n'a d'objet que si cet organisme ne constitue pas une émanation de l’Etat russe, circonstance l’autorisant à opposer une qualité de tiers à la dette, ce qui suppose de trancher préalablement cette question.

- Sur la titularité des créances saisies entre les mains de la société Arianespace

[53].
La société Hulley soutient que les créances saisies entre les mains d'Arianespace, détenues en apparence par des entités russes, sont en réalité la propriété de l'État russe et, en tout état de cause, que Roscosmos n'est qu'une émanation de l'Etat russe chargée d'administrer et de gérer les activités spatiales de cette dernière, définie par décret comme un organe du pouvoir exécutif et placée sous le contrôle tant fonctionnel que financier et budgétaire de la Fédération de Russie, pour conclure à la validité de la saisie.
[54].
Elle rappelle que tous les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et que le créancier peut rapporter la preuve que le titulaire apparent d’une créance n'en est pas le propriétaire. Elle prétend rapporter la preuve que les sommes payées au titre des créances saisies font partie du budget fédéral de la Russie (sur un compte ouvert à la Banque centrale de la Fédération de Russie) et sont donc la propriété de la Fédération de Russie, invoque le rapport d’audit versé au débat par Roscosmos et Arianespace, relevant que selon l'article 161 du code budgétaire russe, les sommes versées par Arianespace au titre des créances saisies font partie du budget fédéral et qu’en outre, Roscosmos a récemment admis, dans une note explicative émise le 31 mars 2016, que les comptes bancaires sur lesquels sont payées les sommes dues en vertu des créances saisies sont des comptes de la Fédération de Russie. Elle ajoute que le régime sui generis de droit russe applicable aux agences fédérales telles que Roscosmos explique la particularité de la situation résultant de la conclusion par Roscosmos de contrats pour la Fédération de Russie. Elle fait état, à cet égard, de rapports d'experts concluant, en premier lieu, que la Fédération de Russie participe aux rapports de droit civil par l'intermédiaire de ses organes publics, dont font partie ses agences fédérales, lesquels peuvent agir soit en qualité d’organe fédéral du pouvoir exécutif, au nom et pour le compte de la Fédération de Russie, qui devient le sujet des droits et des obligations obtenus pour elle, soit en tant que personne morale de droit russe, en leur nom propre, sur les biens et droits dont ils assurent la gestion pour le compte de la Fédération de Russie, et dont seule cette dernière est propriétaire, en vertu du régime de droit russe de droit de gestion opérationnelle, en second lieu, que c'est l'acte constitutif établissant les statuts de Roscosmos, c'est-à-dire son règlement, qui détermine quand Roscosmos agit en tant que Fédération de Russie, que Roscosmos agit en sa qualité d’organe public en tant que Fédération de Russie, et non en tant que personne morale de droit russe distincte, lorsqu'elle agit dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées par l'État russe en vertu de son règlement, qu'en l'espèce, Roscosmos a conclu les contrats avec Arianespace en vertu d'une compétence spécifique prévue par son acte constitutif, à savoir son règlement, en sa qualité d'organe fédéral du pouvoir exécutif.
[55].
La société Hulley souligne par ailleurs que seul le droit français détermine les conditions de validité des saisies litigieuses et que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, le droit russe ne saurait déterminer l'étendue de leur droit de poursuite ou leur droit de gage général et observe qu’en tout état de cause, la thèse des parties intimées ou intervenantes ne pourra qu’être rejetée dans la mesure où aucune disposition de la loi russe ne prévoit que les créanciers de la Fédération de Russie ne pourraient pas saisir les créances nées des contrats conclus par Roscosmos en sa qualité d'organe public de l'État russe, et donc en tant que Fédération de Russie.
[56].
La Fédération de Russie soutient pour sa part que les créances appréhendées entre les mains de la société Arianespace appartiennent à l’agence spatiale Roscosmos, personne morale autonome, distincte de la Fédération de Russie dont elle n'est pas une émanation. Elle fait valoir que la seule exception à l’interdiction de saisir des biens autres que ceux du débiteur nommément désigné concerne les émanations d'Etat et qu'il s’agit d’une exception strictement encadrée, reposant sur le constat d'une contusion totale ou quasi-totale, tant décisionnelle que patrimoniale, entre l’Etat et son émanation, que tel n’est pas le cas en l'espèce puisque Roscosmos dispose d’organes de décision et d’un budget propres, qu’il a déjà été jugé par la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 mai 2004, que l'agence spatiale fédérale russe Roscosmos ne constituait pas une émanation de la Fédération de Russie, qu'en sa qualité d’entité publique autonome créée par la Fédération de Russie, Roscosmos ne répond pas des dettes de cette dernière, en application des règles de droit russe et que dans le cadre des contrats conclus avec Arianespace, qui ont généré les créances objet de la saisie litigieuse, Roscosmos n’a jamais agi au nom et pour le compte de la Fédération de Russie. Elle rappelle que Roscosmos a contracté des engagements qui lui sont propres, auxquels la Fédération de Russie est étrangère et que les créances sur Arianespace n’ont pas vocation à s’intégrer au budget de la Fédération de Russie. Elle observe que même si elles devaient être considérées comme ressortissant à son patrimoine, les créances litigieuses ont été appréhendées entre les mains d’un tiers qui n’est pas le débiteur de la Fédération de Russie et qui n’est donc pas le débiteur du débiteur des saisissants. Elle fait valoir en outre que ces créances sont insaisissables car protégées par l’immunité d’exécution dont elle bénéficie et à laquelle elle n’a jamais renoncé.
[57].
L’agence spatiale fédérale russe Roscosmos et Roscosmos corporation d’Etat arguent également de l'absence de droit de la société Hulley sur les créances saisies, en affirmant l’autonomie de gestion et de patrimoine de Roscosmos agence spatiale fédérale russe. Elles soulignent pour l’essentiel que le contrôle exercé par un Etat ne suffit pas à faire considérer les organismes qui en dépendent comme des émanations de cet Etat, renvoient à l'arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2004 concernant l'agence Rosaviakosmos et le centre TSSKB-Progress, qui énonce que même s’ils sont des entreprises fédérales chargées de la réalisation de la politique de l'Etat en matière spatiale, ces organismes ne sont pas des émanations de la Fédération de Russie impliquant leur assimilation à cet Etat et que les créances saisies n'appartiennent pas à son débiteur de sorte que ces organismes n'ont pas à répondre des dettes de celui-ci. Elles invoquent la nature purement commerciale des dettes de la société Arianespace au titre des contrats en cause, l'absence de confusion entre Roscosmos et la Fédération de Russie et le fait que les créances saisies sont la propriété de Roscosmos et des industriels russes, partenaires de la société Arianespace, les contrats avec Arianespace ayant été conclus en son propre nom et pour son propre compte et non en vertu d'un mandat pour agir aux lieu et place de la Fédération de Russie. Elles ajoutent que Roscosmos dispose d'organes de décision et d'un budget propres, que les paiements effectués par la société Arianespace, au titre des contrats la liant à Roscosmos et aux industriels russes, sont faits auprès d'une banque privée et que si des sommes sont transférées sur le compte spécialement dédié à Roscosmos auprès de la direction interrégionale des opérations du Trésor fédéral, c'est uniquement aux fins de conversion en roubles pour assurer le paiement des cocontractants russes de la société Arianespace.
[58].
La société Arianespace fait plaider que la créance saisie ne bénéficie pas à la Fédération de Russie mais à Roscosmos qui n'est pas une émanation de l'Etat, rappelle que Hulley n'a pas de titre contre Roscosmos mais contre la seule Fédération de Russie, que Roscosmos ne se confond pas avec la Fédération de Russie et ne répond pas des dettes de cette dernière et que Roscosmos n'est pas davantage le mandataire de la Fédération de Russie, ajoutant, à titre subsidiaire, que s'il était considéré que Roscosmos est mandataire ou d'une manière quelconque débitrice de la Fédération de Russie, il n'en demeure pas moins que la saisie pratiquée par la société Hulley est irrégulière dans la mesure où Arianespace est le débiteur de troisième degré de la Fédération de Russie.
[59].
L'agent judiciaire de l'Etat observe que le statut juridique de Roscosmos a déjà été débattu dans l’ordre juridique français, la Cour de cassation ayant estimé que la société Rosaviakosmos, ancienne dénomination de Roscosmos, n'était en aucun cas une émanation de la Fédération de Russie et invoque l'absence d’un mandat de la Fédération de Russie qui permettrait la saisie des créances entre les mains d'Arianespace, relevant à cet égard que les contrats conclus par Roscosmos l'ont été en son propre nom, sans intervention de la Russie, que les créances saisies avaient pour vocation de rémunérer Roscosmos et les autres contractants pour la délivrance des lanceurs Soyouz et que les sommes payées par Arianespace doivent être déposées auprès de banques privées avant d'être reversées aux prestataires sans transiter par le Trésor fédéral de la Russie.
[60].
Le CNES précise qu’au regard des contrats conclus par Arianespace, les sommes saisies ne sont pas la propriété exclusive de l'État fédéral russe ni même de Roscosmos en ce que Roscosmos, qui a une personnalité distincte de l'État fédéral russe dont elle n'est pas non plus le mandataire, n'agit que comme pilote des entreprises industrielles russes, elles-mêmes cocontractantes d'Arianespace, devant fabriquer et livrer les lanceurs Soyouz et qu'à ce titre, Roscosmos est chargée d'assurer l'interface contractuelle unique pour l'ensemble des relations entre Arianespace et les participants de la partie russe.
[61].
Selon l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, le créancier ne peut saisir entre les mains d'un tiers que les créances de son débiteur.
[62].
Il est admis que le droit de poursuite du créancier est étendu en cas de confusion des patrimoines notamment aux organismes publics qui dépendent d'un Etat étranger au point de n'en être qu'une émanation.
[63].
La qualification d'émanation de l'État, question de fait, doit être appréciée en fonction de l’indépendance fonctionnelle et de l'autonomie de patrimoine de l'entité concernée qui sont les attributs de la personnalité morale.
[64].
En l'espèce, il ressort du règlement approuvé par décret du 26 juin 2004, que l'agence spatiale fédérale Roscosmos est une entité publique, créée par la Fédération de Russie, avec mission de mettre en oeuvre la politique spatiale russe. Son directeur et ses adjoints sont nommés par le gouvernement. Dotée de la personnalité morale, selon l'article 12 du règlement, elle a la capacité d’ester en justice et de contracter seule avec ses partenaires étrangers, y compris dans le cadre des contrats concernant la réalisation de programmes et projets spatiaux internationaux en vertu de l'article 5.3.19. Elle dispose, en outre, d'une autonomie financière et de gestion. Financée pour partie par le budget de l'Etat, elle exerce les prérogatives du propriétaire sur les biens fédéraux nécessaires à l'exercice de ses fonctions en vertu de l'article 5.3.2. Elle bénéficie d’un patrimoine propre, distinct de celui de la Fédération de Russie.
[65].
Du rapport de la société Finaudit versé au débat, il s’évince que les fonds encaissés par Roscosmos n'étaient pas destinés à être intégrés définitivement au budget de la Fédération de Russie mais avaient vocation à être répartis entre les différents partenaires industriels de Roscosmos.
[66].
Il convient encore de souligner que l'article 126, 2° du code civil russe selon lequel "les personnes morales, créées par la Fédération de Russie, par les membres de la Fédération de Russie, par les collectivités territoriales ne sont pas responsables des obligations de ces derniers'", a vocation à s’appliquer pour déterminer le patrimoine de Roscosmos, et non la loi du for de la saisie, ce qui exclut que les biens de Roscosmos constituent le patrimoine de l'Etat russe, gage des créanciers de celui-ci.
[67].
Ces éléments caractérisent à suffisance l’indépendance organique et l'autonomie budgétaire et financière propres à la personne morale.
[68].
Dans ces conditions et alors que le contrôle exercé par un Etat ne suffit pas à faire considérer les organismes qui en dépendent comme des émanations de cet Etat, la société Hulley échoue à faire la preuve qui lui incombe de ce que Roscosmos agence spatiale fédérale russe serait une émanation de la Fédération de Russie.
[69].
Il sera observé que la même solution s’impose pour Roscosmos corporation d'Etat qui, aux termes de la loi du 13 juillet 2015, dispose d'un patrimoine propre, ce que ne contredit pas le fait qu’elle dispose d'un compte auprès de la banque centrale de la Fédération de Russie, qui répond de ses obligations sur les biens lui appartenant, mais non des obligations de la Fédération de Russie en l'absence d'engagement à cet effet et jouit de la pleine capacité à contracter seule avec ses partenaires étrangers.
[70].
La société saisissante ne démontre pas davantage que Roscosmos a contracté avec Arianespace comme mandataire de la Fédération de Russie (« en tant que la Fédération de Russie »).
[71].
En effet, si Roscosmos assure à la fois une mission de service public administratif déléguée par la Fédération de Russie consistant à réguler l'activité spatiale et une mission de service public industriel et commercial dans le cadre de la mise en œuvre de programmes spatiaux internationaux et projets commerciaux, en l'espèce, les contrats conclus le sont en son seul nom, sa dénomination "d'agence fédérale spatiale, organe fédéral du pouvoir exécutif de la Fédération de Russie'" n'étant pas significative d’un mandat dont la preuve ne s’évince d’aucune des clauses contractuelles, étant souligné que les engagements pris incombent à Roscosmos et aux autres opérateurs de la technologie Soyouz mais non à la Fédération de Russie et que les sommes dues par Arianespace ont vocation à rémunérer exclusivement Roscosmos et les autres entreprises partenaires russes comme il ressort du rapport d’audit versé aux débats par Roscomos concluant que les fonds reçus par Roscosmos d’Arianespace sont reversés intégralement aux entreprises titulaires des travaux, à l'exception des commissions bancaires et de paiement des frais de mission des salariés de Roscosmos qui assurent l'exécution du contrat, et qu’il n’est pas sérieusement contesté que les paiements réalisés par Arianespace l’ont été sur des comptes ouverts auprès de banques privées dont seule Roscosmos est titulaire.
[72].
Les créances saisies n'appartiennent donc pas à la Fédération de Russie, débiteur du saisissant. Il s'ensuit que la mainlevée de la saisie-attribution litigieuse doit être ordonnée.

- Sur les autres demandes

[73].
Au soutien de leur demande de dommages-intérêts, Roscosmos agence spatiale fédérale russe, Roscosmos corporation d’Etat et Arianespace invoquent le caractère abusif de la mesure d'exécution.
[74].
Cependant, ces parties ne rapportent pas la preuve d’une faute de la société Hulley dans la mise en oeuvre de la procédure d'exécution dès lors que la qualification d’émanation de l’Etat qui relève d'une appréciation de fait, ne pouvait être écartée d’emblée et seront, en conséquence, déboutées de leurs demandes.
[75].
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une quelconque des parties.
[76].
Partie perdante, la société Hulley supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

[77].
Annule le jugement dont appel,
[78].
Et statuant sur l’entier litige
[79].
Déclare recevables les interventions volontaires de la Fédération de Russie, de la société Roscosmos corporation d'Etat, de l'agent judiciaire de l'Etat et du Centre national d'études spatiales,
[80].
Ordonne la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 30 juin 2015 par la société Hulley Enterprises Limited entre les mains de la société Arianespace,
[81].
Rejette toutes autres demandes,
[82].
Condamne la société Hulley Enterprises Limited aux dépens de première instance et d’appel,
[83].
Dit que les dépens d’appel pourront être recouvrés selon les dipositions de l'article 699 du code de procédure civile.
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