- in limine litis, constate que la Fédération de Russie n’est pas fondée à invoquer d’immunité de juridiction ni d’immunité d’exécution pour faire échec à sa demande d’arrêt des travaux, et déclare par conséquent recevable cette demande,
- à titre principal, constate qu’en poursuivant les travaux en cours, la Fédération de Russie viole l’article R322-15 du code des procédures civiles d’exécution,
- par conséquent lui ordonne ainsi qu’à la société Bouygues l’arrêt immédiat des travaux litigieux, sous astreinte de 15,000 euros par jour à compter du jugement et jusqu’à l’arrêt des travaux,
- en tout état de cause, condamne la Fédération de Russie et la société Bouygues à lui payer 50,000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Sur l’immunité de juridiction
- la Fédération de Russie ne bénéficie pas d’une immunité de juridiction car une telle immunité a pour but de protéger les États étrangers dans l’exercice de leur souveraineté ; elle est limitée aux cas où l’acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l’exercice de cette souveraineté, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, étant précisé au surplus que l’affectation antérieure ou future d’un bien immobilier ne permet pas d’apprécier l’existence ou non d’un immunité de juridiction,
- l’acte litigieux, à savoir la poursuite des travaux en cours par la Fédération de Russie, est un acte de gestion privée et par conséquent elle ne peut bénéficier de l’immunité de juridiction,
- l’article 10 de la Convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des États du 2 décembre 2004 (la CNU) dispose que si un État effectue une transaction commerciale et si les contestations relatives à cette transaction relèvent de la juridiction d’un tribunal d’un autre État, l’État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant ce tribunal dans une procédure découlant de ladite transaction, ce qui est le cas en l’espèce,
- l’article 13 de la CNU prévoit par ailleurs qu’un État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre État dans une procédure se rapportant à la détermination d’un droit sur un bien immobilier situé sur le territoire de l’État du for, de la possession du bien immobilier par l’État ou de l’usage qu’il en fait ; or, en l’espèce, la demande porte sur le droit d’usage du bien immobilier par la Fédération de Russie, Sur l’immunité d’exécution
- la Fédération de Russie ne dispose pas plus d’une immunité d’exécution à ce stade de la procédure car l’article L111-1 alinéa 3 du code des procédures civiles d’exécution permet à un État étranger de se soustraire à des mesures d’exécution forcée ou à des mesures conservatoires mais pas à des modes de contraintes indirectes comme le prononcé d’une injonction de faire ou de payer sous astreinte ; or la demande porte sur l’arrêt des travaux litigieux en cours de réalisation,
- il n’est par conséquent pas demandé d’ordonner une mesure d’exécution forcée ou une mesure conservatoire mais une mesure de contrainte et il s’ensuit que la Fédération de Russie ne peut invoquer l’immunité d’exécution de l’article L111-1 pré-cité,
Sur le fond
- la Fédération de Russie viole les dispositions de l’article R321-15 du code des procédures civiles d’exécution, car les travaux en cours ont pour effet d’amoindrir la valeur du bien saisi,
- en cas de validation de la saisie immobilière par le juge de l’exécution lors de l’audience d’orientation prévue le 29 septembre 2016, la vente forcée de l’immeuble serait ordonnée pour satisfaire la créance, le bien serait soumis à adjudication et les adjudicataires, n’ayant aucune utilité économique d’un Centre culturel et d’une église orthodoxe, prendraient en compte le coût des travaux de démolition des bâtiments actuellement en construction ; l’expert en estimations immobilières consulté sur ce point évalue ce coût de démolition à 233,000 euros,
- par ailleurs, l’achèvement des travaux aboutirait à une dévalorisation estimée à environ 4 millions d’euros, à ajouter aux coûts de démolition,
- par conséquent l’arrêt des travaux litigieux sous astreinte doit permettre d’éviter une dépréciation considérable du prix d’adjudication potentiel.
- à titre principal, en raison des immunités de juridiction et d’exécution dont elle bénéficie, déclare irrecevables les demandes de la société Hulley,
- subsidiairement, avant dire droit, lui donne acte de ce qu’elle se réserve la possibilité de faire valoir des moyens au fond dans l’hypothèse où le bénéfice desdites immunités ne serait pas reconnu, par conséquent réserve les moyens et demandes de la Fédération de Russie et renvoie l’examen au fond à une audience ultérieure,
- en tout état de cause, condamne la société Hulley à lui payer 70,000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens, et à verser la somme qu’il plaira de fixer sur le fondement de l’article 32-1 du code de procédure civile.
Sur l’immunité de juridiction
- elle bénéficie de l’immunité de juridiction - à laquelle elle n’a jamais renoncé - prévue par la CNU en ses articles 5 et 6, immunité qui bénéficie également à son co-contractant, la société Bouygues, ce qui résulte tant des termes de l’article 6 de la Convention pré-citée que de la jurisprudence, établie dès 1925 par le tribunal civil de la Seine dans le cadre de l’affaire "Esnault-Pelterie",
- la CNU prévoit certes des exceptions à l’immunité de juridiction en ses articles 10 et 13, mais l’article 10 concerne les transactions commerciales, et il ne peut être soutenu que la construction du Centre culturel a une nature commerciale,
- dans un litige similaire, la Cour internationale de justice, dans sa décision "Villa Vigoni" du 3 février 2012 relative à un centre culturel allemand en Italie, a estimé que la "Villa" était le siège d’un centre culturel, qu’elle était utilisée pour les besoins d’une activité de service public dépourvue de caractère commercial et par conséquent que cette activité relevait des fonctions de souveraineté de l’État étranger,
- l’arrêt "Pereira" rendu par la Cour de cassation le 19 novembre 2008, invoqué par la société Hulley, ne peut être transposé à la présente instance, l’acte de l’État étranger ayant été qualifié d’acte de gestion privée au motif qu’il ne concernait que le défaut d’entretien d’un immeuble, à savoir un mur mitoyen, et non la construction d’un bâtiment destiné à abriter un centre culturel et spirituel,
- la seule intervention d’une entreprise d’État, évoquée par la société Hulley, n’a consisté qu’à confier temporairement à une telle entreprise la gestion des anciens bâtiments de Météo France avant leur démolition,
- quant à l’article 13 de la CNU, relatif à la propriété, la possession et l’usage des biens, il vise les procédures concernant la détermination de l’existence du droit de l’État sur un bien immobilier, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le droit de propriété de la Fédération de Russie n’étant nullement contesté, Sur les immunités d’exécution
- la Fédération de Russie indique également qu’elle dispose des immunités d’exécution de droit commun, diplomatique et spécialement attachées à un bien,
- l’immunité d’exécution de droit commun résulte de la mission du futur Centre culturel, qui sera composé de quatre bâtiments à savoir : une église orthodoxe, un centre culturel avec salle de concert et librairie, un centre paroissial comportant notamment un auditorium, et une école bilingue franco-russe pouvant accueillir 150 enfants,
- un tel complexe relève à l’évidence d’une activité de service public et non d’une activité commerciale,
- l’immunité diplomatique résulte de l’article 22 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatique du 18 avril 1961 (la Convention de Vienne), étant souligné que l’affectation diplomatique du bien saisi était antérieure à la saisie, ainsi qu’il ressort tant de la plainte pénale du 22 mars 2013 que des échanges intervenus entres les autorités des Etats français et russe,
- au surplus, l’article 47 de la Convention de Vienne édicte un devoir de non discrimination entre les États ; or, dans une affaire jugée par la cour d’appel de Paris le 5 janvier 2012, le centre culturel ukrainien a été qualifié de démembrement de la mission diplomatique, et par conséquent le centre culturel russe ne peut se voir dénier son caractère diplomatique, étant rappelé d’ailleurs que le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris, dans son ordonnance du 24 juillet 2015, a d’ores et déjà estimé que le bien litigieux constituait un local de la mission diplomatique russe,
- enfin, l’immunité diplomatique résulte également d’un droit de chapelle, c’est à dire du privilège de faire construire un chapelle pour la mission diplomatique et d’en faire usage, privilège admis par la jurisprudence française dès 1924 dans un arrêt de la cour d’appel de Paris dans une affaire "Léonovilch c/Sminoff", la cour ayant étendu l’immunité de l’ambassade à l’église construite en application de ce droit de chapelle,
- en l’espèce, tant le permis de construire du bien saisi que le cahier des charges du concours d’architecture établissent le caractère de lieu de culte du bien immobilier en cours de construction,
- enfin, la Fédération de Russie bénéficie également d’une immunité spéciale d’exécution résultant de l’article 21 de la CNU, relatif aux biens de patrimoine culturel.
- à titre principal, juge irrecevables les demandes de la société Hulley du fait des immunités de juridiction et d’exécution de la Fédération de Russie, y compris l’immunité diplomatique, immunités dont la société Bouygues est fondée à se prévaloir en tant que co-contractant de l’État,
- subsidiairement, juge les prétentions de la société Hulley mal fondées et rejette la demande d’arrêt des travaux en cours de réalisation,
- en tout état de cause, condamne la société Hulley à lui payer la somme de 30,000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Sur les immunités
- la question de l’immunité de juridiction de la Fédération de Russie a déjà été tranchée par décision du 24 juillet 2015 du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris,
- le contrat passé entre la Fédération de Russie et la société Bouygues à pour but de permettre à la Fédération de Russie d’exercer sa souveraineté sur le terrain acquis en mettant en oeuvre des activités culturelles, éducatives et religieuses, activités relevant de la souveraineté de tout État,
- cette immunité de juridiction bénéficie également aux co-contractants de l’État, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence "Esnault-Pelterie" de 1925, mais également de l’article 6.2b de la CNU,
- le cas d’espèce ne peut être comparé à l’affaire "Pereira" relative à un simple problème d’entretien de mur mitoyen, alors que la Fédération de Russie poursuit la construction d’un centre culturel,
- la règle de l’immunité de juridiction vaut à plus forte raison en matière d’exécution et les immunités d’exécution dontbénéficie la Fédération de Russie ne peuvent être écartées, le projet de Centre culturel, tel qu’il ressort notamment des conditions de la signature du contrat en présence des plus hautes autorités des États français et russe, ne pouvant être qualifié d’économique et commercial uniquement au motif qu’il existera au sein de ce centre une "cafétéria à la russe",
- au surplus, l’article 21 de la CNU stipule qu’aucune mesure d’exécution ne peut être prise contre les biens faisant partie du patrimoine culturel de l’État,
- la décision du 3 février 2012 de la Cour internationale de justice dite "Villa Vigoni", confirme qu’un centre culturel participe bien d’une activité relevant des fonctions de souveraineté d’un État,
- la mesure sollicitée par la société Hulley constitue une mesure de contrainte et la distinction opérée par ladite société entre d’une part les mesure d’exécution forcée et mesures conservatoires et d’autre part une mesure de contrainte indirecte apparaît artificielle, étant rappelé que la présente procédure relève d’une demande née de la saisie immobilière pratiquée par la société Hulley, qui est bien une mesure d’exécution forcée dont la demande d’arrêt de travaux n’est que l’accessoire,
Sur le fond
- les conditions de l’article R321-15 du code des procédures civiles d’exécution se sont pas remplies puisque le permis de construire est antérieur à la date de la saisie, et par ailleurs la société Hulley se contente d’affirmer que les travaux amoindriraient la valeur du bien saisi sans le démontrer.
- constate que la Fédération de Russie bénéficie d’immunités de juridiction et d’exécution et que ces immunités bénéficient également à la société Bouygues bâtiment Ile de France,
- par conséquent, déclare la société Hulley Enterprises Limited irrecevable en ses demandes,
- déboute les parties de toute autre demande,
- condamne la société Hulley à payer la somme de 20,000 euros à la Fédération de Russie et de 10,000 euros à la société Bouygues en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société Hulley aux dépens,
- rappelle que les décisions du juge de l’exécution bénéficient de l’exécution provisoire de droit,
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