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    Ordonnance - Demande en indication de mesures conservatoires

    La Cour internationale de Justice,

    Ainsi composée,

    Après délibéré en chambre du conseil,

    Vu les articles 41 et 48 du Statut de la Cour et les articles 73 et 74 de son Règlement,

    Rend l’ordonnance suivante:

    1.
    Considérant que, par requête enregistrée au Greffe de la Cour le 17 octobre 2000, la République démocratique du Congo (dénommée ci-après le «Congo») a introduit une instance contre le Royaume de Belgique (dénommé ci-après la «Belgique») pour

    «violation du principe selon lequel un Etat ne peut exercer son pouvoir sur le territoire d’un autre Etat et du principe de l’égalité souveraine entre tous les Membres de l'Organisation des Nations Unies, proclamé par l’article 2, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies»

    et pour

    «violation de l’immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain, reconnue par la jurisprudence de la Cour et découlant de l’article 41, paragraphe 2, de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques»;

    2.
    Considérant que, dans cette requête, le Congo invoque, pour fonder la compétence de la Cour, le fait que «la Belgique a accepté la juridiction de la Cour et, [qu']en tant que de besoin, la présente requête vaut acceptation de cette juridiction par la République démocratique du Congo»;
    3.
    Considérant que, dans ladite requête, le Congo fait état d’un

    «mandat d’arrêt international qu’un juge d’instruction belge... a décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la République démocratique du Congo..., en vue de son arrestation provisoire préalablement à une demande d’extradition vers la Belgique, pour de prétendus crimes constituant des «violations graves de droit international humanitaire»»;

    et qu’il précise que,

    «aux termes mêmes de ce mandat d’arrêt, le juge d’instruction s’affirme compétent pour connaître de faits prétendument commis sur le territoire de la République démocratique du Congo par un ressortissant de cet Etat, sans qu’il soit allégué que les victimes aient eu la nationalité belge, ni que ces faits aient constitué des atteintes à la sûreté ou au crédit du Royaume de Belgique»;

    4.
    Considérant que, dans sa requête, le Congo se réfère à certaines dispositions de la «loi [belge] du 16 juin 1993 modifiée par la loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves de droit international humanitaire»; qu’il allègue que

    «l’article 5, paragraphe 2,... contrevient manifestement au droit international en tant qu'[il] prétend déroger à l’immunité diplomatique, tout comme le mandat d’arrêt décerné sur son fondement contre le ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain»;

    et qu’il soutient en outre que l’article 7 «établit... la compétence universelle de la loi et des juridictions belges à l’égard des «violations graves de droit international humanitaire», sans même subordonner cette compétence à la présence de la personne poursuivie sur le territoire belge», et que cet article, ainsi que «le mandat d’arrêt décerné par le juge d’instruction belge... [,] contreviennent au droit international»;

    5.
    Considérant que, dans la même requête, le Congo se réfère à

    «plusieurs conventions multilatérales pour la répression d’infractions spécialement définies (torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; terrorisme; infractions aux règles relatives à la protection physique des matières nucléaires; actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime; capture illicite d’aéronefs; actes illicites de violence dans les aéroports) [qui] prévoient la compétence universelle des Etats parties»;

    qu’il précise que ces conventions «subordonnent [cette compétence universelle] à la condition que le coupable se trouve sur le territoire de l'Etat qui exerce les poursuites»; et qu’il conclut qu'«[i]l s’agit donc ici de chefs de compétence exceptionnels, qui ne tirent leur conformité au droit international que des traités qui les prévoient [, et qui] ne relèvent pas du droit international commun»;

    6.
    Considérant que, dans cette requête, le Congo soutient que «[r]ien, en l’état [du droit international commun], n’autorise à considérer qu’une nouvelle exception doive être admise, d’une manière générale, quant aux crimes de guerre ou aux crimes contre l'humanité»; qu’il allègue que

    «[s]ans doute certains Etats ont-ils, à l’occasion de l’adoption de lois destinées à adapter leur législation aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies 827 du 25 mai 1993 et 955 du 8 novembre 1994 instituant des tribunaux internationaux en vue de juger, respectivement, les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, et les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s’agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d'Etats voisins, étendu leur compétence aux crimes ainsi définis au-delà des cas où soit les personnes présumées responsables, soit les victimes auraient été leurs ressortissantes»,

    mais ajoute que «de telles dispositions ne présentent aucune analogie pertinente avec l’article 7 de la loi belge»; et que le Congo précise que

    «les résolutions susvisées du Conseil de sécurité constituent des interventions dans les affaires d'Etats souverains que seule justifie la mission de maintien de la paix et de la sécurité internationales dont est investie l'Organisation des Nations Unies, à laquelle les exposés des motifs de ces résolutions se réfèrent d’ailleurs expressément et qu’aucun Etat ne peut naturellement usurper»,

    et que, «si le Conseil de sécurité déclare les juridictions nationales concurremment compétentes avec les tribunaux internationaux, sous réserve de la primauté de ceux-ci, pour juger les crimes qu’il définit, il ne pose aucun critère de cette compétence» et «n’édicte aucune dérogation aux règles de compétence pénale reconnues par le droit international»;

    7.
    Considérant qu’au chiffre II de la requête la décision demandée à la Cour par le Congo se lit comme suit :

    «Il est demandé à la Cour de dire que le Royaume de Belgique devra annuler le mandat d’arrêt international qu’un juge d’instruction belge, M. Vandermeersch, du tribunal de première instance de Bruxelles, a décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la République démocratique du Congo, M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, en vue de son arrestation provisoire préalablement à une demande d’extradition vers la Belgique, pour de prétendus crimes constituant des «violations graves de droit international humanitaire», mandat d’arrêt que ce juge a diffusé à tous les Etats, y compris la République démocratique du Congo elle-même, qui l’a reçu le 12 juillet 2000»;

    8.
    Considérant que le 17 octobre 2000, immédiatement après le dépôt de la requête, le Congo a présenté à la Cour une demande en indication de mesure conservatoire en invoquant le paragraphe 1 de l’article 41 du Statut de la Cour;
    9.
    Considérant que, dans cette demande en indication de mesure conservatoire, le Congo expose que le «mandat d’arrêt litigieux interdit pratiquement au ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo de sortir de cet Etat pour se rendre en tout autre Etat où sa mission l’appelle et, par conséquent, d’accomplir cette mission»;
    10.
    Considérant que, dans ladite demande en indication de mesure conservatoire, le Congo fait valoir que «[l]es deux conditions essentielles au prononcé d’une mesure conservatoire, suivant la jurisprudence de la Cour, à savoir l’urgence et l’existence d’un préjudice irréparable, sont manifestement réunies en l’espèce»;
    11.
    Considérant que le Congo précise dans sa demande que celle-ci «tend à faire ordonner la mainlevée immédiate du mandat d’arrêt litigieux»;
    12.
    Considérant que le 17 octobre 2000, date à laquelle la requête et la demande en indication de mesure conservatoire ont été reçues au Greffe, le greffier a avisé le Gouvernement belge du dépôt de ces documents; et que, le 18 octobre 2000, il lui a adressé des copies certifiées conformes de la requête et de la demande conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, ainsi qu’au paragraphe 4 de l’article 38 et au paragraphe 2 de l’article 73 de son Règlement;
    13.
    Considérant qu’en attendant que les communications requises par le paragraphe 3 de l’article 40 du Statut et l’article 42 du Règlement aient été effectuées par transmission de la version bilingue imprimée de la requête aux Etats Membres de l'Organisation des Nations Unies et aux autres Etats admis à ester devant la Cour, le greffier a, le 20 octobre 2000, informé ces Etats du dépôt de la requête et de son objet, ainsi que du dépôt de la demande en indication de mesure conservatoire;
    14.
    Considérant que, le 20 octobre 2000, le greffier a informé les Parties que le président de la Cour avait fixé au 20 novembre 2000 la date d’ouverture de la procédure orale prévue au paragraphe 3 de l’article 74 du Règlement, au cours de laquelle elles pourraient présenter leurs observations sur la demande en indication de mesure conservatoire;
    15.
    Considérant que, par lettre du 30 octobre 2000, la Belgique a désigné un agent et a ajouté qu’elle

    «se réserv[ait] le droit de soulever en temps utile toute exception à la recevabilité ou à la compétence de la Cour dans le respect de la procédure et en accord avec l’article 79 du Règlement de la Cour, et qu’aucun élément dans l’attitude procédurale de la Belgique concernant la requête en indication de mesures provisoires ne [pouvait] être interprétée comme impliquant la renonciation à ce droit ou la confirmation de la compétence de la Cour»;

    16.
    Considérant que, la Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles a procédé, dans l’exercice du droit que lui confère le paragraphe 3 de l’article 31 du Statut, à la désignation d’un juge ad hoc en l’affaire; que le Congo a désigné à cet effet M. Sayeman Bula-Bula, et la Belgique Mme Christine Van den Wyngaert;
    17.
    Considérant qu’aux quatre audiences publiques tenues les 20, 21, 22 et 23 novembre 2000 des observations orales sur la demande en indication de mesure conservatoire ont été présentées:

    au nom du Congo:

    par S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, agent,

    M. Jacques Vergés,

    S. Exc. M. Ntumba Luaba Lumu;

    au nom de la Belgique:

    par M. Jan Devadder, agent,

    M. Daniel Bethlehem,

    M. Eric David;

    et considérant qu’à l’audience une question a été posée au nom de la Cour par le président, à laquelle il a été répondu oralement;

    18.
    Considérant qu’à l’audience du 20 novembre 2000, le Congo a réitéré pour l’essentiel l’argumentation développée dans sa requête et sa demande en indication de mesure conservatoire; qu’il s’est en outre référé à l’article 12 du titre préliminaire du code de procédure pénale belge (intitulé «De l’exercice de l’action publique à raison des crimes ou des délits commis hors du territoire du Royaume») et a souligné que, selon cette disposition, «la poursuite des infractions dont il s’agit dans le présent chapitre n’aura lieu que si l’inculpé est trouvé en Belgique»; qu’il a soutenu que le juge d’instruction belge, dans une ordonnance rendue dans une autre affaire, avait

    «estim[é] que l’article 7 de la loi du 16 juin 1993 déroge[ait] à l’article 12 du titre préliminaire du code de procédure pénale et ne subordonn[ait] donc pas la compétence des juridictions belges à la condition que la personne visée soit trouvée sur le territoire du Royaume»;

    qu’il a indiqué que

    «c'[etait] manifestement cette compétence illimitée que s’attribuerait lui-même l'Etat belge, si l’interprétation de la loi avancée par ce juge était exacte, qui expliqu[ait] l’émission du mandat d’arrêt visant S. Exe. M. Yerodia Ndombasi, contre lequel aucun chef de compétence territoriale ou personnelle, ni de compétence fondée sur la protection de la sûreté ou du crédit du Royaume de Belgique n’aurait, à l’évidence, pu être invoqué»;

    et qu’il a observé que «le Gouvernement belge n’a[vait] pas désavoué cette interprétation depuis l’émission de ce mandat»;

    19.
    Considérant qu’à l’audience le Congo a souligné que sa requête introductive d’instance et sa demande en indication de mesure conservatoire n’avaient «nullement pour objet de prendre fait et cause au titre de la protection diplomatique pour l’un de ses ressortissants», mais de «faire sanctionner des violations du droit international dont souffr[ait] l'Etat congolais dans l’exercice de ses prérogatives souveraines en matière diplomatique»; et qu’il a précisé que « [l]a République met[tait] en cause le mandat d’arrêt du juge belge en tant qu’il vis[ait] non pas la personne de M. Yerodia Ndombasi, mais la fonction de ministre des affaires étrangères»;
    20.
    Considérant qu’à l’audience le Congo a indiqué que «[l]'objet des mesures conservatoires... [était], selon la jurisprudence de la Cour, de «sauvegarder les droits de chacun en attendant que la Cour rende sa décision»» et que «[l]a nécessité d’une telle sauvegarde suppos[ait] deux conditions essentielles, à savoir l’urgence et l’existence d’un préjudice irréparable»; qu’il a allégué, concernant la condition d’urgence, que, «même si certains Etats considér[aient] que [le] mandat [d’arrêt] ne [pouvait] être exécuté... et si le ministre des affaires étrangères a[vait] pu se rendre, en effet, dans certains d’entre eux, ainsi qu’au Siège des Nations Unies, tel n'[était] pas le cas d’autres Etats» et qu'«[a]insi, il ne [pouvait] aller en tout Etat où sa mission l’appel[ait] et, par conséquent,... ne [pouvait] accomplir cette mission de manière satisfaisante»; et qu’il a soutenu, concernant la condition de préjudice irréparable, que « [I]es conséquences de la mise à l’écart de la scène internationale du représentant qualifié de la République démocratique du Congo pendant un temps indéterminé [étaient], par essence, de celles que l’on ne répare pas» et que

    «la demande de la République démocratique du Congo s’appu[yait] sur le précédent que constitue... l’ordonnance du 15 décembre 1979 (Personnel diplomatique et consulaire... des Etats-Unis à Téhéran), dans laquelle [la] Cour a[vait] estimé que la violation de l’immunité diplomatique créait une situation nécessitant le prononcé d’une mesure conservatoire»;

    21.
    Considérant qu’à l’audience le Congo a également excipé du «caractère sérieux des moyens de la requête au fond»; qu’il a réitéré à cette fin l’argumentation développée dans sa requête; et qu’il a ajouté que

    «[i]l n'[était] pas demandé à la Cour pour l’instant de se prononcer sur le mérite de ces moyens de droit, mais de constater qu’ils présentaient] un caractère sérieux et qu’ils justifiaient] que la République démocratique du Congo ne subisse pas plus longtemps la capitis deminutio qu’a[vait] prétendu lui infliger un juge belge, dont le Royaume de Belgique [devait] répondre»;

    22.
    Considérant qu’à l’audience du 21 novembre 2000 l’agent de la Belgique a, dans son exposé préliminaire, observé ce qui suit: «[s]elon nos informations M. Yerodia..., aujourd'hui, n’est plus ministre des affaires étrangères» du Congo;
    23.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a fait référence à ce qui constitue selon elle «le contexte historique des événements survenus en République démocratique du Congo et les réactions de la communauté internationale»; qu’elle a évoqué à cet égard, d’une part, les «violations massives et systématiques des droits de l'homme et du droit international humanitaire» qui avaient marqué les événements survenus dans la région des grands lacs et, d’autre part, les résolutions adoptées en la matière par le Conseil de sécurité des Nations Unies; qu’elle a notamment cité la résolution 1291 (2000) du 24 février 2000 aux termes de laquelle ledit Conseil

    « 14. Condamne tous les massacres perpétrés sur le territoire de la République démocratique du Congo et alentour, et demande instamment qu’une enquête internationale y soit consacrée en vue de traduire les responsables en justice»

    et

    « 15. Demande à toutes les parties en conflit en République démocratique du Congo de protéger les droits de l'homme et de respecter le droit international humanitaire et la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, ainsi que de s’abstenir ou de cesser d’appuyer ceux que l’on soupçonne d'être impliqués dans le crime de génocide, dans des crimes contre l'humanité ou dans des crimes de guerre, ou de s’associer avec eux, de quelque manière que ce soit, ainsi que de traduire les responsables en justice et de permettre que le nécessaire soit fait, conformément au droit international, pour que ceux qui auraient commis des violations du droit international humanitaire aient à en répondre»;

    et qu’elle a observé que «[l]e juge [Vandermeersch] avait agi dans le cadre de l’action que le Conseil de sécurité avait exhorté la communauté internationale à prendre»;

    24.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a soutenu que «la loi [belge] de 1993 et ses amendements de 1999 se born[aient] simplement à adapter le droit interne belge aux obligations que la Belgique a[vait] contractées au plan international»; qu’elle a indiqué que «[l]'article 7 de la loi consacrait]... la compétence universelle du juge belge» et que «[c]ette compétence... [était] pleinement conforme au deuxième alinéa de l’article commun 49/50/129/146 des conventions de Genève de 1949»; qu’elle a observé que

    « [l]es amendements apportés le 10 février 1999 à la loi de 1993 se born[aient] pour l’essentiel à inclure dans le champ d’application ratione materiae de la loi deux incriminations : le crime contre l'humanité et le génocide»;

    et qu’elle a précisé que

    «l’extension au crime contre l'humanité et au crime de génocide de la compétence universelle qui était déjà prévue par l’article 7 de la loi de 1993... n'fétait]... que la traduction en droit interne d’une obligation reconnue de longue date par le droit international général»;

    et considérant que la Belgique s’est référée à un «élément apporté par la loi de 1999: le refus de toute immunité au représentant de l'Etat, de quelque rang qu’il soit, s’il est impliqué dans un des crimes visés par la loi»; qu’elle a soutenu que

    «le législateur [n’avait] fait que transcrire dans le texte légal une règle qui remontait] au statut du Tribunal de Nuremberg..., voire au traité de Versailles à propos de la mise en accusation de l’ex-empereur d'Allemagne et des auteurs de crimes de guerre commis en 19141918»;

    et qu’elle a allégué que

    «[c]ette règle a[vait] été ensuite confirmée par le Tribunal de Nuremberg lui-même dans son jugement de 1946, puis dans le statut du Tribunal de Tokyo..., puis dans la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide..., par la Commission du droit international [des Nations Unies], tant dans la formulation des principes de Nuremberg, que dans le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité de 1996..., sans parler des statuts des Tribunaux pénaux internationaux..., de la Cour pénale internationale... et tout récemment du Tribunal spécial pour la Sierra Leone»;

    25.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a exposé «que le mandat d’arrêt ne résult[ait] nullement d’une initiative personnelle du juge»; qu’elle a précisé que «le magistrat instructeur avait été saisi d’un côté par un réquisitoire du procureur du Roi de Bruxelles, d’un autre côté par des plaintes de particuliers»; qu’elle a indiqué qu'«il ressort[ait] d’informations obtenues du parquet de Bruxelles que, sur les douze plaignants, cinq [étaient] de nationalité belge et sept de nationalité congolaise» et que «[t]ous [étaient] domiciliés en Belgique»; et qu’elle a souligné qu'«il exist[ait] des liens de rattachement clairs et raisonnables entre les faits en cause et la Belgique, à travers la nationalité ou le domicile des victimes de ces faits»;
    26.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a fait état de ce que

    «[l]e mandat not[ait] que les 4 et 27 août 1998, M. Yerodia Ndombasi, alors chef de cabinet du président Kabila, aurait tenu différents discours publics relayés par les médias et incitant à la haine raciale, discours qui auraient contribué au massacre de plusieurs centaines de personnes, principalement d’origine tutsi»,

    et que «[c]es faits [étaient] cités dans [d]es rapports des Nations Unies»; et qu’elle a aussi indiqué que «le juge d’instruction a[vait] pleinement tenu compte du contexte dans lequel les paroles de M. Yerodia Ndombasi [avaient] été prononcées»;

    27.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a observé ce qui suit:

    «[l]e juge d’instruction a... tenu compte des problèmes d’immunité découlant de l’inculpation d’un ministre... en écartant toute idée d’arrestation immédiate de M. Yerodia Ndombasi si celui-ci devait venir en Belgique à la suite d’une invitation officielle du Gouvernement belge: l’invitation impliquerait en effet renonciation de la Belgique à faire exécuter le mandat pendant la durée du séjour officiel, et l’autorité judiciaire ne pourrait en faire abstraction sous peine de mettre en cause la responsabilité internationale de l'Etat belge » ;

    et qu’elle a ajouté que «[m]utatis mutandis, il en irait de même si M. Yerodia Ndombasi devait venir en Belgique ou passer par la Belgique dans le cadre d’une invitation qui lui serait adressée par une organisation internationale dont la Belgique est membre»;

    28.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a reconnu que, si M. Yerodia Ndombasi était arrêté, «son droit à la liberté individuelle [serait] affecté»; qu’elle a fait valoir que «[t]outefois, comme l’atteinte au droit de M. Yerodia Ndombasi se situe[rait] dans le cadre de poursuites pénales régulières, cette atteinte [ferait] partie des exceptions admises par tous les instruments protecteurs des droits de la personne»; qu’elle en a conclu qu'«[a]ucun droit n’ayant été violé, le Congo ne pourrait prétendre que l’atteinte à la liberté de M. Yerodia Ndombasi est une violation du droit international affectant directement le Congo»; et qu’elle a ajouté que la qualité de ministre de M. Yerodia Ndombasi «ne change[rait] rien à cette conclusion», «la qualité de représentant d’un Etat [n’autorisant pas à] violer la loi, qu’elle soit interne ou internationale»;
    29.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a exposé qu'«un mandat d’arrêt international... ne [pouvait] produire d’effets contraignants sur le territoire d’un Etat étranger que si ce dernier accept[ait] d’apporter son assistance à la mise en œuvre de ce droit»; qu'«aucun traité bilatéral spécifique d’extradition ou d’entraide judiciaire ne li[ait] les deux Etats»; que « [l]es effets extra-territoriaux du mandat [étaient] donc entièrement subordonnés à la volonté de l'Etat requis, ici, le Congo, de lui donner suite ou non»; et considérant que la Belgique a allégué que «la délivrance de ce mandat d’arrêt [était] un moyen d’aider le Congo à exercer un droit qui... [était] aussi une obligation pour le Congo, à savoir, arrêter et poursuivre M. Yerodia Ndombasi devant les juridictions congolaises pour les faits qui lui sont imputés»;
    30.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a soutenu ce qui suit :

    «le mandat d’arrêt belge n’est pas plus directement exécutoire sur le territoire d’un Etat tiers que sur le territoire du Congo. Dans les deux cas, le concours des autorités locales est indispensable; le mandat d’arrêt ne peut atteindre l’intéressé à l’étranger que si l'Etat hôte accepte d’y donner suite. En pareil cas, ce serait donc, non la Belgique qui porterait atteinte à la liberté de M. Yerodia Ndombasi, mais l'Etat tiers requis»;

    31.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a expliqué qu'«une demande en indication de mesures conservatoires... constitue une procédure exceptionnelle», qu’elle implique que la Cour ait compétence prima facie et que

    «[i]l s' agit, ainsi que la jurisprudence de la Cour l’indique clairement, de savoir si des mesures conservatoires sont nécessaires dans les circonstances de l’affaire, s’il existe un risque sérieux qu’un préjudice irréparable soit porté aux droits dont la Cour pourrait décider par la suite qu’ils appartiennent à l’une ou l’autre des Parties»;

    32.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique, concernant la question de la compétence de la Cour, a fait valoir que la requête

    «ne mentionn[ait] aucune base de compétence précise[,] ne fai[sait] référence à aucun traité bilatéral ou multilatéral prévoyant la compétence de la Cour en application du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut [et] n’invoqu[ait] pas pour fonder la compétence [de la Cour] les déclarations des Parties au titre de la clause facultative»;

    et que la Belgique en a conclu que «la Cour devrait rejeter la demande en indication de mesures conservatoires de la République démocratique du Congo»; et considérant que la Belgique a ajouté que «, eu égard à la formulation employée par la République démocratique du Congo sur la compétence et pour éviter toute équivoque, [elle] réserv[ait] expressément [sa] position... sur la question de la compétence et de la recevabilité»;

    33.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique, concernant la question des droits à sauvegarder, a expliqué que «[l]a condition requise... [était] que les droits que le demandeur cherche à sauvegarder ne soient pas illusoires, soient l’objet du différend dans la procédure sur le fond et soient, d’une manière ou d’une autre, menacés par les actes dont se plaint le requérant»; qu’elle a allégué qu’en l’espèce «le «droit» qui aurait besoin d'être sauvegardé par l’indication de mesures conservatoires serait le «droit» du ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo de se rendre à l’étranger pour le compte de son gouvernement»; qu’elle a ajouté ce qui suit:

    «L'activité diplomatique requiert évidemment que les représentants des Etats puissent voyager à l’étranger pour la conduite des affaires de leur Etat. Mais le fait est que voyager à l’étranger ne constitue pas un droit. C'est une fonction... de l’activité diplomatique... Cette fonction exige le consentement de l'Etat hôte»;

    et qu’elle en a conclu que

    «[l]a République démocratique du Congo n’a[vait] pas montré qu’il exist[ait] un droit qui d’après elle demanderait à être sauvegardé par l’indication de mesures conservatoires... [et] que la Cour devrait rejeter... à ce titre la demande de la République démocratique du Congo en indication de mesures conservatoires»;

    34.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique, concernant la condition de préjudice irréparable, a fait valoir entre autres que «le critère [n’était pas] celui... du désagrément ou de la difficulté, ou de l’irritation», que «la question qui se pos[ait]... [était] de savoir s’il exist[ait] un risque réel que soit porté un préjudice irréparable aux droits de la République démocratique du Congo», et que «[l]es événements des dernières vingt-quatre heures, au cours desquelles M. Yerodia Ndombasi a[vait] cessé d'être le ministre des affaires étrangères, montr[aient] bien qu’il n’exist[ait] aucun risque de porter un tel préjudice [à ces droits]»; qu’elle a soutenu que «[p]our ainsi dire aucune preuve n’a[vait] été présentée d’un préjudice qui aurait été porté aux droits de la République démocratique du Congo depuis le 11 avril (ou le 12 juillet) 2000» et qu'«[i]l n'y a[vait] même aucune indication que M. Ndombasi ait été très gêné»; et qu’elle a en conséquence prié la Cour «de rejeter... à ce titre la demande de la République démocratique du Congo en indication de mesures conservatoires»;
    35.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique, concernant la condition d’urgence, a allégué que «[m]ême avant le remaniement ministériel..., lors duquel M. Ndombasi s'['était] vu attribuer le portefeuille de l’éducation, il n'y avait aucune urgence»; et qu’elle a exposé ce qui suit:

    « La réalité est que le mandat d’arrêt a été délivré le 11 avril 2000. La République démocratique du Congo en a connaissance depuis au moins le 12 juillet. Jusqu’au moment où elle a déposé sa requête, le 17 octobre dernier, rien n’indiquait qu’il y eût urgence... [L]a Belgique aurait, hier, fait valoir que la demande en indication de mesures conservatoires ne satisfaisait pas à la condition de l’urgence. C'est devenu encore plus évident aujourd'hui, puisque M. Ndombasi n’est plus ministre des affaires étrangères»;

    et considérant qu’elle a en conséquence prié la Cour «de rejeter la demande à ce titre»;

    36.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a en outre indiqué que «la mesure que réclam[ait] la République démocratique du Congo à titre conservatoire [était] identique à celle qu’elle réclam[ait] sur le fond, à savoir la mainlevée immédiate du mandat d’arrêt»; et qu’elle s’est référée à l’ordonnance rendue par la Cour permanente de Justice internationale le 21 novembre 1927 en l’affaire relative à l’Usine de Chorzów (C.P.J.I. série A n" 12. p. 10), en vue d'étayer son argumentation selon laquelle «[l]a nature exceptionnelle de la procédure d’indication de mesures conservatoires ne permet[tait] pas que soit prononcé un jugement provisionnel adjugeant les conclusions de la requête au fond»;
    37.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a indiqué qu’elle «ne vo[yait] aucun risque de dégradation significative des relations entre la Belgique et la République démocratique du Congo qui serait de nature à justifier des mesures conservatoires [indiquées proprio motu]»-,
    38.
    Considérant qu’à l’audience la Belgique a observé que «c'[était] de longue date que le Conseil de sécurité et l'Organisation des Nations Unies dans son ensemble s’intéress[aient] à la République démocratique du Congo à propos d'événements du type de ceux qui [faisaient] l’objet du mandat d’arrêt» et que «la façon dont [ils] [avaient] réagi aux événements en cause survenus en République démocratique du Congo milit[ait] très fortement contre toute indication de mesures conservatoires du genre de celle que réclam[ait] [le Congo]»;
    39.
    Considérant qu’au terme de son premier tour de plaidoiries la Belgique a néanmoins déclaré qu’elle

    «n’a[vait] pas d’objection à ce que la Cour décide, en application des pouvoirs que lui confère l’article 75, paragraphe 1 ou 2, du Règlement, d’indiquer des mesures conservatoires consistant à demander aux deux Parties d’examiner, en toute bonne foi, les difficultés soulevées par le mandat d’arrêt en vue de trouver une solution au différend d’une manière conforme à leurs obligations en droit international, y compris les résolutions 1234 (1999) et 1291 (2000) du Conseil de sécurité»;

    40.
    Considérant qu’à l’audience du 22 novembre 2000, lors de son second tour de plaidoiries, le Congo a soutenu que «[l]a condition internationale du ministre des affaires étrangères obéi[ssait] au principe d’assimilation à [celle] du chef d'Etat étranger en ce qui concerne l’immunité et l’inviolabilité» et que «tout ministre envoyé par son Etat pour le représenter à l’extérieur, traiter avec des Etats tiers ou des organisations internationales, le cas échéant l’engager, joui[ssait], sensu lato, également des privilèges et immunités»; qu’il a précisé que

    «[s]'agissant de M. Yerodia, hier ministre d'Etat chargé des affaires étrangères, aujourd'hui ministre d'Etat chargé de l’éducation nationale,... il sera[it] appelé à se déplacer, à répondre à des invitations à l’extérieur, à se rendre dans des enceintes internationales...»

    et qu'« [i]l sera[it] appelé à être envoyé souvent comme représentant personnel et plénipotentiaire du chef de l'Etat pour le représenter à l’extérieur»; que le Congo a ajouté qu’à ce titre M. Yerodia Ndombasi «bénéficiera[it], sans nul doute, du principe d’assimilation au chef de l'Etat, au chef de gouvernement et au ministre des affaires étrangères, comme le laisse par ailleurs supposer l’article 7, paragraphe 2 c), de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités»;

    41.
    Considérant qu’à cette audience le Congo a fait valoir que «le mandat international litigieux viol[ait] le «principe de non-rétroactivité»»; qu’il s’est référé à l’appui de son argumentation à l’article 2, alinéa 1, du Code pénal belge, ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950;
    42.
    Considérant qu’à la même audience le Congo a indiqué que, « [p]rima facie, la compétence de la Cour ne [pouvait] être contestée» et qu’elle

    «découl[ait] clairement des déclarations facultatives de reconnaissance de la juridiction obligatoire de la Cour faites par le Royaume de Belgique et la République démocratique du Congo, respectivement le 3 avril 1958 et le 8 février 1989,... [e]t qui, apparemment, [étaient] sans réserve»;

    43.
    Considérant qu’à ladite audience le Congo a déclaré ce qui suit:

    « la République démocratique du Congo demande à la Cour d’ordonner à la Belgique de se conformer au droit international; de cesser et de s’abstenir de tout comportement de nature à accentuer le différend avec la République démocratique du Congo; en particulier, de procéder à la mainlevée du mandat d’arrêt international délivré contre le ministre Yerodia.

    D'une manière générale, la République démocratique du Congo demande à la Cour, sur la base de l’article 75, paragraphes 1 et 2, de son Règlement, des mesures consistant, entre autres, à inviter les deux Parties — la Belgique, en particulier, et la République démocratique du Congo — à adopter un comportement qui empêche la persistance, l’aggravation et l’extension du différend, notamment en faisant disparaître la cause essentielle de ce différend»;

    44.
    Considérant qu’au terme de son second tour de plaidoiries, le Congo a demandé

    «à la Cour de dire le droit en tenant compte de l’assentiment des deux Parties à régler éventuellement et diplomatiquement cette affaire à l’amiable et en persuadant... le juge belge Vandermeersch de retirer son mandat qu’il a lancé sur le plan international»;

    45.
    Considérant qu’à l’audience du 23 novembre 2000, lors de son second tour de plaidoiries, la Belgique a expliqué qu’elle s’opposait «à ce qu’un chef de compétence soit invoqué au stade du second tour de plaidoiries»; et que, se référant à la jurisprudence de la Cour, elle a observé qu'«une démarche aussi tardive, lorsqu’elle n’est pas acceptée par l’autre partie, met gravement en péril le principe du contradictoire et la bonne administration de la justice»;
    46.
    Considérant qu’à cette audience la Belgique a soutenu qu'«[i]l n'[était] pas exact de dire [que sa déclaration au titre de la clause facultative était] «sans réserve»»; qu’elle a souligné que «[d]ans son dispositif, [ladite déclaration] écart[ait] la compétence de la Cour pour les cas «où les parties auraient convenu ou conviendraient d’avoir recours à un autre mode de règlement pacifique»»; et qu’elle a fait valoir que «la question du mandat d’arrêt était activement débattue au plus haut niveau entre [les deux Etats] au moment où le ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo a[vait] autorisé Mc Vergés à intenter l’action»;
    47.
    Considérant qu’à la même audience la Belgique, concernant les conditions de préjudice irréparable et d’urgence, a exposé que

    « [l]e remaniement qui a[vait] conduit à la nomination d’un nouveau ministre des affaires étrangères rédui[sait] à néant le moyen tiré des obstacles mis aux déplacements du ministre des affaires étrangères, qui aurait pu être invoqué à titre supplétif pour étayer l’existence d’un préjudice irréparable»

    et que «[ledit] remaniement... annul[ait] tout moyen supplétif qui aurait pu étayer la thèse de l’urgence»;

    48.
    Considérant qu’à ladite audience la Belgique, se référant au remaniement ministériel susmentionné, a soutenu que cette circonstance nouvelle rendait la demande de mesure conservatoire sans objet et devrait conduire la Cour à rayer l’affaire du rôle dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice;
    49.
    Considérant qu’à cette audience la Belgique s’est encore référée aux indications qu’elle avait données lors de son premier tour de plaidoiries en ce qui concerne une demande de la Cour à adresser aux Parties (voir paragraphe 39 ci-dessus); qu’elle a observé à cet égard que [l]es conclusions du vice-ministre de la justice et des affaires parlementaires de la République démocratique du Congo semblaient... soutenir une telle approche»; qu’elle a ajouté qu’elle «regrett[ait] que les présentes procédures devant la Cour puissent donner l’impression de [la] placer en situation de conflit avec la République démocratique du Congo»; et qu’elle a affirmé qu'«il n’exist[ait] aucun risque de détérioration des relations entre les deux pays»;
    50.
    Considérant qu’au terme de son second tour de plaidoiries, la Belgique a présenté les conclusions suivantes:

    « Le Royaume de Belgique demande qu’il plaise à la Cour de rejeter la demande en indication de mesures conservatoires introduite par la République démocratique du Congo dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique) et de ne pas indiquer les mesures conservatoires faisant l’objet de la demande de la République démocratique du Congo.

    Le Royaume de Belgique demande qu’il plaise à la Cour de rayer du rôle l’affaire du Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique) introduite par la République démocratique du Congo contre la Belgique par requête en date du 17 octobre 2000»;

    51.
    Considérant qu’au cours de la présente procédure la Cour a été informée par la Belgique que, le 20 novembre 2000, un remaniement ministériel était intervenu au Congo, à l’issue duquel M. Yerodia Ndombasi, visé par le mandat d’arrêt du 11 avril 2000, avait cessé d’exercer les fonctions de ministre des affaires étrangères et s'était vu confier celles de ministre de l’éducation nationale; que cette information a été confirmée par le Congo;
    52.
    Considérant que la Belgique a fait valoir que, de ce fait, la demande en indication de mesures conservatoires du Congo, qui était entièrement axée sur l’impossibilité pratique pour le ministre des affaires étrangères «de sortir de cet Etat pour se rendre en tout autre Etat où sa mission l’appel[ait] et, par conséquent, d’accomplir cette mission», était devenue sans objet et devait donc être rejetée; et considérant qu’elle a en outre soutenu «qu’un tel changement fondamental de circonstances altér[ait] la requête... au point d'hypothéquer l’ensemble des procédures à venir sur base de cette requête» et a prié la Cour d’ordonner que l’affaire soit rayée du rôle;
    53.
    Considérant qu’anticipant l’argumentation de la Belgique sur le défaut d’objet allégué de la requête, le Congo a souligné qu’en tout état de cause la Belgique avait violé les immunités du ministre des affaires étrangères au moment où le mandat avait été lancé et que, compte tenu de «la technicité et la complexification croissante des relations internationales», «tout ministre envoyé par son Etat pour le représenter à l’extérieur... joui[ssait], sensu lato,... [de telles] immunités»;
    54.
    Considérant qu’il échet, pour la Cour, de se pencher tout d’abord sur la question de savoir si, du fait du remaniement ministériel opéré, la requête du Congo a été privée d’objet et doit par suite être rayée du rôle; et qu’elle examinera ensuite, le cas échéant, la question différente de savoir si, du fait dudit remaniement, la demande en indication de mesures conservatoires du Congo est devenue sans objet et doit dès lors être rejetée;
    56.
    Considérant qu’aux fins d'établir si la requête du Congo est devenue sans objet, il échet d’identifier le contenu de la demande qui y est formulée; qu’aux termes de la requête «[i]l est demandé à la Cour de dire que [la]... Belgique devra annuler le mandat d’arrêt... décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères... du Congo, M. Abdulaye Yerodia Ndombasi»; que ledit mandat n’a pas, à ce jour, été rapporté et qu’il vise toujours la même personne, nonobstant les nouvelles fonctions ministérielles qu’elle exerce; et qu’au cours des audiences le Congo a maintenu sa demande au fond ainsi que les divers moyens à l’appui de celle-ci;
    57.
    Considérant qu’au vu de ce qui précède la Cour conclut que la requête du Congo n’a pas, à l'heure actuelle, été privée d’objet; et qu’elle ne saurait dès lors accéder à la demande de la Belgique tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle à ce stade de la procédure;
    58.
    Considérant que cette conclusion ne résout cependant pas la question différente de savoir si la demande en indication de mesures conservatoires a ou non été privée d’objet après le 20 novembre 2000; que la Belgique prétend que ladite demande est désormais sans objet;
    59.
    Considérant que la demande en indication de mesure conservatoire présentée par le Congo après le dépôt de sa requête «tend à faire ordonner la mainlevée immédiate du mandat d’arrêt litigieux»; que, comme il vient d'être observé (voir paragraphe 56 ci-dessus), ce mandat d’arrêt continue de viser nommément M. Yerodia Ndombasi; qu’à l’audience le Congo a maintenu sa demande originelle en la présentant comme suit:

    « En conséquence, la République démocratique du Congo demande à la Cour d’ordonner à la Belgique de se conformer au droit international; de cesser et de s’abstenir de tout comportement de nature à accentuer le différend avec la République démocratique du Congo; en particulier de procéder à la mainlevée du mandat d’arrêt international... contre le ministre Yerodia»;

    que le Congo estime que M. Yerodia Ndombasi continue à jouir d’immunités rendant illicite le mandat d’arrêt; qu’il a en outre maintenu l’argumentation fondée sur l’urgence et sur le risque de préjudice irréparable, avancées à l’appui de sa demande;

    60.
    Considérant que la Cour conclut de ce qui précède que la demande en indication de mesures conservatoires du Congo n’a pas été privée d’objet du fait de la nomination de M. Yerodia Ndombasi comme ministre de l’éducation nationale le 20 novembre 2000;
    61.
    Considérant que chacune des deux Parties a fait une déclaration reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour; que la déclaration de la Belgique, déposée auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies le 17 juin 1958, est ainsi libellée:

    «Au nom du Gouvernement belge, je déclare reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale vis-à-vis de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour internationale de Justice, conformément à l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, sur tous les différends d’ordre juridique nés après le 13 juillet 1948 au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette date, sauf le cas où les parties auraient convenu ou conviendraient d’avoir recours à un autre mode de règlement pacifique.

    La présente déclaration est faite sous réserve de ratification. Elle entrera en vigueur le jour du dépôt de l’instrument de ratification, pour une période de cinq ans. A l’expiration de cette période, elle restera en vigueur jusqu’à notification de son abrogation»;

    et que la déclaration du Congo (alors Zaïre), déposée auprès du Secrétaire général le 8 février 1989, se lit comme suit:

    «conformément à l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour internationale de Justice:

    Le Conseil exécutif de la République du Zaïre reconnaît comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l’égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour internationale de Justice pour tous les différends d’ordre juridique ayant pour objet:

    a) l’interprétation d’un traité;

    b) tout point de droit international;

    c) la réalité de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un engagement international;

    d) la nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un engagement international.

    Il est entendu en outre que la présente déclaration restera en vigueur aussi longtemps qu’avis de sa révocation n’aura pas été donné»;

    62.
    Considérant que, se fondant sur l’ordonnance rendue par la Cour le 2 juin 1999 en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique) (C.I.J. Recueil 1999, par. 44), la Belgique a soutenu au cours de la présente procédure que, le Congo n’ayant expressément invoqué que tardivement, lors du second tour de plaidoiries, les deux déclarations suscitées, la Cour ne saurait prendre celles-ci en considération aux fins de décider si elle peut ou non indiquer des mesures conservatoires dans le cas d’espèce (voir paragraphe 45 ci-dessus);
    63.
    Considérant que, même si le Congo n’a pas exposé de manière très précise, dans sa requête, les bases sur lesquelles il entendait fonder la compétence de la Cour, ladite requête n’en vise pas moins l’acceptation de la juridiction de la Cour par la Belgique; que, conformément au paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement, «[l]a requête indique autant que possible les moyens de droit sur lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour» (les italiques sont de la Cour) et qu’il appartient en tout état de cause à la Cour de rechercher dans chaque cas si elle a compétence; que, comme il a été rappelé ci-dessus (voir paragraphe 61), les déclarations par lesquelles la Belgique et le Congo ont reconnu la juridiction obligatoire de la Cour ont été dûment déposées auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, et que celui-ci en a transmis copie à la Cour ainsi qu’à tous les Etats parties au Statut, en application du paragraphe 4 de l’article 36 dudit Statut; que ces déclarations ont été reproduites dans l’Annuaire de la Cour; que les déclarations en question sont par suite connues tant de la Cour que des Parties à la présente affaire, qui ne sont pas sans savoir que «la compétence de la Cour... repose sur le consentement des Etats, tel qu’il peut s’exprimer par divers moyens, et notamment par des déclarations faites en application de l’article 36, paragraphe 2, du Statut» (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d'Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 32, par. 44); que, compte tenu de la présentation adoptée dans la requête et des conclusions présentées par le Congo, la Belgique ne pouvait pas ne pas s’attendre à ce que les déclarations faites par les deux Parties entrent en ligne de compte pour fonder la compétence de la Cour en l’espèce; que la Belgique a dès lors été en mesure de concevoir et de faire valoir toute argumentation qu’elle eût estimé appropriée à cet égard; et que l’invocation, par le Congo, desdites déclarations lors du second tour de plaidoiries sur la demande en indication de mesures conservatoires ne saurait partant avoir été de nature à mettre «gravement en péril le principe du contradictoire et la bonne administration de la justice» (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, par. 44);
    64.
    Considérant qu’au vu de ce qui précède la Cour estime que rien ne s’oppose à ce qu’elle prenne en considération, aux fins de décider si elle peut ou non indiquer des mesures conservatoires dans le cas d’espèce, les déclarations par lesquelles les Parties ont accepté sa juridiction obligatoire;
    65.
    Considérant cependant que, dans le dernier état de son argumentation en la présente procédure, la Belgique a en outre fait observer qu’aux termes de sa déclaration elle avait exclu la juridiction obligatoire de la Cour dans le cas «où les parties auraient convenu ou conviendraient d’avoir recours à un autre mode de règlement pacifique»; et qu’elle a indiqué qu’en l’occurrence des négociations au plus haut niveau concernant le mandat d’arrêt décerné le 11 avril 2000 étaient en cours au moment où le Congo avait saisi la Cour (voir paragraphe 46 ci-dessus);
    66.
    Considérant que la Belgique n’a toutefois fourni à la Cour aucune autre précision quant à ces négociations, notamment quant à la manière dont elles ont été menées, à leur durée, à leur portée ou à leur état d’avancement au moment du dépôt de la requête congolaise; que la Cour n’est pas en mesure de déterminer si, en l’espèce, les Parties étaient convenues d'écarter temporairement toute saisine de la Cour du fait des négociations engagées et pendant la durée de celles-ci; qu’au surplus la Belgique n’a pas fait connaître à la Cour les conséquences précises qu’elle entendait tirer de la tenue desdites négociations, ou plus généralement de la tenue de négociations, au regard de la compétence de la Cour, en particulier pour indiquer des mesures conservatoires;
    67.
    Considérant qu’en présence d’une demande en indication de mesures conservatoires la Cour n’a pas besoin, avant de décider d’indiquer ou non de telles mesures, de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire, mais qu’elle ne peut cependant indiquer ces mesures que si les dispositions invoquées semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée;
    68.
    Considérant que la Cour conclut que les déclarations faites par les Parties conformément au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut constituent prima facie une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée en l’espèce; et qu’une telle compétence ne saurait être exclue, à ce stade de la procédure, du seul fait des négociations évoquées par la Belgique;
    69.
    Considérant que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des Parties en attendant qu’elle rende sa décision, et présuppose qu’un préjudice irréparable ne doit pas être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire; qu’il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait éventuellement reconnaître, soit au demandeur, soit au défendeur; et considérant que de telles mesures ne sont justifiées que s’il y a urgence;
    70.
    Considérant que, dans sa requête, le Congo demande à la Cour l’annulation du mandat d’arrêt international délivré contre M. Yerodia Ndombasi par un juge d’instruction belge le 11 avril 2000; qu’il soutient que ce mandat contrevient au droit international relatif à la compétence des juridictions pénales nationales et aux immunités des chefs d'Etat et membres de gouvernements; qu’en sollicitant à titre de mesure conservatoire la mainlevée du mandat d’arrêt, le Congo entend préserver ses droits à ce double titre;
    71.
    Considérant que les circonstances alléguées par le Congo, et qui exigent, selon lui, l’indication d’une telle mainlevée, sont exposées comme suit dans la demande qu’il a présentée le 17 octobre 2000:

    «[L]e mandat d’arrêt litigieux interdit pratiquement au ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo de sortir de cet Etat pour se rendre en tout autre Etat où sa mission l’appelle et, par conséquent, d’accomplir cette mission»;

    72.
    Considérant qu’à la suite du remaniement ministériel intervenu le 20 novembre 2000, M. Yerodia Ndombasi a cessé d’exercer les fonctions de ministre des affaires étrangères et s’est vu confier celles de ministre de l’éducation nationale, moins exposées à des déplacements fréquents à l’étranger; et considérant qu’en conséquence il n’est pas établi qu’un préjudice irréparable pourrait être causé dans l’immédiat aux droits du Congo et que le degré d’urgence soit tel qu’il y ait lieu de protéger ces droits par l’indication de mesures conservatoires;
    73.
    Considérant qu’au vu de la conclusion à laquelle la Cour est ainsi parvenue, point n’est besoin pour elle d’examiner chacun des arguments présentés par ailleurs par la Belgique en vue du rejet de la demande en indication de mesures conservatoires, et notamment l’argumentation selon laquelle la mesure tendant à la mainlevée du mandat d’arrêt que le Congo demande à titre conservatoire serait identique à celle que le Congo réclame au fond;
    74.
    Considérant que, lors de son second tour de plaidoiries, le Congo a prié la Cour d’inviter les deux Parties «à adopter un comportement qui empêche la persistance, l’aggravation et l’extension du différend, notamment en faisant disparaître la cause essentielle de ce différend»; qu’il lui a en outre demandé de tenir «compte de l’assentiment des deux Parties à régler éventuellement et diplomatiquement cette affaire à l’amiable et en persuadant... le juge belge Vandermeersch de retirer son mandat qu’il a lancé sur le plan international»;
    75.
    Considérant que la Belgique a, au cours de ses plaidoiries, indiqué qu’elle n’aurait pas d’objection à ce que la Cour demande aux Parties d’examiner conjointement, en toute bonne foi, les difficultés soulevées par le mandat d’arrêt en vue de trouver une solution conforme à leurs obligations en droit international (voir paragraphes 39 et 49 ci-dessus);
    76.
    Considérant que, si les Parties apparaissent disposées à envisager de régler le différend qui les oppose à l’amiable, les positions qu’elles ont exposées devant la Cour quant à leurs droits respectifs demeurent fort éloignées; que, si toute négociation bilatérale en vue de parvenir à un règlement direct et amiable demeure la bienvenue, l’issue d’une telle négociation ne saurait être préjugée; qu’il est souhaitable que les questions soumises à la Cour soient tranchées aussitôt que possible; que dès lors, il convient de parvenir à une décision sur la requête du Congo dans les plus brefs délais;
    77.
    Considérant qu’une décision rendue en la présente procédure ne préjuge en rien la compétence de la Cour pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond lui-même, et qu’elle laisse intact le droit des Gouvernements du Congo et de la Belgique de faire valoir leurs moyens en ces matières;
    78.
    Par ces motifs,

    La Cour,

    1) A l’unanimité,

    Rejette la demande du Royaume de Belgique tendant à ce que l’affaire soit rayée du rôle;

    2) Par quinze voix contre deux,

    Dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à la Cour, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer, en vertu de l’article 41 du Statut, des mesures conservatoires.

    pour: M. Guillaume, président ; M. Shi, vice-président; MM. Oda, Bedjaoui, Ranjeva, Herczegh, Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges; Mme Van den Wyngaert, juge ad hoc;

    contre: M. Rezek, juge; M. Bula-Bula, juge ad hoc.

    Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le huit décembre deux mille, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République démocratique du Congo et au Gouvernement du Royaume de Belgique.

    MM. Oda et Ranjeva, juges, joignent des déclarations à l’ordonnance; MM. Koroma et Parra-Aranguren, juges, joignent à l’ordonnance les exposés de leur opinion individuelle; M. Rezek, juge, et M. Bula-Bula, juge ad hoc, joignent à l’ordonnance les exposés de leur opinion dissidente; Mme Van den Wyngaert, juge ad hoc, joint à l’ordonnance une déclaration.

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