« L'Assemblée générale,
Rappelant sa résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, contenant la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux,
Rappelant également ses résolutions 2072 (XX) du 16 décembre 1965, 2229 (XXI) du 20 décembre 1966, 2354 (XXII) du 19 décembre 1967, 2428 (XXIII) du 18 décembre 1968, 2591 (XXIV) du 16 décembre 1969, 2711 (XXV) du 14 décembre 1970, 2983 (XXVII) du 14 décembre 1972 et 3162 (XXVIII) du 14 décembre 1973,
Réaffirmant le droit à l’autodétermination des populations du Sahara espagnol, conformément à la résolution 1514 (XV),
Considérant que la persistance d’une situation coloniale au Sahara occidental compromet la stabilité et l’harmonie dans la région du nord-ouest de l’Afrique,
Tenant compte des déclarations faites devant l’Assemblée générale, le 30 septembre et le 2 octobre 1974, par les Ministres des affaires étrangères du Royaume du Maroc1 et de la République islamique de Mauritanie2,
Prenant noté des déclarations faites devant la Quatrième Commission par les représentants du Maroc3 et de la Mauritanie4, déclarations dans lesquelles les deux pays se sont reconnus mutuellement intéressés au devenir du territoire,
Ayant entendu les déclarations du représentant de l’Algérie5,
Ayant entendu les déclarations du représentant de l’Espagne6,
(Les références ci-après figurent dans le texte adopté par l’Assemblée générale.)
Constatant qu’une controverse juridique a surgi au cours des débats au sujet du statut dudit territoire au moment de sa colonisation par l’Espagne,
Considérant, dès lors, qu’il est hautement souhaitable que l’Assemblée générale obtienne, pour poursuivre l’examen de cette question lors de sa trentième session, un avis consultatif sur certains aspects juridiques importants du problème,
Ayant présents à l'esprit l’Article 96 de la Charte des Nations Unies et l’Article 65 du Statut de la Cour internationale de Justice,
1. Décide de demander à la Cour internationale de Justice, sans préjudice de l’application des principes contenus dans la résolution 1514(XV) de l’Assemblée générale, de donner, à une date rapprochée, un avis consultatif sur les questions suivantes:
« I. Le Sahara occidental (Río de Oro et Sakiet El Hamra) était-il, au moment de la colonisation par l’Espagne, un territoire sans maître (terra nullius)?
Si la réponse à la première question est négative,
II. Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l’ensemble mauritanien?»;
2. Demande à l’Espagne, en tant que Puissance administrante en particulier, ainsi qu’au Maroc et à la Mauritanie, en tant que parties concernées, de soumettre à la Cour internationale de Justice tous renseignements ou documents pouvant servir à élucider ces questions;
3. Invite instamment la Puissance administrante à surseoir au référendum qu’elle a envisagé d’organiser au Sahara occidental tant que l’Assemblée générale ne se sera pas prononcée sur la politique à suivre pour accélérer le processus de décolonisation du territoire, conformément à la résolution 1514 (XV), dans les meilleures conditions, à la lumière de l’avis consultatif qui sera donné par la Cour internationale de Justice;
4. Réitère son invitation à tous les Etats à respecter les résolutions de l’Assemblée générale sur les activités des intérêts étrangers, économiques et financiers, dans le territoire et à s’abstenir d’aider, par des investissements ou par une politique d’immigration, au maintien d’une situation coloniale dans le territoire;
5. Prie le Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de suivre la situation dans le territoire, y compris l’envoi d’une mission de visite dans le territoire, et de faire rapport à ce sujet à l’Assemblée générale lors de sa trentième session. »
« il paraissait y avoir un différend juridique relatif au territoire du Sahara occidental entre le Maroc et l’Espagne; que les questions posées dans la requête pour avis [pouvaient] être considérées comme se rattachant à ce différend et qu’en conséquence, pour l’application de l’article 89 du Règlement, l’avis consultatif sollicité dans cette résolution paraissait être demandé « au sujet d’une question juridique actuellement pendante entre deux ou plusieurs Etats»;
en ce qui concerne la Mauritanie, la Cour a conclu que, s’il résultait des éléments à elle soumis que, au moment de l’adoption de la résolution, « la Mauritanie avait invoqué des considérations diverses à l’appui de l’intérêt particulier qu’elle portait au territoire du Sahara occidental», ces éléments indiquaient, aux fins de la question préliminaire mentionnée plus haut, qu’à l’époque « il paraissait n’y avoir aucun différend juridique relatif au territoire du Sahara occidental entre la Mauritanie et l’Espagne; et qu’en conséquence, pour l’application de l’article 89 du Règlement, l’avis consultatif sollicité» ne paraissait pas « être demandé « au sujet d’une question juridique actuellement pendante» entre ces Etats»; la Cour a déclaré que ces conclusions « ne préjugent en rien la position de tout Etat intéressé à l’égard des problèmes soulevés dans la présente affaire et ne préjugent pas non plus les vues de la Cour sur les questions à elle posées » ou sur toute autre question qu’il pourrait y avoir lieu de trancher dans la suite de la procédure, y compris la question de la compétence de la Cour et de l’opportunité de son exercice. La Cour a dit en conséquence que le Maroc était fondé, en vertu des articles 31 et 68 du Statut et de l’article 89 du Règlement, à désigner une personne pour siéger en qualité déjugé ad hoc mais que, s’agissant de la Mauritanie, les conditions qui rendraient applicables ces articles n’étaient pas remplies.
pour le Maroc: | S. Exc. M. Driss Slaoui, ambassadeur, représentant permanent auprès de l’Organisation des Nations Unies; M. Magid Benjelloun, procureur général à la Cour suprême du Maroc; M. Georges Vedel, doyen honoraire de la faculté de droit de Paris; M. René-Jean Dupuy, professeur à la faculté de droit de Nice, membre de l’Institut de droit international ; M. Mohamed Bennouna, professeur à la faculté de droit de Rabat; M. Paul Isoart, professeur à la faculté de droit de Nice; |
pour la Mauritanie: | S. Exc. M. Moulaye el Hassen, représentant permanent auprès de l’Organisation des Nations Unies; M. Yedali Ould Cheikh, secrétaire général adjoint à la présidence de la République; S. Exc. M. Mohamed Ould Maouloud, ambassadeur; M. Jean Salmon, professeur à la faculté de droit de l’Université libre de Bruxelles; |
pour le Zaïre: | M. Bayona-ba-Meya, Premier président de la Cour suprême du Zaïre, professeur à la faculté de droit de l’Université nationale du Zaïre; |
pour l’Algérie: | S. Exc. M. Mohammed Bedjaoui, ambassadeur d’Algérie en France; |
pour l’Espagne: | S. Exc. M. Ramón Sedó, ambassadeur d’Espagne aux Pays-Bas; M. Santiago Martínez Caro, directeur du cabinet technique du ministre des affaires étrangères; M. José M. Lacleta, conseiller juridique au ministère des affaires étrangères; M. Fernando Arias-Salgado, conseiller juridique au ministère des affaires étrangères; M. Julio. González Campos, professeur ordinaire de droit international à l’Université d’Oviedo. |
« la question de savoir si un juge ad hoc doit être nommé concerne evidemment la composition de la Cour et présente... une priorité logique absolue. Elle doit être tranchée avant l’ouverture de la procédure orale et même avant que toute autre question, fût-elle procédurale, puisse être décidée. Tant qu’elle n’est pas réglée, la Cour ne peut pas poursuivre l’examen de l’affaire. Il est donc logiquement indispensable que toute demande tendant à la désignation d’un juge ad hoc soit traitée comme une question préliminaire sur la base d’une première appréciation des faits et du droit. On ne saurait déduire de cela que la décision de la Cour à ce sujet pourrait trancher de façon irrévocable un point de fond ou un point ayant trait à la compétence de la Cour... affirmer que la question du juge ad hoc ne saurait être valablement réglée tant que la Cour n’a pas été en mesure d’analyser des questions de fond revient à dire qu’il faudrait laisser en suspens la question de la composition de la Cour et, partant, laisser planer un doute sur la validité de la procédure, jusqu’à un stade avancé de l’affaire. » (C.I.J. Recueil 1971, p. 25.)
Il faut aussi noter que, si la Cour avait subordonné ses décisions sur les demandes tendant à la désignation de juges ad hoc à une conclusion définitive sur les points qualifiés de préliminaires, le résultat pratique eût été que ces points — qui sont au nombre des plus importants et des plus controversés en l’espèce — auraient été tranchés avec la participation d’un juge de nationalité espagnole et sans que la question de la désignation de juges ad hoc eût été résolue.
« La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies, ou conformément à ses dispositions, à demander cet avis. »
La présente requête a été formulée conformément à l’article 96, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies, en vertu duquel l’Assemblée générale peut demander à la Cour un avis consultatif sur toute question juridique.
« Selon la Cour, ce n’est pas parce que la question posée met en jeu des faits qu’elle perd le caractère de « question juridique » au sens de l’article 96 de la Charte. On ne saurait considérer que cette disposition oppose les questions de droit aux points de fait. Pour être à même de se prononcer sur des questions juridiques, un tribunal doit normalement avoir connaissance des faits correspondants, les prendre en considération et, le cas échéant, statuer à leur sujet. » (C.I.J. Recueil 1971, p. 27.)
« C’est là une pure affirmation dénuée de toute justification. Selon l’article 96 de la Charte et l’article 65 du Statut, la Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, abstraite ou non. » (C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 61.)
Dans son avis consultatif du 12 juillet 1973, la Cour a déclaré:
« Le fait que ce ne sont pas les droits des Etats qui sont en cause dans la procédure ne suffit pas à enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut. » (Demande de réformation du jugement n° 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, C.I.J. Recueil 1973, p. 172.)
Bien qu’ils s’inscrivent dans des contextes assez différents, ces passages indiquent que l’on ne doit pas interpréter restrictivement la référence à « toute question juridique » qui figure dans les dispositions de la Charte et du Statut mentionnées plus haut.
a) la juridiction consultative est utilisée dans la présente affaire pour tourner le principe selon lequel la Cour n’a compétence pour régler un différend qu’avec le consentement des parties;
b) les questions telles qu’elles sont formulées soulèvent des problèmes relatifs à l’attribution de la souveraineté territoriale sur le Sahara occidental;
c) la Cour ne possède pas, en ce qui concerne les faits pertinents, les renseignements lui permettant de se prononcer judiciairement sur les questions posées.
« Vous prétendez, Gouvernement espagnol, que le Sahara était res nullius. Vous prétendez que c’était une terre ou un bien qui était en déshérence, vous prétendez qu’il n’y avait aucun pouvoir ni aucune administration établis sur le Sahara; le Maroc prétend le contraire. Alors demandons l’arbitrage de la Cour internationale de Justice de La Haye... Elle dira le droit sur titres... »
L’Espagne a déclaré devant la Cour qu’elle n’a pas consenti alors et ne consent pas aujourd’hui à ce que cette question soit soumise à la juridiction de la Cour.
« Cette objection procède d’une confusion ente les principes qui gouvernent la procédure contentieuse et ceux qui s’appliquent aux avis consultatifs.
Le consentement des Etats parties à un différend est le fondement de la juridiction de la Cour en matière contentieuse. Il en est autrement en matière d’avis, alors même que la demande d’avis a trait à une question juridique actuellement pendante entre Etats. La réponse de la Cour n’a qu’un caractère consultatif: comme telle, elle ne saurait avoir d’effet obligatoire. Il en résulte qu’aucun Etat, Membre ou non membre des Nations Unies, n’a qualité pour empêcher que soit donné suite à une demande d’avis dont les Nations Unies, pour s’éclairer dans leur action propre, auraient reconnu l’opportunité. L’avis est donné par la Cour non aux Etats, mais à l’organe habilité pour le lui demander; la réponse constitue une participation de la Cour, elle-même « organe des Nations Unies », à l’action de l’Organisation et, en principe, elle ne devrait pas être refusée. » (C.I.J. Recueil 1950, p. 71.)
« la présence sur les côtes occidentales d’Afrique, au cours de l’histoire, de citoyens espagnols non soumis à la souveraineté d’autres pays et se consacrant aux affaires ou à la pêche remonte bien loin et a été confirmée conformément au droit international... les souverains du Maroc ont reconnu, à maintes reprises, que leur souveraineté ne s’étendait pas jusqu’aux côtes de la province espagnole actuelle du Sahara ».
« l’évolution ultérieure du droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires » (C.I.J. Recueil 1971, p. 31).
« 2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel.
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et tous autres territoires qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de jouir d’une indépendance et d’une liberté complètes.
6. Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies. »
Ces dispositions, en particulier celles du paragraphe 2, confirment et soulignent ainsi que l’application du droit à l’autodétermination suppose l’expression libre et authentique de la volonté des peuples intéressés.
« Une autre étape importante de cette évolution a été la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale en date du 14 décembre 1960) applicable à tous les peuples et à tous les territoires « qui n’ont pas encore accédé à l’indépendance. » (C.I.J. Recueil 1971, p. 31.)
La Cour a poursuivi en ces termes:
« la Cour doit prendre en considération les transformations survenues dans le demi-siècle qui a suivi et son interprétation ne peut manquer de tenir compte de l’évolution que le droit a ultérieurement connue grâce à la Charte des Nations Unies et à la coutume » (ibid., p. 31.)
Et la Cour concluait ainsi:
« Dans le domaine auquel se rattache la présente procédure les cinquante dernières années ont marqué, comme il est dit plus haut, une évolution importante. Du fait de cette évolution il n’y a guère de doute que la « mission sacrée de civilisation » avait pour objectif ultime l’autodétermination et l’indépendance des peuples en cause. Dans ce domaine comme dans les autres, le corpus juris gentium s’est beaucoup enrichi et, pour pouvoir s’acquitter fidèlement de ses fonctions, la Cour ne peut l’ignorer. » (Ibid., p. 31 et 32.)
a) devenir un Etat indépendant et souverain;
b) s’associer librement à un Etat indépendant;
c) s’intégrer à un Etat indépendant.
De plus certaines dispositions de la résolution 1541 (XV) donnent effet à l’élément essentiel du droit à l’autodétermination tel que l’établit la résolution 1514 (XV). C’est ainsi qu’en vertu du principe VII de la résolution 1541 (XV): « La libre association doit résulter d’un choix libre et volontaire des populations du territoire en question, exprimé selon des méthodes démocratiques et largement diffusées. » Suivant le principe IX:
« L’intégration devra s’être faite dans les conditions suivantes:
b) L’intégration doit résulter du désir librement exprimé des populations du territoire, pleinement conscientes du changement de leur statut, la consultation se faisant selon des méthodes démocratiques et largement diffusées, impartialement appliquées et fondées sur le suffrage universel des adultes. L’Organisation des Nations Unies pourra, quand elle le jugera nécessaire, contrôler l’application de ces méthodes. »
« La création d’un Etat souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un Etat indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple constituent pour ce peuple des moyens d’exercer son droit à disposer de lui-même.» (Les italiques sont de la Cour.)
La résolution 2625 (XXV) dispose en outre:
« Tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres Etats ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d’aider l’Organisation des Nations Unies à s’acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui concerne l’application de ce principe, afin de:
b) mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de la volonté librement exprimée des peuples intéressés. »
« 3. Demande à la Puissance administrante de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour accélérer la décolonisation d’Ifni et d’arrêter avec le Gouvernement marocain, compte tenu des aspirations de la population autochtone, des modalités de transfert des pouvoirs, conformément aux dispositions de la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale. »
Au sujet du Sahara occidental, elle:
« 4. Invite la Puissance administrante à arrêter le plus tôt possible, en corformité avec les aspirations de la population autochtone du Sahara espagnol et en consultation avec les Gouvernements marocain et mauritanien et toute autre partie intéressée, les modalités de l’organisation d’un référendum qui sera tenu sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies afin de permettre à la population autochtone du territoire d’exercer librement son droit à l’autodétermination... »
Etaient en outre énoncées au sujet de ce territoire diverses conditions visant à assurer la libre expression de la volonté populaire et prévoyant notamment l’octroi de facilités par la Puissance administrante à une « mission des Nations Unies pour qu’elle puisse participer activement à l’organisation et au déroulement du référendum ».
« son attachement au principe de l’autodétermination et son souci de voir appliquer ce principe dans un cadre qui garantisse aux habitants du Sahara sous domination espagnole l’expression libre et authentique de leur volonté, conformément aux résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies dans ce domaine ».
« I. Le Sahara occidental (Río de Oro et Sakiet El Hamra) était-il, au moment de la colonisation par l’Espagne, un territoire sans maître (terra nullius) ?
Si la réponse à la première question est négative,
II. Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l’ensemble mauritanien? »
On a fait valoir que les deux questions sont en substance si intimement liées qu’il serait difficile de répondre par l’affirmative à la première sans examiner aussi la réponse à donner à la seconde. Il se peut néanmoins que, dans les circonstances concrètes de l’espèce, la première question appelle une réponse négative indépendamment des conclusions auxquelles la Cour parviendra au sujet de la seconde. En conséquence la Cour examinera séparément et successivement les deux questions.
a) Une série de traités conclus par le Maroc, en particulier un traité conclu avec l’Espagne en 1767 et des traités conclus en 1836, 1856 et 1861 respectivement avec les Etats-Unis d’Amérique, la Grande-Bretagne et l’Espagne, qui contiennent des dispositions au sujet de la délivrance et de la protection des marins faisant naufrage sur les côtes de l’oued Noun ou à proximité.
b) Un traité anglo-marocain de 1895, aux termes duquel la Grande-Bretagne aurait reconnu que « les territoires allant de l’oued Draa au cap Bojador et appelés Tarfaya, comme il est dit plus haut, et à l’intérieur », faisaient partie du Maroc.
c) La correspondance diplomatique concernant l’application de l’article 8 du traité de Tétouan de 1860 et un accord qui aurait été conclu en 1900 avec l’Espagne relativement à la cession d’Ifni, lesquels attesteraient que l’Espagne aurait reconnu que la souveraineté marocaine atteignait au sud le cap Bojador.
d) Un échange de lettres franco-allemand de 1911, où il était convenu que « le Maroc compred toute la partie de l’Afrique du Nord s’étendant entre l’Algérie, l’Afrique occidentale française et la colonie espagnole du Rio de Oro ».
« Sa Majesté impériale met en garde les habitants des Canaries contre toute initiative d’aller pêcher sur les côtes d’oued Noun et au-delà. Il dégage toute responsabilité de ce qui leur arrivera de la part des Arabes du pays auxquels il est difficile d’appliquer les décisions, eux qui n’ont pas de résidence fixe, qui se déplacent comme ils veulent et plantent leurs tentes où ils l’entendent. Les habitants des Canaries sont certains d’être malmenés par ces Arabes. »
Le Maroc soutient en outre que le texte arabe est la seule « version officielle » et doit l’emporter comme étant plus restrictif. Se fondant sur le libellé arabe, il affirme que l’article 18 signifie que le pouvoir de prendre des décisions intéressant les habitants d’« oued Noun et au-delà » était reconnu au Sultan, malgré la difficulté de leur appliquer lesdites décisions.
« Sa Majesté impériale se réserve de délibérer sur le comptoir que S. M. catholique veut fonder au sud du fleuve Noun, car elle ne peut prendre la responsabilité des accidents et des malheurs, sa domination [sus dominios] ne s’étendant pas jusque-là... De Santa Cruz vers le nord, S. M. impériale accorde aux Canariens et aux Espagnols la pêche sans y autoriser aucune autre nation. »
L’Espagne conteste également le sens attribué par le Maroc aux mots cruciaux figurant dans le texte arabe et soutient que le sens qui se dégage du texte espagnol est confirmé par des lettres de la même époque adressées par le Sultan au roi Charles III, ainsi que par d’autres documents diplomatiques et par un traité hispano-marocain de 1799. Il convient de noter en passant que le Maroc conteste à son tour la signification donnée par l’Espagne à certains termes figurant dans les textes arabes des lettres du Sultan et du traité de 1767. L’Espagne n’en soutient pas moins, sur la base de son interprétation des divers textes, que l’article 18 du traité de 1767, loin d’indiquer que l’Espagne reconnaissait la souveraineté du Sultan au sud de l’oued Noun, constitue un désaveu, par le Sultan lui-même, de toute prétention à une autorité dans cette région.
« Si un bâtiment espagnol, de guerre ou de commerce, échoue ou naufrage sur un point quelconque des côtes du Maroc, il sera respecté et protégé dans tout ce qu’il lui faudra conformément aux lois de l’amitié, et ledit bâtiment, avec tout ce qu’il contiendra, sera conservé et restitué à ses maîtres ou au consul général d’Espagne... Si un navire espagnol naufrageait à l’oued Noun ou en tout autre point de cette côte, le roi du Maroc emploiera tout son pouvoir pour sauver le capitaine et l’équipage jusqu’à ce qu’ils retournent dans leur pays, et il sera permis au consul général d’Espagne, au consul, vice-consul, agent consulaire ou leur délégué de prendre toutes les informations ou renseignements qu’ils voudront... Les gouverneurs du roi du Maroc aideront également le consul général d’Espagne, le consul, vice-consul, agent consulaire ou leur délégué dans leurs investigations, conformément aux lois de l’amitié. »
Le Maroc soutient que ces dispositions ainsi que des dispositions similaires d’autres traités reconnaissent que des autorités marocaines — gouverneurs au service du sultan du Maroc — existaient dans le Noun et au Sahara occidental et qu’elles avaient des possibilités d’action effectives. Ces traités reconnaîtraient en outre, d’après le Maroc, la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental puisque l’article 38 précité habilite les autorités espagnoles à faire enquête sur le sort des naufragés en vertu d’une autorisation donnée à cet effet par le Sultan.
« En l’absence de preuve directe, face à des références de seconde main, dont le caractère géographique est vague et général, il est difficile de se prononcer sur la question et, en particulier, d’en tirer des conclusions sur des reconnaissances de caractère territorial par le Gouvernement espagnol. »
« L’Allemagne restera étrangère aux accords particuliers que la France et l’Espagne croiront devoir faire entre elles au sujet du Maroc, étant convenu que le Maroc comprend toute la partie de l’Afrique du Nord s’étendant entre l’Algérie, l’Afrique occidentale française et la colonie espagnole du Río de Oro. »
C’est sur ce dernier passage que se fonde le Maroc; il soutient que, quelle que soit l’interprétation donnée à l’échange de lettres, ce membre de phrase signifie que l’accord reconnaissait l’appartenance de la Sakiet El Hamra au Maroc. Pour étayer cette thèse, le Maroc fait état de certaines correspondances diplomatiques qui, selon lui, démontrent que, lorsque la France et l’Allemagne ont préparé l’échange de lettres, elles entendaient « poser le principe que la Sakiet El Hamra faisait partie du territoire marocain ».
« le Gouvernement de la République française reconnaît dès maintenant au Gouvernement espagnol pleine liberté d’action sur la région comprise entre les degrés 26° et 27° 40' de latitude Nord et le méridien 11 ° Ouest de Paris qui sont en dehors du territoire marocain ».
Elle indique en outre que l’article 2 de la convention franco-espagnole du 27 novembre 1912 énonce expressément que l’article 6 de la convention de 1904 restera applicable. Elle fait remarquer que, par ces deux conventions, la France reconnaissait clairement que la Sakiet El Hamra était « en dehors du territoire marocain ». D’autre part l’Espagne conteste l’opinion émise par le Maroc au cours de la procédure selon laquelle ces conventions ne seraient pas opposables au Maroc. Elle signale également d’autres documents diploma-tiques touchant l’échange de lettres de 1911 qui, selon elle, démontreraient qu’il s’agissait des rapports franco-allemands et non de la frontière du Maroc à l’époque.
a) Géographiquement, l’ensemble constituait une vaste région comprise entre le méridien de Tombouctou à l’est et l’Atlantique à l’ouest et limitée par le fleuve Sénégal au sud et par l’oued Sakiet El Hamra au nord. Tant aux yeux de ses habitants qu’à ceux des autres communautés araboislamiques, cette région constituait un ensemble distinct.
b) Cet ensemble était le Bilad Chinguiti ou pays chinguittien, groupement humain caractérisé par une communauté de langue, de mode de vie et de religion. Il avait une structure sociale uniforme comportant trois ordres: les tribus guerrières exerçant un pouvoir politique; les tribus maraboutiques qui s’occupaient de religion, d’enseignement, de culture et de justice et se livraient à des activités économiques; les tribus de clients-vassaux placées sous la protection d’une tribu guerrière ou maraboutique. Une autre caractéristique du Bilad Chinguiti était que la femme y jouissait d’une plus grande liberté que dans les sociétés islamiques voisines. Le trait le plus frappant du Bilad Chinguiti était l’importance accordée aux tribus maraboutiques qui sont à l’origine d’une tradition culturelle écrite vigoureuse en ce qui concerne la théologie, l’enseignement, la littérature et la poésie; en fait, dans le monde arabe, le Bilad Chinguiti devait sa réputation à celle des savants et lettrés chinguittiens.
« l’ensemble chinguittien ne pouvait à cet égard être assimilé à un Etat, ni à une fédération ni même à une confédération, à moins que l’on ne soit prêt à donner ce nom aux liens politiques ténus unissant les tribus les unes avec les autres ».
Il y eut dans cet ensemble « de vastes confédérations de tribus ou des émirats étendant très loin au-delà de leurs frontières leur influence qui participait ici de la vassalité, là de l’alliance ». Mais la Mauritanie reconnaît que cela n’est pas suffisant pour qu’on puisse dire que « l’ensemble chinguittien bénéficiait d’une personnalité internationale ou jouissait d’une souveraineté au sens où le mot était entendu à l’époque ».
« Les personnalités juridiques ou souverainetés appartenaient en réalité aux éléments de l’ensemble pour autant qu’elles n’aient pas été aliénées, en tout ou en partie, par des liens de vassalité ou d’alliance, au profit d’autres éléments de l’ensemble. La souveraineté des différents éléments de l’ensemble découlait, à l’évidence, de la pratique de ces entités »;
comme maîtresse d’un territoire, chaque entité faisait assurer le respect de celui-ci et de ses sujets contre les actes de guerre ou de pillage et, corrélativement, le souverain avait le devoir de protéger les étrangers qui se plaçaient sous sa protection. Lorsque les émirs ou les cheiks entraient les uns avec les autres dans des rapports d’alliance ou se faisaient la guerre, il s’agissait de rapports entre égaux. Mais l’existence de cette communauté se manifestait lorsque son indépendance était en péril, comme le montre, d’après la Mauritanie, le fait que les tribus conjuguèrent leurs efforts dans tout le pays chinguittien pour enrayer la pénétration française.
« Le Maroc affirme l’exercice de la souveraineté mais il ne nie point, pour autant, que des liens juridiques d’une autre nature, mais non moins essentiels eu égard à la question posée à la Cour et aux modes de vie politique dans la région intéressée au moment de la colonisation espagnole, puissent être affirmés par la Mauritanie.
la souveraineté invoquée par le Maroc et... les liens juridiques invoqués par la Mauritanie se sont exercés sur des tribus nomades et ont eu un premier impact sur les hommes. Ceux-ci, certes, ont dessiné dans leurs parcours un ensemble territorial mais, en raison même de la nature des relations entre l’homme et le sol, des chevauchements géographiques sont inévitables.
Quand le Maroc fait état de dahirs adressés à des destinations géographiques allant jusqu’au cap Blanc, il invoque des documents attestant l’allégeance de tribus se trouvant à un moment donné dans un de leurs lieux de nomadisation. Mais il n’entend pas, par là même, soutenir qu’au point de vue de destination du dahir l’appartenance à l’ensemble mauritanien n’était pas prépondérante.
En sens inverse d’ailleurs, le Maroc ne considère pas que la mention géographique par la Mauritanie des points extrêmes de la nomadisation des tribus mauritaniennes exclut la prépondérance de la souveraineté marocaine dans ces régions.
En définitive, il existe un Nord et un Sud juxtaposant dans l’espace des liens juridiques du Sahara occidental avec le Maroc et avec la Mauritanie. »
Développant cette explication, le Maroc a dit:
« lorsque le Maroc évoque le cap Blanc et Villa Cisneros dans des développements d’ordre général, il n’entend pas par là même soutenir que sa souveraineté s’exerçait sur ces régions au moment de la colonisation espagnole. Ces régions faisaient, en effet, partie intégrante de l’ensemble mauritanien à l’époque considérée, ensemble dont la République islamique de Mauritanie est le seul successeur ».
« les Gouvernements de la République islamique de Mauritanie et du Royaume du Maroc reconnaissent qu’il y a un Nord relevant du Maroc, un Sud relevant de la Mauritanie et que des chevauchements existent du fait des parcours de nomadisation du Nord et du Sud qui se croisent. Il en résulte donc qu’il n’y a pas de no maris land entre l’influence du Maroc et celle de l’ensemble mauritanien... »
« Les zones de chevauchement dont il a été question devant la Cour impliquaient la superposition de l’ensemble mauritanien, de l’ensemble chinguittien et du Royaume du Maroc seulement là où ils se rencontraient.
C’est ainsi que la mention du cap Blanc et de Villa Cisneros par le Maroc ne saurait signifier que ces régions se trouvaient, au moment de la colonisation, sous la souveraineté marocaine, comme [il a été] reconnu... le 25 juillet... De même, telle ou telle nomadisation mauritanienne dans la région de la Sakiet El Hamra ne saurait constituer une contestation de l’appartenance de cette région au Royaume du Maroc qui, aux yeux du Gouvernement mauritanien, ne s’arrêtait pas aux limites du Makhzen. »
La Cour décide,
En ce qui concerne la question I,
par treize voix contre trois,
En ce qui concerne la question II,
par quatorze voix contre deux,
de donner suite à la requête pour avis consultatif;
La Cour est d’avis,
En ce qui concerne la question 1,
à l’unanimité,
que le Sahara occidental (Río de Oro et Sakiet El Hamra) n’était pas un territoire sans maître (terra nullius) au moment de la colonisation par l’Espagne;
En ce qui concerne la question II,
par quatorze voix contre deux,
que le territoire avait, avec le Royaume du Maroc, des liens juridiques possédant les caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis; par quinze voix contre une,
que le territoire avait, avec l’ensemble mauritanien, des liens juridiques possédant les caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au palais de la Paix, à La Haye, le seize octobre mil neuf cent soixante-quinze, en deux exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et dont l’autre sera transmis au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
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