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Jugement du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles

Opposition à saisie-arrêt exécution

jugement définitif contradictoire

EN CAUSE DE :

La FEDERATION DE RUSSIE, dont les bureaux du Ministère des Affaires Etrangères sont établis à 121002 Moscou, Smolenskaya-Sennaya pl. 32/34 (Fédération de Russie),

demanderesse,

représentée par Me Paul LEFEBVRE, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, avenue Louise 480/9 (email : paul.lefebvre@hvdb.com).

CONTRE :

La société YUKOS UNIVERSAL LIMITED (ISLE OF MAN), dont le siège social est établi à international House, Castle Hill, Victoria Road, lie de Man, IM2 4RB Douglas, représentée par Mr Tim OSBORNE (directeur), ayant élu domicile au cabinet de ses conseils, (ci-après « YUL »)

défenderesse,

représentée par Mes Hakim BOULARBAH et Olivier van der HAEGEN, avocats, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, boulevard de l'Empereur 3 (emails : h.boularbah@liedekerke.com ; o.vanderhaegen@liedekerke.com).

EN PRESENCE DE :

L'ETAT BELGE, représenté par Monsieur le Vice-Premier et Ministre des Affaires étrangères et européennes chargé de Béliris et des institutions culturelles fédérales, dont le cabinet est situé à 1000 Bruxelles, rue des Petits Carmes 15,

intervenant volontaire,

représenté par Mes Alain VERRIEST et Anne-Sophie VERRIEST, avocats, dont le cabinet est établi à 1160 Auderghem, avenue Tedesco 7 (emails : av@xirius.be ; asv@xirius.be).

** ** **

En cette cause, tenue en délibéré le 8 mai 2017, le juge des saisies prononce le jugement suivant.

** ** **

Vu les pièces de la procédure, et notamment :

• notre jugement du 19 décembre 2016 et les pièces y visées ;

• l'ordonnance prononcée le 13 février 2017 en application de l'article 747, §1er, du Code judiciaire;

• les « conclusions additionnelles et de synthèse après réouverture des débats » déposées au greffe le 27 mars 2017 pour la FEDERATION DE RUSSIE ;

• les « conclusions additionnelles et de synthèse après réouverture des débats » déposées au greffe te 18 avril 2017 pour YUL ;

• les dossiers de pièces complémentaires de la FEDERATION DE RUSSIE et YUL.

Entendu les conseils des parties en leurs dires et moyens à l'audience publique du 8 mai 2017.

** ** **

I. Ecartement des débats du document intitulé « Plan des plaidoiries de la Société Yukos Universal Limited »

A l'audience du 28 novembre 2016, YUL a déposé un document intitulé « Plan des plaidoiries de la Société Yukos Universal Limited », dont la FEDERATION DE RUSSIE a sollicité l'écartement des débats conformément à l'article 740 du Code judiciaire.

Il se justifie d'y faire droit, étant acquis que ce document lui a été communiqué, non pas « au plus tard en même temps que les conclusions », mais la veille de l'audience.

II. Objet de l'action

1.
La FEDERATION DE RUSSIE demande de :

- « Quant au fond », ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire « et, pour autant que de besoin, de la saisie-arrêt exécution », après avoir constaté que :

• « la saisie-arrêt conservatoire a été pratiquée en l'absence de toute célérité » ;

• subsidiairement, « la saisie-arrêt conservatoire n'a pas été valablement dénoncée à la Fédération de Russie » ;

• plus subsidiairement, « la saisie-arrêt conservatoire n'a pas été valablement convertie en saisie-arrêt exécution » ;

- « En tout état de cause », ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt après avoir constaté que :

• « tous les avoirs saisis sont couverts par l'immunité d'exécution » ;

• « la saisie-arrêt litigieuse est contraire à l'ordre public » ;

• « la saisie-arrêt litigieuse est caduque et illicite eu égard à la perte d'actualité du titre exécutoire » ;

- condamner YUL à lui payer une indemnité de 197.054,21 € pour saisie térnéraire et vexatoire ;

- quant aux mesures avant dire droit, rejeter la demande de sursis à statuer formulée par YUL ;

- à titre subsidiaire, « dire la tierce opposition recevable et, avant dire droit, ordonner la suspension de la force exécutoire de l'Ordonnance d'exequatur jusqu'à ce que la demande d'annulation de l'Ordonnance d'exequatur ait le cas échéant été déclarée non fondée (et pas simplement irrecevable) par le Tribunal de première Instance ou que l'annulation des Sentences ait le cas échéant été réformée par une décision définitive et passée en force de chose jugée des cours et tribunaux néerlandais ».

Elle postulé la condamnation de YUL aux dépens.

2.
Aux termes de ses dernières conclusions avant réouverture des débats, YUL voulait que, avant dire droit, nous sursoyions à statuer « dans l'attente du jugement du Tribunal de première instance francophone de Bruxelles sur la tierce opposition de la Fédération de Russie contre l'Ordonnance d'exequatur (R.G. 15/5891/A) ».

Ce jugement ayant entretemps été prononcé, elle voudrait désormais que, avant dire droit, nous sursoyions à statuer « dans l'attente des arrêts qui seront rendus par la cour d'appel de Bruxelles dans le cadre des recours introduits par la Fédération de Russie contre l'Ordonnance d'exequatur et contre le jugement du 9 décembre 2016 ».

Elle conclut par ailleurs au non-fondement de la demande et réclame la condamnation de la FEDERATION DE RUSSIE aux dépens.

3.
L'ETAT BELGE est intervenu volontairement à la cause, à titre conservatoire.

Il demande qu'il soit dit pour droit que :

- « les avoirs bancaires de la Fédération de Russie qui bénéficient d'une immunité diplomatique ou d'une immunité étatique ne peuvent faire l'objet d'une saisie et que, dès lors, les saisies pratiquées par Yukos sur lesdits avoirs doivent être levées » ;

- « la saisie-arrêt pratiquée sur un compte ouvert au nom de l'agence Rossotrudnichestvo doit être levée » ;

- « au regard des dispositions de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, la demande de surséance formulée par Yukos est non fondée ».

III. Antécédents

1.
Trois actionnaires de l'ancienne société de droit russe OAO Yukos Oil Company - YUL et les sociétés Hulley Enterprises Limited et Veteran Petroleum Limited - ont chacun introduit une procédure d'arbitrage contre la FEDERÁTION DE RUSSIE. Ces procédures se sont déroulées à La Haye, devant un tribunal constitué conformément à l'article 26 du Traité sur la Charte de l'Energie du 17 décembre 1994 et au règlement de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international de 1976.

Le 30 novembre 2009, le tribunal arbitral a rendu une « sentence provisoire » entre YUL et la FEDERATION DE RUSSIE, y rejetant une partie des objections d'incompétence et d'irrecevabilité et décidant de joindre au fond les objections restantes.

Le 18 juillet 2014, il a rendu une « sentence finale ». Après s'être déclaré compétent et avoir déclaré l'action recevable, il y a constaté que la FEDERATION DE RUSSIE a manqué à ses obligations prévues par l'article 13(1) du Traité sur la Charte de l'Energie et l'a condamnée à payer à YUL :

- 1.846.000.687 USD à titre de dommages et intérêts ;

- 156.476 EUR à titre de remboursement des frais d'arbitrage ;

- 2.214.277 USD à titre de frais de défense ;

- « des intérêts postérieurs à la sentence sur tout montant en souffrance à compter du 15 janvier 2015, composés annuellement. Les intérêts postérieurs à la sentence seront déterminés comme correspondant au rendement des obligations du trésor des Etats-Unis à 10 ans au 15 Janvier 2015 puis aux dates de composition annuelle par la suite ».

Le 10 novembre 2014, la FEDERATION DE RUSSIE a introduit un recours en annulation contre les sentences devant le tribunal de première instance de La Haye.

2.
Le 17 juin 2015, YUL a fait pratiquer cinq saisies-arrêts conservatoires à charge de la FEDERATION DE RUSSIE, entre les mains de soixante et un tiers saisis (institutions bancaires, sociétés de courtage, Organisation européenne pour la Sécurité de la Navigation aérienne, représentations en Belgique de la FEDERATION DE RUSSIE, Archevêché de Bruxelles et de Belgique, agences de presse, d'information et de médias), et ce en vertu de la sentence finale. Elles ont été dénoncées par deux exploits du 24 juin 2015, signifiés par la voie diplomatique.

Parmi les tiers saisis ayant remis leur déclaration, seules les s.a. BNP PARIBAS FORTIS et ING BELGIQUE ont indiqué être débitrices de la FEDERATION DE RUSSIE.

Les 20 et 22 juin 2015, YUL a donné mainlevée de la saisie pratiquée entre leurs mains pour les comptes qui, selon leurs déclarations, étaient utilisés pour les besoins de l'ambassade ou des missions diplomatiques de la FEDERATION DE RUSSIE. Les 24 mal et 3 août 2016, elle en a encore donné mainlevée pour certains comptes servant de garanties locatives.

3.
Par une ordonnance du 24 juin 2015, le Président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles a déclaré les sentences exécutoires en Belgique.

Par exploit du 3 juillet 2015, cette ordonnance a été par la voie diplomatique à la FEDERATION DE RUSSIE, laquelle a Introduit une tierce opposition à son encontre le 31 juillet 2015.

Par exploit du 7 octobre 2015, YUL a fait signifier par la voie diplomatique à la FEDERATION DE RUSSIE un « commandement de payer - transformation de saisie-arrêt conservatoire en saisie-arrêt exécution ».

Le 28 octobre 2015, la FEDERATION DE RUSSIE a introduit la présente procédure.

4.
Parallèlement, le 27 août 2015, YUL a fait pratiquer une saisie-exécution sur les immeubles suivants :

- un terrain sis à Uccle, avenue de la Chênaie,

- la maison sise à Rhode-Saint-Genèse, avenue Astrid 81,

- la maison sise à Ixelles, rue Jean-Baptiste Meunier 40,

- les lots « A4/2/C8 » et « A4/5/C47 » de l'immeuble sis à Uccle, à l’intersection de l'avenue Winston Churchill 160 et de la rue Général Lotz 103,

- la maison sise à Uccle, rue du Merlo 74.

Le 15 septembre 2015, YUL en a donné mainlevée pour la maison de Rhode-Saint-Genèse.

Par notre ordonnance du 6 octobre 2015 (RR 15/3126/B), le notaire Alexis LEMMERLING a été nommé aux fins de procéder à l’adjudication des immeubles saisis et aux opérations d’ordre subséquentes.

Le 20 novembre 2015, la FEDERATION DE RUSSIE a formé une tierce opposition à l’encontre de cette ordonnance (RG 15/8991/A). Les 3 décembre 2015 et 14 février 2016, les agences de presse ITAR-TASS et RIA NOVOSTI ont introduit des actions en distraction visant certains des immeubles saisis (RG 15/9211/A et 16/1134/A).

5.
Par un jugement du 20 avril 2016, qu'il a déclaré « exécutoire par provision », le tribunal de première instance de La Haye a annulé les sentences provisoire et finale, estimant que le tribunal arbitral n'était pas compétent pour connaître du litige compte tenu de l'absence de clause d'arbitrage valable.

YUL en a interjeté appel le 18 juillet 2016 devant la cour d'appel de La Haye.

6.
Par un jugement du 9 décembre 2016, la 4ème chambre du tribunal de première instance francophone de Bruxelles a déclaré irrecevable la tierce opposition introduite par la FEDERATION DE RUSSIE à l'encontre de l'ordonnance d'exequatur.

Le prononcé de ce jugement en cours de délibéré a justifié que nous ordonnions d'office la réouverture des débats par notre jugement du 19 décembre 2016.

Par la suite, la FEDERATION DE RUSSIE a :

- interjeté appel de l'ordonnance d'exequatur en date du 26 décembre 2016 ;

- interjeté appel du jugement du 9 décembre 2016 en date du 10 février 2017 ;

- introduit un pourvoi en cassation à l'encontre de ce même jugement en date du 24 mars 2017.

IV. Discussion

4.1. Quant à la transformation de la saisie-arrêt conservatoire en saisie-arrêt exécution

1.
La FEDERATION DE RUSSIE soutient que la saisie-arrêt conservatoire n'a pas été valablement transformée en saisie-arrêt exécution dès lors qu'elle a introduit la présente action avant d'avoir pris connaissance de l'acte de « commandement de payer — transformation de saisie-arrêt conservatoire en saisie-arrêt exécution » du 7 octobre 2015. Il faudrait donc apprécier la régularité/légalité de cette saisie au regard des dispositions qui régissent les saisies conservatoires.

YUL estime quant à elle que la transformation en saisie-exécution a eu lieu avant l’opposition de la FEDERATION DE RUSSIE, de telle sorte que ces dispositions ne s'appliquent pas.

Le Code Judiciaire traite sous le chapitre IX du titre II - Des saisies conservatoires de la procédure de transformation de la saisie conservatoire en saisie-exécution. Son article 1491 dispose que :

« Le jugement sur le fond de la demande constitue, le cas échéant, à concurrence des condamnations prononcées, le titre exécutoire qui, par sa seule signification, opère la transformation de la saisie conservatoire en saisie-exécution.

Cette disposition ne porte pas préjudice à l'effet suspensif des recours et aux droits qui appartiennent au propriétaire en cas de saisie-revendication.

Si la saisie fait l'objet d'une contestation portée devant le juge des saisies au moment de la signification de la décision définitive sur le fond du litige, la transformation de la saisie conservatoire en saisie-exécution n'a lieu que par la signification de la décision du juge des saisies qui reconnaît la régularité de la saisie ».

A cela s'ajoute l'article 1497, alinéa 1, du Code judiciaire, inséré sous le titre III - Des exécutions forcées, selon lequel :

« En cas de saisie conservatoire, Il n'y a pas lieu à saisie nouvelle préalablement à l'exécution. Il est, le cas échéant, procédé à celle-ci au moyen du titre exécutoire, dont le saisissant est ou sera nanti, et après commandement en vertu de ce titre ».

Il en résulte que, lorsqu'une saisie conservatoire a été pratiquée et que le créancier saisissant entend la convertir en saisie-exécution, Il doit signifier au débiteur saisi le « jugement sur le fond de la demande ». Cette signification est le préalable obligé à toute exécution (art. 1495, al. 1, C. jud.) et opère à elle seule la transformation de la saisie existante en saisie-exécution.

La seule transformation ne suffit cependant pas pour entamer l'exécution proprement dite : « Aussitôt que la décision sur le fond de la demande est devenue exécutoire (...), un commandement de payer doit être signifié au débiteur saisi (art. 1497, C. jud.) par un exploit l'informant d'un même contexte que le créancier entend, à défaut pour le débiteur de déférer au commandement, poursuivre l'exécution forcée des condamnations au moyen de la saisie-arrêt existante devenue saisie-exécution » (A.-M. stranart, « Transformation d’une saisie-arrêt conservatoire en saisie-arrêt exécution », J.T., 1981, pp. 504-506 ; voy. également, V. VAN HERREWEGHE, D. NOËL, M. FORGES, Memento des saisies, Wolters Kluwer, 2016, no 434).

2.
En l'espèce, YUL a fait signifier l'ordonnance d'exequatur à la FEDERATION DE RUSSIE par un exploit du 3 juillet 2015.

a) Objet de la signification

La FEDERATION DE RUSSIE fait valoir que la sentence arbitrale aurait également dû lui être signifiée.

[Illegible] matière d'arbitrage, le titre exécutoire n'est pas constitué d'un seul et unique élément ais de deux éléments, à savoir la sentence arbitrale et l'exequatur. En effet :

- une sentence ne peut suffire, à elle seule, à fonder une mesure d'exécution (V. van HERREWEGHE, D. NOËL, M. FORGES, Memento des saisies, Wolters Kluwer, 2016, p. 4 ; G. DE LEVAL, Traité des saisies, Fac. dr. Liège, 1988, p. 491 ; E. DIRIX et K. BROECKX, Beslag, APR, 2001, p. 180) car « les arbitres n'ont pas le pouvoir de lui donner une autorité que la puissance publique peut seule lui conférer » (G. KEUTGEN et G.A. DAL, L'arbitrage en droit belge et international, t. I, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 497 et 505 ; dans le même sens : C. VERBRUGGEN, « Article 1719 » in Arbitration in Belgium. A practitioner's Guide, Kluwer, 2016, p. 500), et

- une ordonnance d'exequatur ne contient en elle-même aucune condamnation, ne fait que « revêt[ir] de la formule exécutoire » la sentence et ne peut donc pas plus y suffire à elle seule (art 1710, §1er, C. jud. version 1972 et art. 1719, §1er, C. jud. version 2013).

Le titre de YUL est ainsi constitué, de manière indissociable, de la sentence arbitrale du 18 juillet 2014 qui fixe son contenu et de l'ordonnance du 24 juin 2015 qui lui octrole l'exequatur.

Il s'ensuit que c'est tant cette sentence que l'ordonnance qui devaient être signifiées à la FEDERATION DE RUSSIE.

Or, par exploit du 3 juillet 2015, seule l’ordonnance l'a été.

Il ressort cependant des pièces déposées que les sentences provisoires et finales rendues entre la FEDERATION DE RUSSIE d'une part, YUL et les sociétés Hulley Enterprises Limited et Veteran Petroleum Limited d'autre part, lui ont été signifiées par l'intermédiaire du Ministre de la Justice français par actes du 14 janvier 2015, conformément à l’article 684, alinéa 2, du Code français de procédure civile (« [I]'acte destiné à être notifié à un Etat étranger, à un agent diplomatique en France ou à tout autre bénéficiaire de l'immunité de juridiction est remis au parquet et transmis par l'intermédiaire du ministre de la justice aux fins de signification par voie diplomatique, à moins qu'en vertu d'un règlement communautaire ou d'un truité international la transmission puisse être faite par une autre voie »). Les sentences ont été remises au Ministère des Affaires étrangères russe par notes verbales de l'ambassade de France en Russie des 27 février et 17 mars 2015. La FEDERATION DE RUSSIE en a accusé réception par notes verbales des 6 et 18 mars 2015, y qualifiant les sentences de « décision politique » mais n'y contestant pas la validité des significations.

Partant, YUL n'était pas tenue de procéder à une nouvelle signification de la sentence, seule l'ordonnance la rendant exécutoire en Belgique devant encore l'être.

La FEDERATION DE RUSSIE a de la sorte été suffisamment informée quant au titre que YUL entendait mettre à exécution et quant au fait que cette exécution allait avoir lieu sur le territoire beige.

b) Mode de signification

exploit du 3 juillet 2015 a été signifié à la FEDERATION DE RUSSIE de la manière qui y est ainsi décrite :

« Et pour que la partie signifiée n'en ignore, j'ai envoyé trois copies de mon présent exploit, avec les pièces y mentionnées et la traduction en langue Russe, à Monsieur le MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES, Service du Protocole, rue des Petits Carmes 15 à 1000 BRUXELLES, sous pli recommandé déposé ce jour au bureau de poste, avec prière :

1/- de transmettre une copie à la partie signifiée via l'ambassade de Belgique à la Fédération de Russie ou dans tout autre pays chargé d'assurer les communications par la voie diplomatique avec la Fédération de Russie ;

- de me renvoyer l'autre exemplaire, avec mention du récépissé par la partie destinataire ;

2/ d'envoyer une copie de l'exploit, pour information, au poste diplomatique de la partie signifiée en Belgique ».

Par note verbale du 16 juillet 2015, l'ambassade de Belgique en Russie a communiqué cet exploit au Ministère des Affaires étrangères russe. Par note verbale du 6 août 2015, la FEDERATION DE RUSSIE a fait savoir que « La remise et la présentation des demandes relatives à la remise des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile entre la Fédération de Russie et le Royaume de Belgique sont effectuées conformément à l'usage prévu par la Convention sur la remise, à l'étranger, des documents judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale de 1965 ». Elle a refusé de recevoir l'acte au motif que la demande n'avait pas été faite conformément à la formule modèle dont question aux articles 3, 5 et 7 de cette Convention.

La FEDERATION DE RUSSIE soutient désormais que le mode de signification utilisé - la voie diplomatique - n'est pas valable : elle estime ne pas être liée par une convention ou un usage international prévoyant une telle possibilité, de telle sorte que la signification aurait dû intervenir conformément à l'article 40 du Code judiciaire.

Elle a pourtant adhéré à la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, laquelle est applicable en l'espèce.

Son article 1er mentionne en effet qu'elle « est applicable, en matière civile ou commerciale, dans tous les cas où un acte judiciaire ou extrajudiciaire doit être transmis à l'étranger pour y être signifié ou notifié ». Indépendamment de la nature du litige au fond, force est de constater que l'acte signifié est une ordonnance d'exequatur, décision qui relève du droit judiciaire civil.

Cette convention prévoit la signification par la voie diplomatique à son article 9, alinéa 2, qui dispose que : « Si des circonstances exceptionnelles l'exigent, chaque Etat contractant a la faculté d'utiliser, aux mêmes fins, la voie diplomatique ». La signification d'un acte à un Etat souverain constitue l'exemple-type de « circonstances exceptionnelles » visées par cet article (Bureau permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé, Manuel pratique sur le fonctionnement de la Convention Notification, 2016, p. 83, no 247 et la référence citée).

Une telle voie de signification a non seulement été admise et reconnue par la FEDERATION DE RUSSIE, mais celle-ci en a de surcroît fait le mode de signification par excellence des actes officiels qui lui sont destinés. Ainsi, dans sa déclaration émise en application de la convention de La Haye, elle a indiqué que :

« IV. Il est hautement souhaitable que les actes à signifier à la Fédération de Russie, au Président de la Fédération de Russie, au Gouvernement de la Fédération de Russie, au Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie soient transmis par la voie diplomatique, à savoir par la remise de notes verbales par les missions diplomatiques des Etats étrangers accrédités auprès de la Fédération de Russie ».

Dans cette déclaration, la FEDERATION DE RUSSIE a d'ailleurs exclu la transmission par la voie postale, en précisant :

« VI. La signification des actes par les voies prévues à l'article 10 de la Convention n'est pas autorisée en Fédération de Russie ».

C'est dès lors à juste titre que YUL a procédé à la signification de l'ordonnance d'exequatur en utilisant la voie diplomatique.

c) Formalités

La FEDERATION DE RUSSIE relève encore que :

- les exigences de forme des articles 3 et 5 de la Convention de La Haye (demande conforme à la formule modèle et double exemplaire) n'ont pas été respectées ;

- l'acte n'a pas été adressé à l'autorité désignée à cet effet, qui est le Ministère de la justice.

La signification par voie diplomatique n'est pas soumise aux prescriptions formelles des articles 3, 5 et 7 de la Convention de La Haye, lesquels s'appliquent uniquement à la voie de transmission principale qui y est prévue - à savoir via « l'Autorité centrale de l’Etat requis » -, et non aux voies de transmission alternatives et dérogatoires dont il est question notamment à l'article 9, alinéa 2.

La thèse de la FEDERATION DE RUSSIE, selon laquelle les Etats parties à cette convention sont libres d'exiger le respect de ces formalités, ne peut être suivie.

Pour être valable, un tel choix devrait avoir été exprimé in tempore non suspecte, et non après la signification d'un acte litigieux. Or, dans sa déclaration, la FEDERATION DE RUSSIE n’a pas réclamé que l'utilisation de la voie diplomatique soit soumise aux exigences formelles prévues pour la signification par la voie de transmission principale.

Par ailleurs, dans cette même déclaration, elle a attribué au Ministère de la Justice le rôle de « l'autorité centrale » et de « l'autorité compétente pour recevoir les actes transmis par la voie consulaire », mais pas ceux transmis par la voie diplomatique.

Il ne peut dès lors être reproché à YUL d'avoir fait signifier l'ordonnance par l'intermédiaire du Ministère des Affaires étrangères - duquel dépendent les missions diplomatiques -, e non par celui du Ministère de la Justice.

Il résulte de tout ceci que le titre exécutoire a été valablement signifié à la FEDERATION DE RUSSIE.

3.
Suivant l'article 1491, alinéa 3, du Code Judiciaire, si la saisie conservatoire fait l'objet de contestations devant le Juge des saisies « au moment de la signification de la décision définitive sur le fond du litige », il n'y aura point transformation tant qu'il n'a pas été statué sur la régularité de la phase conservatoire.

La FEDERATION DE RUSSIE a introduit son opposition à saisie par exploit du 28 octobre 2015, soit bien après que l'exploit de signification du 3 juillet 2015 lui ait été remis.

Elle est donc sans effet sur la transformation puisque celle-ci avait déjà eu lieu.

Par conséquent, la régularité/légalité de la saisie ne peut être discutée au regard des dispositions qui régissent les saisies conservatoires, mais bien de celles qui régissent les voies d'exécution.

4.2. Quant à la mainlevée de la saisie

1.
En vertu de l'article 1494, alinéa 1, du Code Judiciaire, « Il ne sera procédé à aucune saisie-exécution mobilière ou immobilière qu'en vertu d'un titre exécutoire et pour choses liquides et certaines ».

Il est constant que le juge des saisies a le pouvoir de vérifier la légalité des voies d'exécution sans pouvoir statuer sur la cause elle-même (E. DIRIX et K. BROECKX, Beslag, APR, Mechelen, Kluwer, 2010, p. 41 ; p. GIELEN, « La saisie mobilière », Rép. not., Bruxelles, Larcier, 2011, p. 85 ; voy. également, Cass., 9 mai 2003, Pas., 2003, l, p. 965). Selon la formule consacrée par la Cour de cassation :

« le juge des saisies n'est pas compétent pour statuer sur un litige portant sur les droits des parties qui concerne certes l'exécution, mais ne se rapporte ni à la légitimité ni à la régularité de cette exécution » (Cass., 29 septembre 1986, Pas., 1986, l, p. 120. La Jurisprudence de la Cour de cassation est constante, voy. notamment, Cass., 28 septembre 1990, Pas., 1991, I, p. 93 ; Cass., 3 juin 1994, Pas., 1994, I, p. 554 ; Cass., 3 novembre 1995, Pas., 1995, I, p. 990 ; Cass., 27 Juin 1996, Pas., 1996, I, p. 264 ; Cass., 1er décembre 2005, C.03.0030.N, http://www.jura.be ; Cass., 18 mars 2010, C.09.0149.N, http://www.jura.be : « le juge des saisies (...) apprécie la légalité et la régularité de l'exécution. Il est sans compétence pour statuer sur d'autres litiges ayant trait à cette exécution (...) »).

Partant, le juge des saisies ne connaît pas du fond des litiges au terme desquels est rendue la décision qui constitue le titre fondant les mesures d'exécution (G. DE LEVAL, Traité des saisies, Fac. dr. Liège, 1988; n° 14). Il contrôle uniquement la légalité des voies d'exécution, pas celle du titre.

Il lui appartient toutefois de s'assurer que le saisissant dispose bien d'un titre constatant l'existence d'une créance rigoureusement certaine, liquide et exigible, et que ce titre conserve son actualité — ou efficacité — exécutoire au moment de sa mise en œuvre.

« La perte d'efficacité exécutoire du titre ne se confond pas avec la mise à néant de celui-ci et la disparition de l'autorité de chose jugée suite à l'exercice d'une voie de recours ». Elle « n'atteint pas le titre en lui-même qui ne donne lieu, comme tel, à aucune contestation ni à un nouvel examen ; ce n'est que la mise à exécution de celui-ci qui est entravée par des faits nouveaux ayant une incidence sur le droit issu du jugement ou de l'arrêt » (G. De leval, Traité des saisies, Fac. dr. Liège, 1988, no 228).

2.
Le titre dont se prévaut YUL est composé de la sentence arbitrale finale et de l'ordonnance la déclarant exécutoire dans l'ordre Juridique belge.

Or, par un jugement du 20 avril 2016, le tribunal de première Instance de La Haye a annulé cette sentence.

Cette annulation a pour conséquence l'anéantissement de la sentence et sa disparition de l'ordre juridique néerlandais (G. KEUTGEN et G.A. DAL, L'arbitrage en droit belge et international, t. I, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 557 ; J. LINSMEAU, « L'annulation des sentences arbitrales en droit beige », in L'Arbitrage. Travaux offerts au professeur Albert Fettweis, Story-Scienta, 1989, p. 109 ; B. HANOTIAU et O. CAPRASSE, « L'annulation des sentences arbitrales »,J.T., 2004, p. 427). Le droit néerlandais de l'arbitrage est clair sur ce point: lorsque l'annulation est prononcée, Il ne peut plus être question de sentence arbitrale dès lors que celle-ci a cessé d'exister (Travaux préparatoires II 1985/86, 18464, no 6, p. 41 (MOR) ; P. SANDERS, « New York Convention on the Recognition and Enforcement of Foreign Arbitral Awards », Nederlands Tijdschrift voor Internationaal Recht, 1959, p. 55 ; P. SANDERS, « The New York Convention » in Rapporteur Général, Union internationale des avocats, 2 Arbitrage International Commercial -International Commercial Arbitration, 1960, Martinus Nijhoff, p. 321 ; P. SANDERS, Aantasting van arbitrale vonnissen (thesis Leiden), Zwolle : W.E.J. Tjeenk Willink 1940, p. 193 ; AJ. VAN DEN BERG, R. VAN DELDEN et H.J. SNIJDERS, Netherlands Arbitration Law, Kluwer Law and Taxation Publishers 1993, pp. 114, 155 et 167).

Le jugement d'annulation a été déclaré « exécutoire par provision », ce qui a pour résultat d'ôter tout effet légal à la sentence à compter de son prononcé, et ce en dépit de l'appel interjeté par YUL.

Celle-ci ne peut être suivie lorsqu'elle soutient que ce jugement ne lui imposant aucune mesure/condamnation -hormis le paiement des frais de procédure —, il n'est pas susceptible d'exécution forcée et n'est en conséquence pas « exécutoire par provision ».

Une décision de réformation ou d'annulation constitue en effet un titre suffisant pour fonder la réclamation de tout ce qui a été payé en exécution de la décision réformée ou annulée (Cass., 10 janvier 2003, Pas., 2003, I, 98), et ce même en l'absence de condamnation expresse à la restitution.

En tant qu'il prononce l'annulation de la sentence, le jugement du tribunal de première instance de La Haye est, partant, susceptible d'exécution. Ce qui donne tout son sens à l'exécution provisoire dont iI a été revêtu.

3.
Deux textes ont vocation à s'appliquer pour déterminer les effets à attacher à ce jugement dans notre ordre juridique :

- la Convention du 28 mars 1925 conclue entre la Belgique et les Pays-Bas sur la compétence judiciaire territoriale, sur la faillite, sur l'autorité et l'exécution des décisions judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques, approuvée par la loi du 16 août 1926 ;

- à défaut - le droit beige reconnaissant la primauté du droit international sur le droit interne -, le Code de droit international privé.

La Convention du 28 mars 1925 a été remplacée par la Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968, étant précisé qu'elle continue de produire ses effets dans les matières auxquelles cette convention n'est pas applicable (art. 56, al. 1). Parmi ces matières se trouve celle de l'arbitrage (art. 1, al. 2, 4o), sans autre précision.

Le rapport explicatif de cette convention ainsi que le rapport établi à l'occasion de la convention d'adhésion de 1978 entendaient toutefois donner une large portée à cette exclusion (P. MAYER, note sous Cour de Justice, Marc Rich et Co. AG c. Società Italiana Impianti PA, 25 juillet 1991, C-190/89, Rev. crit. D.I.P., 1993, p. 316 ; Rapport de M.P. JENARD sur la convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, J.O., C 59/1 du 5 mars 1979, p. 13 : « la convention ne s'applique ni en ce qui concerne la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales (voir aussi la définition de l'article 25), ni pour déterminer la compétence des tribunaux pour les contestations relatives à un arbitrage, par exemple les actions tendant à l'annulation d'une sentence arbitrale, ni davantage en ce qui concerne la reconnaissance de décisions rendues sur de telles actions »).

La Convention de Bruxelles a elle-même été remplacée par le Règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, lequel précise également que la Convention du 28 mars 1925 continue de produire ses effets dans les matières auxquelles ce règlement n'est pas applicable (art. 70, §1), à savoir notamment l’arbitrage (art. 1, §2, d).

Enfin, ce règlement a été remplacé par le Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. En vertu de son article 70, §1, la Convention du 28 mars 1925 continue de produire ses effets dans les matières auxquelles il n'est pas applicable, parmi lesquelles l'arbitrage.

Le législateur a adopté au moyen d'un considérant 12 des directives d'interprétation :

« (...) Le présent règlement ne devrait pas s'appliquer à une action ou demande accessoire portant, en particulier, sur la constitution d'un tribunal arbitral, les compétences des arbitres, le déroulement d'une procédure arbitrale ou tout autre aspect de cette procédure ni à une action ou une décision concernant l'annulation, la révision, la reconnaissance ou l'exécution d'une sentence arbitrale, ou l'appel formé contre celle-ci ».

Il confirme que ce système ne s'applique ni aux sentences arbitrales, ni aux décisions judiciaires rendues sur l'annulation ou sur la reconnaissance et l'exécution de ces sentences.

La Convention du 28 mars 1925 peut donc continuer à produire ses effets pour la reconnaissance du jugement d'annulation rendu par le tribunal de première instance de La Haye.

Elle est applicable aux seules décisions rendues en matière civile et commerciale. Le jugement d'annulation en fait partie : ce tribunal n'a aucun pouvoir de révision au fond des sentences et son jugement ne réexamine pas la réalité de l'expropriation ou des mesures fiscales alléguées, son objet étant la validité du résultat de la procédure arbitrale.

4.
L’article 11 de cette convention dispose que :

« 1. L’autorité des décisions judiciaires rendues en matière civile ou commerciale dans l'un des deux Etats sera reconnue dans l'autre, à la demande de toute partie intéressée, si elles réunissent les conditions suivantes :

1° Que la décision ne contienne rien de contraire à l'ordre public ou aux principes du droit public du pays où elle est invoquée ;

2° Qu'elle soit susceptible d'exécution dans le pays où elle a été rendue bien que des voies de recours y soient encore ouvertes contre elle ;

3° Que d'après les lois du pays où la décision a été rendue, l'expédition qui en est produite réunisse les conditions nécessaires à son authenticité ;

4° Que les parties aient été légalement représentées ou déclarées défaillantes, après avoir été légalement citées ;

5° Que les règles de compétence territoriale établies par la convention n'aient pas été méconnues.

2. Les règles relatives à la compétence, à la preuve et à la procédure ne concernent ni l'ordre public, ni les principes du droit public visés au 1° de l'alinéa précédent.

3. Le juge doit d'office examiner si la décision remplit à l'égard de toutes les parties, après qu'elles auront été légalement citées, les conditions énumérées à l'alinéa 1er et le constater dans son jugement. Celui-ci a effet à cet égard envers toutes les parties et dans toute l'étendue du territoire ».

Il y a lieu de constater que le jugement du 20 avril 2016 du tribunal de première instance de La Haye remplit toutes les conditions ainsi énumérées.

Plus particulièrement en ce qui concerne celle visée au 2o, il a été vu ci-dessus que ce jugement est un titre suffisant pour fonder la réclamation de tout ce qui aurait été payé en exécution de la décision annulée - la sentence - et qu'il est, partant, « susceptible d'exécution ».

Il a par ailleurs été déclaré « exécutoire par provision », ce qui implique qu’il peut être exécuté en dépit de l'éventuel effet suspensif des voies de recours ouvertes à son encontre.

Il résulte de tout ceci que la sentence arbitrale n'a pas seulement été annulée dans son pays d'origine, elle a été annulée par un jugement qui doit être reconnu en Belgique en vertu de la Convention belgo-néerlandaise de 1925 et y produire des effets. La portée territoriale de cette annulation s'en trouve ainsi étendue.

Certes, l'ordonnance lui ayant accordé l'exequatur subsiste - d'autant plus qu'elle a été confirmée par l'effet du jugement du 9 décembre 2016 - et iI ne nous appartient pas de nous prononcer sur sa validité.

Mais, rappelons-le, en matière d'arbitrage, le titre exécutoire est indissociablement constitué de la sentence et de l'ordonnance d'exequatur. Or, le jugement d'annulation tel qu'ici reconnu a pour effet d'anéantir l'une de ces composantes essentielles. Il ne s'agit pas d'un « événement extérieur au titre » qui lui ferait perdre son actualité exécutoire : il l'atteint dans sa substance-même.

Nous ne pouvons des lors que constater qu'à ce jour, compte tenu de la force obligatoire de ce jugement ainsi reconnu, YUL ne dispose plus d'un titre exécutoire au sens de l'article 1494 du Code judiciaire, lui permettant d'initier - et a fortiori maintenir ou poursuivre - une procédure d'exécution. Le titre tel qu'amputé n'y suffit pas.

Cela s'impose sans qu'il soit besoin de connaître le sort définitif de l'ordonnance d'exequatur et, partant, de surseoir à statuer dans l'attente de l'arrêt qui sera rendu par la cour d'appel de Bruxelles relativement à l'appel interjeté à son encontre.

Il se justifie, en conséquence, d'ordonner la mainlevée de la saisie litigieuse.

4.3. Quant aux dommages et intérêts réclamés par la FEDERATION DE RUSSIE

[4].

La FEDERATION DE RUSSIE sollicite la condamnation de YUL à lui payer une indemnité de 197.054,21 € afin de réparer le préjudice causé par les différentes saisies opérées à sa charge.

Elle fonde tout d'abord cette demande sur l'article 1382 du Code civil, lui reprochant :

- « le fait d'avoir procédé à des saisies-arrêts en Belgique totalement disproportionnées entre les mains de toutes les banques et autres institutions qui constitue une véritable 'fishing expedition' (c'est-à-dire 'expédition à la pêche' et, en l'espèce, des saisies 'tous azimuts') » ;

- « le fait d'avoir procédé à des saisies sur des éléments du patrimoine indiscutablement protégés par l'immunité d'exécution, et ce avec une légèreté et un manque de renseignement déroutant » ;

- « le fait, finalement, de financer et mettre en oeuvre une campagne médiatique hors de toute proportion en vue de sortir du prétoire des discussions qui devraient y rester et d'influencer l'opinion publique ».

Elle fonde également cette demande sur l’article 1398, alinéa 2, du Code judiciaire, suivant lequel l'exécution du jugement dont le juge a accordé l'exécution provisoire « n'a lieu qu'aux risques et périls de la partie qui la poursuit et sans préjudice des règles du cantonnement ».

En ce cas, si un préjudice est né en raison de l'exécution provisoire, il doit être indemnisé « sans qu'il soit requis qu'il y ait mauvaise foi ou faute lors de cette exécution » (Cass., 7 avril 1995, Pas., 1995, I, p. 396).

Il lui appartient dès lors de prouver, outre la faute requise par l'article 1382 du Code civil, l'existence d'un dommage en lien causal avec cette faute et/ou la seule exécution.

Elle soutient avoir subi :

- « une atteinte claire à sa réputation »

Cette atteinte, à la supposer établie, découle toutefois de sa condamnation par les sentences arbitrales à indemniser YUL et les sociétés Hulley Enterprises Limited et Veteran Petroleum Limited à concurrence de quelques 50.000.000.000 USD et de l'image qu'elle renvoie, et non pas des quelques saisies opérées en Belgique à la seule initiative de YUL.

- « une privation injustifiée de la disposition de son patrimoine »

La privation de la disposition de son patrimoine n'est cependant pas un dommage en soi, qu'elle soit justifiée ou pas.

Or, en l'espèce, la FEDERATION DE RUSSIE ne fait état d'aucun préjudice concret qui lui aurait été causé par l'indisponibilité de ses avoirs.

- « la réalisation de nombreux frais en vue de faire face aux agissements de YUL »

Le coût du personnel affecté au traitement du dossier au sein de l'administration russe et les frais de traduction sont des frais inhérents à toute procédure judiciaire et ne constituent pas un dommage réparable dans le chef de la FEDERATION DE RUSSIE.

De plus, afin de déterminer le coût de son personnel, celle-ci dépose des documents de son administration (« time sheets ») qui ont été établis unilatéralement et sont, partant, dénués de valeur probante.

Rien ne permet par ailleurs de penser que du personnel aurait été spécifiquement affecté au suivi de la présente procédure, alors qu'une action en annulation de toutes les sentences a été diligentée aux Pays-Bas, qu'un appel y est toujours pendant et que des saisies ont été opérées dans de nombreux autres pays (France, Etats-Unis, ...), y suscitant également des procédures judiciaires.

Ce constat s'impose aussi pour les frais de traduction comptabilisés.

En conclusion, la FEDERATION DE RUSSIE n'établit pas à suffisance de droit avoir subi un préjudice en lien causal avec les fautes qu'elle reproche à YUL et/ou avec la seule exécution.

Il en résulte le non-fondement de sa demande en ce qu'elle tend à l'obtention de dommages et intérêts.

4.4. Quant aux dépens

[5].

La FEDERATION DE RUSSIE n'obtenant que partiellement gain de cause, les dépens seront compensés en manière telle que chaque partie garde les siens à sa charge.

** ** **

PAR CES MOTIFS,

[6].

Nous, Mme C. CNOP, juge des saisies,

Assistée de Mme A. DECOTTIGNIES, greffier délégué,

Vu la loi du 15 Juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant contradictoirement,

Ecartons des débats le document intitulé « Plan des plaidoiries de la Société Yukos Universal Limited ».

Déclarons l'action recevable et la demande fondée dans la mesure suivante :

Ordonnons à YUL de donner mainlevée de la saisie-arrêt qu'elle a fait pratiquer à titre conservatoire à charge de la FEDERATION DE RUSSIE par exploit du 17 juin 2015, et qui a été transformée en saisie-arrêt exécution par exploit du 3 Juillet 2015, et ce dans les quatorze jours de la signification du présent jugement, à défaut de quoi celui-ci en tiendra lieu.

Compensons les dépens en manière telle que chaque partie garde les siens à sa charge.

Ainsi jugé et prononcé à I'audience publique de la chambre des saisies du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, le 8 Juin 2017.

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